Gotham
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Gotham

Série FOX (2014)

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Je suis l'insignifiance. Je suis l'ennui. Je suis Gotham !

Je vais vous faire un aveu : Il y a quelque temps, je me suis amusé, tout seul dans mon coin, à m'écrire le synopsis de ma propre petite série « Gotham ». Je peux bien le reconnaître maintenant, le résultat n'était pas terrible. Mon amour de certains personnages en général ignorés se ressentait un peu trop pour le bien de l'intrigue, il aurait fallu au moins 5 saisons de 12 épisodes avec gros budget pour tout caser, il y avait beaucoup trop de gangsters et de politique, pas assez de Batman, trop d'inspirations de divers comics, et vraiment, vraiment trop de caméos. Mais c'était mon petit scénar' de série DC à moi, d'où une certaine affection. Et puis un jour, j’apprends qu'il y aura bel et bien une série Gotham, qu'elle n'aura rien à voir et que si je rêvais encore inconsciemment de gloire et de richesse grâce à ma super idée novatrice, je pouvais m'asseoir dessus. Dur.
Évidemment, ma première réaction fut une vague jalousie, vite suivie d'une certaine angoisse quand j'appris que la série prendrait place juste après l'assassinat des Wayne, soit une période plutôt vide côté anecdotes. Mais malgré ces sombres prémices, je décidais vite de laisser une chance à tout ça. Après tout, Batman, quoi ! A moins d'être un manche de marteau en mousse, on ne peut pas complètement foirer quelque chose là-dessus ! Et bon, je pouvais difficilement en vouloir à un studio d'avoir réalisé avant moi ce que j'avais rédigé sous word.
Après la longue, longue, très longue diffusion, je peux enfin critiquer en pleine connaissance de cause. Et je dois dire que mon brouillon m'a l'air beaucoup plus sympa qu'avant.


La série est un échec. Et la seule chose qui l'empêche d'être un échec flamboyant est de n'avoir jamais vraiment entrepris quelque chose. Comme par précaution, elle a tourné pendant 22 épisodes ( quand même ! ) autour de son sujet, tentant parfois un vague approfondissement auquel il ne sera jamais donné suite.
Bien sûr, tout n'est pas manqué, et certains épisodes parviennent à tenir la route sans problèmes. Mais la jolie tapisserie importe peu si le parquet de la maison se trouve au plafond. Et l'ensemble semble tellement tenir à sa boiterie qu'il passe la saison à se tirer des balles dans le pied. Ou à se le trancher avec une cuillère, au choix.


