La seconde guerre mondiale vue par un manuel de lycée

Cela faisait plus de dix ans maintenant que nous attendions la relève de l’excellente série Frères d’armes (Band of Brothers) créée par Steven Spielberg et Tom Hanks, suivant les pérégrinations d’une escouade de parachutistes américains lors de la dernière guerre mondiale. Autant vous dire que ça n’est pas son très médiocre spin-off, The Pacific, qui a comblé nos attentes. Avec espoir, nous tournons nos yeux vers l’Allemagne qui présente fièrement le fleuron de sa production télévisuelle : Generation War. L’attente est double : d’une part, avoir une bonne série ayant pour cadre la guerre et d’autre part, avoir le point de vue germanique du conflit. Autant dire que c’est un véritable challenge que la série se permet, et tant mieux. Néanmoins, on en ressort malheureusement assez déçu tant Generation War se voit gangrenée par de nombreux défauts, malgré toute l’ambition déployée.

Dès l’introduction, on entrevoit plusieurs problèmes qu’on retrouvera régulièrement dans la série. La narration, déclamée par le lieutenant Winter, présentant les personnages, est lourde et maladroite, manquant cruellement de subtilité et de fluidité. On se sent très assisté. Cinq personnages sont ainsi présentés, bénéficiant d’une caractérisation qui laisse à désirer tant son dispositif : on comprend que tel personnage est nazi dès ses premières répliques. A nouveau, ce manque de subtilité tend à choquer et entrave l’aspect réaliste de l’histoire contée. « Nous étions cinq » s’exclame la voix-off, inquiète de nous faire comprendre que certains ne reviendront pas. L’inéluctabilité du destin des personnages, condamné à être funeste, dans une œuvre ayant le point de vue allemand, est une caractéristique régulière dans le littérature et le cinéma, dont la subtilité s’est affinée au cours des décennies. On a ainsi la mauvaise impression que Generation War ignore naïvement tout ce qui a été fait précédemment, symptôme d’un manque de recul qu’on retrouve souvent dans les épisodes.

Le récit se met en marche, et nous allons suivre, à tour de rôle, deux frères enrôlés dans l’armée, une star de la chanson en devenir, une infirmière ainsi qu’un jeune homme juif. Difficile de ne pas y voir un choix scénaristique peu habilement camouflé afin de pouvoir montrer simultanément différents lieux du conflit. Néanmoins, malgré cette diversité apparente, la vision de la guerre reste partiale et partielle. Le déroulement général et l’approche s’apparentent à un traitement de la Seconde Guerre Mondiale vu par un manuel de lycée. Presque tout est binaire et profondément manichéen. Passé la lourdingue prise de conscience que « le nazisme c’est pas bien », la nature des personnages n’évolue quasiment plus. A aucun moment, des intervenants seront réellement ambigües. C’est dommage, car c’est justement dans l’ambiguïté qu’il y a quelque chose à faire, des questions à se poser qui nous concernent encore aujourd’hui. On s’interroge également sur la vision des Polonais que propose la série : peu de subtilité, c’est avant tout leur antisémitisme qui est mis en avant. Si c’était certes quelque chose ayant bel et bien eu lieu, il aurait à nouveau pu être nuancé plutôt que d’avoir avant tout cette image de barbares qui transparait.

Ce qui fait également défaut à Generation War, c’est la vie. Il n’y a presque aucune scène de vraie camaraderie, ces petits moments hors de la guerre où les gamins en dessous des casques refont surface. Evidemment, on connait l’avenir de l’armée allemande, en particulier sur le front Est, néanmoins rien n’exclue forcément la camaraderie entre soldats, afin de s’attacher d’autant plus aux personnages. Pour rappel, Das Boot, de Wolfgang Petersen, sorti il y a plus de 30 ans, mettait justement en scène ces moments de camaraderie tout en étant un film profondément dur et pessimiste. Nous sommes quelque peu condamnés à suivre ces personnages, sans pouvoir se rabattre sur des personnages secondaires, quasiment inexistants. Ils apparaissent et disparaissent presque aussitôt. Les comédiens principaux veulent bien faire, néanmoins la direction d’acteur n’est pas assez précise pour leur donner du relief ou une réelle charge émotionnelle : tout comme leurs personnages, ils semblent mécaniques.

