Ah, il n'y a pas à dire, après la désillusion Westworld, ça fait du bien une vraie bonne série western ! Bon, tout n'est pas parfait, loin s'en faut, mais ce petit Godless signé Scott Frank pour le compte de Netflix a de quoi enthousiasmer les amateurs du genre, et de bonnes mini-séries en général !
Godless, c'est l'histoire d'un gros méchant pas beau comme franchement seuls les westerns savent en produire. C'est vrai quoi, tout le monde parle de Star Wars et des comic books, mais depuis Liberty Valance du film éponyme jusqu'au Suédois de la série Hell on Wheels en passant par l'Indien d'Et pour quelques dollars de plus ou Lucky Ned Pepper des deux versions de True Grit, ils n'ont plus à prouver qu'ils savent produire quelques-uns des méchants les plus redoutables et les plus charismatiques du grand et du petit écran.
Ici, le sinistre individu en question se nomme Frank Griffin, il est à la tête d'une bande de renégats qui ravagent le Nevada. Lorsque le massacre de toute la population de la petite ville de Creede se révèle être la goutte d'eau qui fait déborder le vase de Roy Goode, meilleur tireur de la bande et fils spirituel de Griffin, le jeune homme s'enfuit et part se réfugier dans la ville minière de LaBelle, où un vilain coup de grisou a coûté la vie de la quasi-totalité de la population masculine. Mais les femmes de LaBelle sont prêtes à en découdre avec Griffin et quiconque viendrait faire la loi chez elles…
La description de Sens Critique a le bon sens de mettre Griffin au centre du pitch, mais tout le matériel promotionnel de la mini-série de Netflix n'en a pas fait de même, préférant jouer sur "une petite ville de l'Ouest, uniquement peuplée de femmes", angle il est vrai plus original, mais pas forcément le mieux exploré.
Godless, et ce n'est pas là le moindre de ses paradoxes étant donné son titre, est dominé de la tête et des épaules par l'interprète de Griffin, j'ai nommé Jeff Daniels. Cela fait pas mal d'années que je répète à qui veut l'entendre que Jeff Daniels est un des meilleurs acteurs américains de ces trois dernières décennies, et Godless apporte une nouvelle pierre à mon édifice.
Essentiellement connu pour son rôle de Lloyd dans Dumb and Dumber des frères Farelly, Daniels est un de ces gars qui excellent dans absolument tous les genres grâce à son aisance hors du commun et les multiples émotions qu'il arrive à transmettre, subtilement, par ses yeux gris. Avec sa barbe de père noël et son bras manquant, Frank Griffin hausse peu la voix, mais son charisme est impressionnant et on comprend pourquoi sa bande de loubards le suit et le craint.
En véhiculant aussi naturellement une telle aura de menace et de fascination, Daniels permet au scénariste d'éviter nombre de clichés du grand méchant psychopathe, notamment celui de tuer quelqu'un chaque fois qu'il est à l'écran (c'est à toi que je pense, Ramsay Bolton…). Passé le pilote, Griffin n'occit en effet pas tant de gens que cela ! Mais il n'en a pas besoin pour dresser les cheveux sur la tête du spectateur chaque fois qu'il apparait, d'autant qu'il est bien servi par une écriture intelligente qui parvient à le rendre intéressant et même attachant.
Le reste du casting ne peut rivaliser avec lui, mais chacun livre une prestation plus qu'honorable. Cela est particulièrement vrai de Michelle Dockery et Thomas Brodie-Sangster, qui arrivent à se débarrasser de leur accent anglais avec une facilité déconcertante pour leur rôle de la fermière Alice Fletcher et du gunslinger naïf Whitey Wynn respectivement. Scoot McNairy, qui joue Bill McNue, shériff de LaBelle, est quant à lui un de ces acteurs parfaits pour le western. L'Irlandais Jack O'Connell, déjà vu dans l'excellent 71 de Yann Demange, s'en tire plutôt bien avec le "héros' Roy Goode. J'ai plus de réserves sur Merritt Wever et ses grands airs dans le rôle de Maggie, de facto chef de la communauté après la mort des mineurs. Pour finir, Kim Coates est un de ces acteurs toujours parfaits dans les seconds rôles de pourris, en l'occurrence le shériff par intérim Logan, de même que mon chouchou Erik LaRay Harvey qui prête ses yeux globuleux à Elias, leader de la petite communauté afro-américaine.
