Nœud Gordonien

Une œuvre doit-elle être bonne pour être appréciée ?

Instinctivement, femmes et hommes au sens critique développé, nous avons envie de répondre « oui ».
Gotham me pousse à répondre « non ».

Je ne parle même pas là de plaisir coupable.
Aimer Fish Mooney serait un plaisir coupable. Ou une faute de gout. Ou de la provocation. Ou s’appeler Will Smith.

Cette question, digne d’un annal de Bac philo, m’est venue en regardant la série, que je visionnais au fur et à mesure de sa sortie US. Je m’étonnais d’être plus impatient à l’idée de voir un nouvel épisode de Gotham que de Game of Thrones.

Oui, je vous entends crier, me condamner et je peux ressentir ce petit mouvement du poignet pour fermer l’onglet. Mais je vous repose la question du début. Une œuvre doit-elle être bonne pour être appréciée ?

Car, oui, indéniablement Game of Thrones est largement supérieur à Gotham en termes de réalisation, de scénario, de jeux d’acteur, d’originalité, d’intensité… De tout, sauf, chez moi, en termes d’intérêt. Car oui j’ai pris plus de plaisir à regarder cette première saison de Gotham que la saison 5 de GoT.

L’attrait de la nouveauté ? Non. Constantine n’a pas dépassé plus de trois épisodes sur mon écran.

Est-ce parce que j’aime beaucoup le personnage de Batman ? Surement, mais pas seulement. Je ne suis pas prêt d’accepter n’importe quelle Bat-bouse (même si j’ai, d’une certaine façon, apprécié le film de 1966). Le Batman v Superman : Dawn of Justice suscite en moi beaucoup de craintes, par exemple.

Les défauts de la série, je suis le premier à les reconnaître. Sauf Fish Mooney, où j’ai fait un peu de résistance (ou de mauvaise foi, dirons certains mauvaises langues familières), car je l’appréciais au début et la pression sociale (étant dans le déni que mes interlocuteurs aient pu avoir raison) m’a forcé à reconnaître publiquement cette catastrophe. La réalisation est très irrégulière. La construction des épisodes est extrêmement classique. Les personnages sont irréguliers, quand certains ne sont pas tout simplement une hérésie (le potentiel Joker et Barbara Gordon en tête) (Fish Mooney n’existe pas dans la BD, donc elle est exclue de cette considération). Certains écarts avec l’univers d’origine semblent difficilement justifiables. Le rythme global de diffusion est incompréhensible.

La liste est longue. De l’autre côté, l’idée de prendre Gordon comme point d’attache est originale et offre un point de vue proche de Gotham central. Car au final, Gotham est surtout une série policière ayant pour fond l’univers qui va engendrer le Batman. Ce n’est pas une série de super-héros, elle prend tous les codes, jusqu’à ses défauts, de la série policière.
De même, il est rare de voir l’évolution de Bruce Wayne enfant. L’émergence des grandes figures de l’univers du Batman est intéressante. Et certaines sont de bonnes surprises comme Le pingouin cavalant largement en tête, Catwoman, Alfred ou encore Poison Ivy.
J’ai beaucoup apprécié cette ambiance pré-Batman et, sans être un fan pur et dur, j’ai pris plaisir à reconnaître plusieurs personnages ou références.

Je ne l’aurai pas cru, mais au final, je suis plus impatient de retrouver Jim Gordon que Tyrion Lannister.

Et j’en reviens, pour conclure, à ma question du début. Une œuvre doit-elle être bonne pour être appréciée ? C’est bien là toute la magie de l’art, quel qu’en soit ses expressions et son degré de sophistication (car, soyons sérieux, le terme est pris au sens large concernant cette série). Malgré toutes ses qualités objectives, une œuvre repose avant tout sur l’alchimie qu’elle établit avec son spectateur. Et chez moi, le charme de Gotham a agi.

(Mais cette considération ne doit pas pour autant servir d’excuse à Fish Mooney)

----- Mise à jour post saison 2 et 3 (2017)

Je ne reviens jamais sur une critique, car elle est souvent un instantané, le reflet de l'époque où je regarde une œuvre. Mais après avoir fini la saison 3, je me devais de revenir sur mes propos et me voit obligé de descendre ma note de deux points. Je ne conteste pas que la saison 1 était réellement plaisante, mais tout le potentiel de la série se voit gâcher par la suite.
La deuxième saison avait pourtant appris des erreurs de la première en offrant une intrigue plus globale, évitant ainsi des résolutions d'enquête bâclées. Mais la qualité a vite baissé, tout d'abord dans la réalisation. Si la première saison a su offrir quelques belles images d'une ville sombre, la saison 2 tombe dans la facilité et a une absence totale d'esthétique. Quand au scénario, nous allons de catastrophe en catastrophe. Les auteurs tordent tellement l'univers de Batman qu'il n'a plus aucun sens. Certes, l'univers de Batman a connu de nombreuses déclinaisons, mais ici, un Bruce Wayne y perdrait ses chauve-souris. Le personnage de Gordon en devient absolument ridicule, tant dans ses motivations que dans ses réactions. La saison 3 ne fait qu'accentuer ces défauts et enterre pour moi tout intérêt pour la série.