Production, écriture, réalisation, interprétation, montage… pas une casquette ne manque sur la tête de Lena Dunham. Control freak, la petite protégée de Judd Apatow ? Certainement un peu. La papesse du mumblecore (mouvement artistique fauché et bavard) se met en scène dans une série de filles. Figure tutélaire d’une fiction qu’elle articule autour de son geste, Dunham évoque ces personnalités-monde autour desquelles gravitent les instruments de son art. Dans une veine plus misanthrope qu’égoïste, on pense à Louis CK (in Louie). Les deux séries cultivent un même radicalisme, croyance fervente dans une forme qui dépasse les contours de la fiction américaine.
Autre point commun avec Louie, Girls se situe à New-York. Sans occuper une place importante, elle demeure indispensable. Génératrice d’ambiance, caution d’un style où la ville elle-même influe sur la nature du show. Dunham se love dans New-York pour exposer sa bulle, microcosme personnel dans lequel se débattent les quatre jeunes femmes. Y figure une inflexion authentique (des sentiments à la cruauté du monde du travail) sans l’encombrement d’un quelconque discours social. Dunham préfère construire autour du romantisme. Les sentiments amoureux, la vie de bohème où la plume subvient aux besoins. Au pragmatisme, elle préfère l’élégie. Des soliloques de jeunes adultes, prises entre les feux des besoins terre à terre (payer son loyer, trouver du travail…) et la recherche du prince charmant. Elles ont la naïveté de croire qu’il existe encore et le cynisme de banaliser le sentiment amoureux ou le sexe. Purs produits de notre époque.
Ode à la banalité, la première moitié de la saison alimente, sans passionner, l’image que nous donne Lena Dunham. En deux épisodes, la série effectue un volte face. Dans le 02x06, Hannah rend visite à ses parents. On ne la quittera pas. Sa situation n’a pas changé (pas de revenus, elle ne peut pas payer son loyer) et on peut imaginer que la confrontation à venir rappellera celle du premier épisode (ses parents l’invitent au restaurant pour lui couper les vivres). Tout l’épisode durant, cette aveux d’échec planera comme une épée de Damocles. Mais Dunham va habilement botter en touche et se servira de ce prétexte pour rapprocher l’enfant de ses parents. Ces derniers apparaissent moins comme les vils instruments de l’abandon mais comme n’importe quel couple essayant d’apprendre une leçon a sa progéniture. De la cruauté initiale, on passe à la compassion.
L’épisode suivant place les quatre femmes dans une fête hype dans un viel hangar. Point paroxystique de la saison présenté comme un twist shyamalanesque où Hannah, Marnie et Jessa apparaissent sous un éclairage moins flatteur, voire sous leur vraie personnalité. Comme pour l’épisode avec les parents, Dunham opère une manipulation du récit par sa façon de présenter les évènements, de composer l’image, d’orchestrer la narration et de placer le point de vue. Exercice très théorique de manipulation, la multitâche Dunham opère une mise à nue, une vérité non travestie d’elle-même et de ses co-héroïnes.
Lena Dunham exhibe ses défauts comme son corps : sans mise en valeur artificielle mais dans un cadre très composé (une réalisation très juste, sans esbroufe). Par pure conviction, elle maintient le cap, continue sur sa lancée, à se mettre en scène sans d’autres ornements qu’un éclairage cru. Elle se sait pas très belle, sa série l’est totalement. Elle peut être antipathique (comme Marnie et Jessa), elle conserve l’empathie malgré tout. Elle parle énormément, c’est tout le rythme de la série qui en dépend. Girls est le laboratoire du docteur Dunham. Une expérience douce amère dans laquelle la jeune femme est capable d’une infinie tendresse (Shoshanna, Adam) et d’une cruauté franche (Marnie, elle-même). Ce grand écart permet à la série d’obtenir un ton atypique. Quelque part, Girls fait partie de ces séries (Louie ou Mad Men) à posséder une identité si forte pour une réussite si importante qu’elle ne doit surtout pas servir d’exemple.