Malheureusement, ce qui pénalise tous ces bons acteurs à l'exception de Daniels, et la mini-série en général, vient plutôt de l'écriture de Scott Frank. Simplement dit, je ne suis pas sûr qu'il y avait de quoi faire plus de six heures de programme – Godless aurait gagné à être un film de moitié cette longueur. Ou alors, il aurait fallu la limiter dans le temps et dans l'espace en se consacrant aux émotions des personnages, notamment les veuves de LaBelle ; c'est d'ailleurs comme cela qu'on me l'a vendu. Or, Godless ne tient pas vraiment ses promesses, car excepté Alice et Maggie, et encore, aucune femme ne bénéficie de la qualité d'écriture et du temps d'écran adéquats. Cela est particulièrement vrai de l'Allemande Martha (Christiane Seidel), artiste excentrique qui se voit improviser une romance absurde dans les deux derniers épisodes.
Au lieu de mieux tisser les liens entre les habitantes et de vraiment explorer la place d'une communauté quasi-exclusivement féminine dans un univers aussi macho, Godless part dans tous les sens. Avec toute l'affection que j'ai pour Scoot McNairy, je pense que son personnage de shériff à la cécité croissante n'apporte pas grand-chose d'autre à l'histoire qu'une métaphore aussi évidente que son alter ego le gamin myope d'Unforgiven de Clint Eastwood. De même, le personnage du journaleux sans scrupules est un vieux cliché usé jusqu'à la corde.
Le plus gros problème, c'est que tous les éléments de Godless sont en place dès la fin du pilote, et que pas grand-chose ne vient pimenter le chemin vers un affrontement que l'on sait inévitable. Hormis les séquences impliquant Griffin, le reste est à peine assez passionnant pour nous éviter de taper du pied jusqu'au final, car constitué principalement de clichés du western. La romance forcée entre Alice et Roy en est le plus flagrant exemple : Dockery et O'Connell n'ont aucune alchimie car le scénario ne leur permet pas, mais on sait pertinemment qu'ils coucheront ensemble "parce que".
Le pire, c'est que le final réussit en plus à être décevant ! Les cascadeurs et techniciens impliqués dans la bataille de LaBelle se sont donnés à 100%, ne nous y trompons pas, mais là encore l'écriture les dessert. La bande à Griffin parait soudain deux fois plus nombreuse que jusqu'alors, mais ils tirent comme des stormtroopers alors que les femmes font un carton à quasiment chaque coup. Je veux bien qu'elles sachent toutes tirer, nous somme dans l'Ouest après tout, mais le décalage est bien trop flagrant ! L'arrivée de McNue et Roy est également un gros cliché et pour finir, le dernier quart d'heure est pompé directement sur *Texte en italique*The Town de Ben Affleck ! Seul le duel final entre Roy et Griffin tient ses promesses.
Je sais que c'est facile à dire, mais à mon sens il y avait bien mieux à faire avec Godless. Une écriture binaire, centrée sur Griffin d'un côté et les femmes de LaBelle de l'autre, en éliminant le déchet inutile de la quête de McNue, du flirt Alice-Roy, du journaliste, etc, aurait permis de mieux développer les thèmes éminemment fascinants que la série entend explorer. Le résultat est néanmoins superbement filmé (ces décors naturels…) et constitue un bon western classique à bien des égards, la prestation de Jeff Daniels lui valant l'essentiel de ses 7 points. Mais si un producteur veut reprendre le concept pour un film de deux heures et demie, il y a largement de quoi corriger le tir pour faire un western féministe particulièrement marquant et original !