Pourtant, tout n’est pas à jeter loin de là, et certaines séquences proposent une réelle ambition ainsi qu’une écriture intéressante, rythmée et dynamique. L’isolement du jeune frère dans un Koursk en ruine est une idée qui plait. Malheureusement, elle est rapidement avortée. On assiste ainsi à un rythme inégal, qui néanmoins propose suffisamment de choses pour que nous ne détestions pas non plus la série. C’est peut-être le format des épisodes qui est en jeune : la série se compose de trois parties de 1H30 chacune. Il aurait peut-être été plus judicieux d’avoir quatre ou cinq parties d’une heure, cela aurait d’ailleurs pu permis d’étendre l’intrigue sur davantage de chapitres de la guerre. Ici, on ne peut que regretter les nombreuses ellipses : la guerre parait expédiée et la longueur ainsi que le poids des années se ressentent peu.

L’ambition de Generation War aurait également pu se traduire par une volonté de cinématographie, comme dans Frères d’armes. Néanmoins, le résultat final ne va justement pas plus loin que la série télé dans le fond, mais aussi dans la forme. Esthétiquement, le résultat est plus qu’inégal : si certaines séquences de batailles passent relativement bien, beaucoup sont gangrénées par un découpage hasardeux, quasi constamment en caméra épaule (même lorsque la séquence ne s’y prête pas), baigné dans une esthétique ultra-numérique. L’image est terriblement plate malgré le contraste exagéré effectué à l’étalonnage pour lui donner du relief. Le jeu de couleurs accentue encore plus l’effet numérique, et certaines teintes paraissent surréalistes. Sans pour autant revenir à la technique utilisée dans Frères d’armes (qui était tournée en 16mm), on aurait pu apprécier un traitement visuel en post-production afin de minimiser l’aspect numérique de la captation (comme dans Rush, de Ron Howard, par exemple), pour sublimer d’autant plus la très grande qualité de la reconstitution historique, il faut bien le souligner.

On devient vite dur avec Generation War en oubliant les limites imposées par le média en question, la télévision. Néanmoins, avec toute l’expérience acquise grâce aux nombreuses séries ambitieuses ayant des contextes historiques différents, on est en droit d’attendre plus de Generation War qui partait pourtant gagnante, avec un sujet et une vision intéressante ainsi qu’un budget permettant réellement de le développer. On applique malheureusement un traitement télévisuel banal à une ambition hors-du-commun, ce qui désappointe un peu le spectateur en quête d’un niveau de réalisation ou d’écriture supérieur à Un Village Français… Les plus curieux pourront toujours découvrir une série proposant quelque chose qu’on n’a pas souvent l’habitude de voir. On place ainsi nos attentes tellement haut qu’inéluctablement, on en ressort déçus, devant ce qui n’est ni plus ni moins qu’un programme télé, oubliable parmi tant d’autres.

La critique + test blu-ray sur Cineheroes : www.cineheroes.net/critique-generation-war-waffenbruder-in-der-deutschen
ltschaffer
5
Écrit par

Créée

le 24 nov. 2013

Critique lue 4.2K fois

13 j'aime

7 commentaires

Lt Schaffer

Écrit par

Critique lue 4.2K fois

13
7

D'autres avis sur Generation War

Generation War
Aqualudo
9

A l'Est, du nouveau

Sortie en France sous le titre « Generation War », cette série allemande a l'ambition de nous faire suivre 5 allemands de 1941 à 1945. Ces trois jeunes hommes et deux jeunes femmes vont donc...

le 11 sept. 2013

23 j'aime

6

Generation War
Truman-
9

Nous partions en héros mais nous étions des meurtriers

Unsere Mütter, unsere Väter ( qui signifie Nos mères, nos pères ) ou Génération War en Français qui est un titre plus tape a l'oeil et qui fait inévitablement penser a Génération Kill, est une mini...

le 14 nov. 2013

15 j'aime

Generation War
Tenshibana
8

Le front de l'EST: Une cruauté sans limite

Cinq amis allemands, optimistes se font leurs adieux en 1941 pensant se retrouver et fêter noël ensemble. En 1945 que reste-t-il ? Bon ça c'est pas très important à la limite et tout le monde le...

le 22 mars 2018

13 j'aime

4

Du même critique

Le Hobbit : La Désolation de Smaug
ltschaffer
6

La déception de Smaug

En initiant sa nouvelle saga avec l’excellent Le Hobbit : un voyage inattendu, Peter Jackson a divisé les foules, s’attirant les ires d’une partie du public qui souhait vraisemblablement retrouver...

le 9 déc. 2013

71 j'aime

4

Le Convoi de la peur
ltschaffer
10

Voyage au bout du Styx

A l'occasion de la ressortie de Sorcerer par La Rabbia, j'en profite pour remettre à jour une ancienne critique de cette version restaurée, rédigée alors qu'elle avait été présentée à la Cinémathèque...

le 29 oct. 2012

54 j'aime

7