Commençons par le commencement, puisque si la série n'essaie pas d'être originale, je ne vois pas pourquoi je me gênerais. L'idée initiale, qui est censée ouvrir le bal et servir de fil rouge pour le reste de la série, est qu'on suit le jeune James Gordon, tout juste rentré de la guerre, nouvellement muté à Gotham. Sa première affaire sera, bien entendu, le meurtre des parents Wayne. Intègre et stoïque, il deviendra le seul tenant de la justice incorruptible, dans une cité rongée par le crime. Dans les rangs de la pègre, le jeune Pingouin tente de profiter des dissensions entre les familles mafieuses Falcone et Maroni pour consolider son propre pouvoir. Chibi-Bruce fait face au deuil et cherche la raison derrière la mort de ses parents. De leurs côtés, Catwoman et le Sphinx jouent à qui fera la plus subtile référence à leurs futurs alter-ego. Ils ont perdu tout les deux. Voilà pour les arcs récurrents.
Premier problème, la série se présente comme une succession d'historiettes, du format un épisode=>une enquête, plutôt que comme un ensemble uniforme et cohérent. Certes, l'idée a ses avantages pour favoriser le défilé de caméos, mais elle donne à toutes les trames qui ne sont pas directement concernés par l'ordre du jour un petit côté parasitaire, superflu. Le duo Alfred/Bruce, par exemple, pourrait être bon s'il n'était pas aussi négligemment relégué à un chapitre convenu et forcé que les scénaristes se sentent obligés de placer, mais sur lequel ils ont hâte de pouvoir tourner la page. Bruce devient donc un traumatisé, un émo, un convalescent, un garçon amoureux, un vengeur, un détective, un homme d'affaire, tout ça dans la même foulée qui ne paraîtrait pas déplacée sur un champ de course. Pour le Pingouin, pareil, il aura droit à son sketch toutes les semaines qui ne suffira pas à approfondir ou à poser quelque base que ce soit. Du coup, la qualité de l'épisode est complètement dépendante de ce que doit affronter Gordon de son côté. Eeet... C'est à peu près aussi bien que ce qu'on peut attendre d'un personnage ou d'une situation développée en 40 minutes avec deux ou trois sous-intrigues à côté. Certaines sont passables ( l'Epouvantail ) d'autres me font tellement pitié que je leur donnerais bien deux ou trois sous si je les croisais dans le métro ( la Chèvre ? Vraiment ? ). Bref, le rythme en devient complètement haché, et bloque la plupart des tentatives de construction que pourrait tenter la série, que ce soit sur Gotham elle-même ou sur ses personnages.
La ville, d'ailleurs, parlons-en. J'ai le regret de vous dire que « Gotham » n'est qu'un titre qui sonnait bien, et qu'elle n'est au final pas du tout le sujet de la série. Il y avait pourtant quelque chose à tenter à partir de la simple vie et évolution de cette métropole, peu à peu devenue un personnage à part à entière de l'univers DC. Cité crépusculaire, gothique, corrompue et grandiose à la fois, mêlant le style des années trente à celui de l'an 2000, creuset de la folie criminelle et utopique, repère des âmes perdues qui n'ont plus d'autre espoir que d'aller au bout de leur démence, peuplée de gens ordinaires qui n'ont plus d'autres choix que de composer avec le chaos sur leur palier, tâchant de faire fonctionner plus ou moins normalement une ville en perpétuel sursis.
Non, à la place, le sujet, c'est... Eh bien... Euh... Une série de flics ? De gangsters ? Les aventures d'un gamin qui cherche les assassins de ses parents ? Un truc sentimental ? Un truc d'horreur ?
On est d'accord, une bonne série se doit d'avoir des thèmes divers. Ce serait juste mieux si elle savait les traiter. Or les aspects cités plus hauts sont très pauvrement présentés, les forces de l'ordre se résumant à quatre ou cinq personnes lancées dans des intrigues scooby-doesque, les luttes entre criminels ressemblant à une succession de passages obligés de films de genre, mais mal compris ou mal appliqués, et les romances n'intéressant visiblement pas les scénaristes, qui les font naître ou mourir selon les besoin du moment. La relation entre Barbara et Renée Montoya m'a d'ailleurs particulièrement fait rire, tant on dirait que le scénario a juste renoncé à la traiter d'un épisode à l'autre. « Je t'aime oui mais non donc au revoir ». Tiens, cette phrase résume d'ailleurs à peu près la réaction des spectateurs face à cette série, c'est fou.
Mais s'il est implicite qu'une histoire doit aborder différents genres, il va de soit qu'elle doit aussi veiller à ce qu'ils forment un tout cohérent. Et force est de constater qu'on entre ici en terrain étrange, puisqu'il y a, au fur et à mesure de l'intrigue, de moins en moins de liens logiques entre les trames. Si au départ Jim Gordon enquête sur l'assassinat des parents de Bruce et soupçonne les familles mafieuses, cette prometteuse situation ne donnera au final rien de concret et ne servira plus que de prétexte pour la suite, justifiant que les personnages se connaissent. Bref, l'inverse d'une narration « logique » habituelle, puisque les différents arcs s'égaillent à travers la scène au lieu de se connecter peu à peu pour le final, ce qu'ils ne feront que d'une manière complètement artificielle, qui laissera sceptique le plus ardent défenseur de Luc Besson.
De là, on peut sérieusement se poser la question : avec quel niveau de sérieux, de concertation et de prévision le scénario à-t-il été conçu ? On dirait sérieusement que certains twists sortent du chapeau, tandis que d'autres personnages n'en peuvent plus de se tourner les pouces durant leur apparition hebdomadaire. Aux pires moments, nos gentils protagonistes se répartissent les rôles entre : celui qui a sa mission du jour (Gordon) ; celui qui fait semblant de suivre un plan de longue durée qui sert à sa trame, mais constitue plus un remplissage destiné à justifier sa présence (Bruce, le Pingouin, Nygma), et celui qui part dans un filler assumé (Barbara, Fish). Il s'en dégage comme un terrible manque d'envie, comme si les chargés du script n'y bossaient que de loin en loin et ne se repassaient les épisodes précédents que par à-coups. Les vingt-deux épisodes se font conséquemment rudement sentir, ce format semblant boursouflé pour ce que la série en fait. Exemple typique de maladresse : La production avait annoncé, durant la campagne de promotion, un joker potentiel par épisode. Après nous en avoir fourni deux au début, le concept disparaît durant près d'une quinzaine, pour revenir sur deux épisodes à la suite de façon subtilissime. De là à penser que l'équipe avait juste oublié cette annonce jusqu'à ce qu'on la leur rappelle, il n'y a qu'un pas que même Killer Moth franchirait en dansant la cucaracha. Pareil pour le Dollmaker (même pour moi, c'est un antagoniste plutôt obscur, et vu ce qu'ils en font, il aurait pu le rester). Après une évocation en épisode 2, il ne réapparaît que bien après, pour un long caméo sans aucune relation avec la choucroute, où il ne fera rien d'important. Seule espèce d'habileté : trois apparitions d'hommes à masque de cochon, sans doute supposées faire penser à la présence du professeur Pyg, alors qu'il n'en est rien. Pas mal joué, mais à côté, il faut quand même regarder la série chercher à justifier que le Pingouin soit encore vivant au bout du cinquième épisode, et accepter que la trilogie d'épisode sur « pas-du-tout-Fifty-Shade-of-Gray » soit ingénue et pas une tentative putassière de récupérer du public ( le pire, c'est que c'est peut être la meilleure enquête... ).
Petit exemple de potentiel gâché : Roman Sionis et Tommy Elliot. Black Mask et Hush. Ceux qui ont eu la malchance d'aborder avec moi de près ou de loin le sujet de Batman savent que je considère Black Mask comme LE meilleur méchant de l'univers DC, le mieux pensé, celui avec le plus de potentiel, le reflet le plus intéressant du héros. Quand à Hush, malgré son origine de bric et de broc, sa fascination pour Bruce Wayne et ses dons chirurgicaux deusexmachinesque en font un antagoniste qu'il fait toujours plaisir de voir. Mais surtout, de toute la galerie de tordus, ils sont, avec Catwoman, le Pingouin et peut être le Sphinx, les seuls à avoir une vraie raison d'être là. En effet, ils sont supposés être les amis d'enfance de Bruce, et développer leur comportement sociopathe dès le jeune âge. Est ce que ça n'aurait pas été une occasion livrée sur plateau de développer le trauma de Bruce à travers ses relations ? De le voir se forger sa résolution pour le bien quand ses camarades sombreraient peu à peu dans un chemin plus obscur ? Ajoutez y Catwoman et on aurait enfin une vraie dynamique pour la partie juvénile de la série. Au lieu de, ben, vous voyez, n'importe quoi. Ça n'aurait pas forcément sauvé les meubles, et ça n'aurait pas nécessité beaucoup de temps d'écran ( entre 6 et 8 épisodes d'apparition auraient pu suffire ), mais ça aurait été un plus indéniable pour le développement du futur Batman, et un indubitable argument pour le standing de la série, qui aurait abordé un sujet sérieux.
Mais bien entendu, on s'en fout, de tout ça. Pour ajouter l'insulte au coup de pied dans les parties, nos deux amis sont traités dans le même épisode. L'un est un adulte qui a un masque et force les gens qui travaillent dans son entreprise à se battre (?) et l'autre est un gamin qui bave de sadisme (!). Bon bah, c'était sympa de rêver. Et je ne vous parle pas de Harvey Dent.


