filmer la spécificité du Front de l'est

Rarement a-t-on vu aussi mauvaise traduction. On pourrait croire que Generation War est un nouveau documentaire de Ken Burns, ou une série américaine sur la guerre en Irak. Mais cette mini-série en trois épisodes est allemande et s’appelle en réalité Unsere Mütter, Unsere Väter (nos mères, nos pères). Son sujet : un groupe de jeunes allemands confrontés à la guerre sur le front de l’est.

Un peu d’histoire : en juin 41, tout réussit à Hitler ; il a conquis l’Europe sans difficulté, il s’étend au Moyen Orient, l’Amérique n’est pas entrée en guerre et les généraux allemands sont encore sous le charme de son « génie » stratégique. Il est temps pour lui de s’attaquer à son véritable objectif, la Russie. Des plans sont établis depuis longtemps, camouflés sous le pacte de non-agression germano-soviétique. Seule ombre au tableau : il faut attaquer les russes vite, car ils sont encore affaiblis économiquement et militairement. Au plus tard fin avril – début mai, pour avoir le temps de parcourir les 2000 km jusqu’à Moscou. Après ce sera l’automne, saison des pluies et des pistes boueuses. Les plans sont prêts, mais la logistique patine, et finalement ce sera juin. On sait déjà que c’est trop tard, mais on y va quand même… Le Reich vient de sceller sa chute, mais il ne le sait pas encore.

C’est dans cet état d’esprit que commence Unsere Mütter, Unsere Väter. Cinq amis berlinois, un peu caricaturaux (l’officier honnête, le petit frère séditieux, la beauté qui veut percer dans la chanson, l’infirmière secrètement amoureuse, l’ami juif que l’on protège), cinq berlinois convaincus de la victoire prochaine, car qui peut battre désormais la Grande Allemagne ? Et qui a plus raison de se battre que l’Allemagne, menacée de l’intérieur comme de l’extérieur par les communistes et les juifs ? A noël, on se retrouvera pour fêter la victoire à Berlin. De ces caricatures, les acteurs tirent le meilleur et notamment Tom Schilling, excellent en petit frère antinazi qui finit par démontrer personnellement que « la guerre ne fait que révéler nos côtés les plus obscurs ». Pour cela, on pardonnera de menus défauts : un peu de naïveté, un montage racoleur, et des invraisemblances scénaristiques. Dans l’idéal, on mixerait Un Village Français et Unsere Mütter, Unsere Väter. L’intelligence et la subtilité du premier, le punch, la religion du cinéma du second.

Car c’est la reconstitution de l’ambiance du front russe qui est sûrement la plus grande réussite de Unsere Mütter, Unsere Väter. Une partie méconnue de la Seconde Guerre Mondiale, mise sous le boisseau de l’hégémonisme culturel américain de ces soixante-dix dernières années, où l’on nous a fait croire que la guerre avait été gagnée à l’ouest, par le débarquement de Normandie. Une nécessité de la Guerre Froide, appuyé par Hollywood, pas en manque d’épiques reconstitutions de l’héroïsme yankee : Le Jour le Plus Long, Les Canons de Navaronne (on y revient prochainement), Quand les Aigles Attaquent, etc. etc. Et donc, évidemment, très peu de films sur le front de l’est : une version française et allemande de Stalingrad, et le Croix de Fer de Peckinpah*.

A l’heure où – pour le meilleur et pour le pire – l’Europe se débarrasse de l’influence américaine, un nouveau regard est posé sur la guerre à l’est. Sans l’erreur d’Hitler, et sans l’engagement total des russes (53% des pertes alliées) qui « fixèrent » à la fois les troupes et les moyens économiques allemands à l’est, les nazis aurait annexé l’Europe.

Cette guerre à l’est fut exceptionnelle à plus d’un titre : immensité des moyens engagés, intensité des combats, mais surtout, sauvagerie absolue de part et d’autre. La non-signature par les russes de la Convention de Genève servit de prétexte aux allemands pour ne pas l’appliquer non plus, contrairement à ce qu’ils faisaient à l’ouest. D’où, évidemment, Shoah par balles pour les allemands et représailles anti-ukrainiennes de l’autre côté.

Ce que réussit à faire Unsere Mütter, Unsere Väter, c’est de filmer ça à hauteur d’hommes ; filmer l’enfer de la guerre, bien sûr, mais filmer aussi la spécificité de ce conflit qui marqua durablement les esprits allemands : non l’Allemagne n’était pas invincible, non l’Allemagne n’avait pas raison, non la Wehrmacht n’était pas le dépositaire du vieil honneur prussien.


* Mais évidemment, plein de films côté russe : La Ballade du soldat, Quand Passent les Cigognes, Ils ont Combattu pour la Patrie, L’Enfance d’Ivan, et récemment : Requiem pour un massacre ou Dans la Brume
ludovico
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le 7 sept. 2013

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