La série hésite donc, à cause de son cadre temporel pourrave, entre faire des clins d'oeil timides et , parce qu'il faut bien raconter quelque chose, broder une histoire à partir de ces clins d'oeils. Situation problématique. Si on va trop loin, Batman se retrouvera à combattre des grabataires et aura l'air d'un dingue costumé parmi d'autres. Si on ne va pas assez loin, il ne se passe strictement rien. Mais toutes ces faiblesses peuvent être compensées, au final, par une habileté d'écriture, une bonne ambiance, des effets sympas ou même simplement de bons acteurs. Et je peux le déclarer solennellement : Mouairf, quand même, parfois.
L'écriture est handicapé par les problèmes précédemment cités. Elle donne donc souvent naissance à des trames un peu couillonnes, qu'elle résous généralement grâce à des twist du même tonneau. Pareil pour le traitement des relations entre certains protagonistes, appliqué à la truelle. Ou encore les impasses logiques, qu'elle préfère ignorer, comme la chance insolente et improbable de Cobblepot et de sa face de traître congénital face à deux don paranos, ce qui donnera lieu à des non-sens de pure beauté. Cependant, les dialogues en eux mêmes, ceux du quotidien, les vannes, le badinage, même les petits discours pompeux, tout cela est plutôt bien traité et rend l'enchaînement des séquences, même les plus absurdes, sympathique. ils parviennent même, quand l'anodin rencontre l'important, à rendre des scènes tout simplement bonnes ( on pensera au jeu du Pingouin et de Maroni. Enfin, ceux qui ont vu la série. Les autres penseront à une paupiette de veau ). Tout n'a pas toujours grand sens, mais au moins, ce n'est pas pire que le rien qui est juste rien. Les vrais comprendront.
La série se plante par contre magistralement dans la partie technique. C'en est presque douloureux. Entre les plans sur la ville qui ont de moins en moins de budget au fil de la saison ( ne cherchez pas le dirigeable de l'affiche ), les ralentis et les «tadadaaaaaa» qui semble être la marotte de certains réalisateur du show, mais pas tous, voire tout bêtement la platitude de la mise en scène, la série peine à gagner une véritable identité. Elle n'a ni musique, ni décor, ni scène d'action particulière qui lui offriraient une ambiance véritable. Au moins ne joue-t-elle pas la carte de l'ultra modernité, avec référence à des pop-star ou autre salamalecs.
Quand aux acteurs... C'est le grand chelem. On passe du bon (Alfred, Bullock) au pas mal (Nygma, Cobblepot, Gordon) au passable (Bruce, Fish) jusqu'au toupouri (Selina, jeezus kraïst !!!!). Je tiens cependant à distinguer les acteurs qui jouent Maroni et Falcone, vétérans d'HBO, remarquables dans leurs rôles respectifs, aptes à rendre chacune de leur scènes intéressantes par leur seule présence. Si j'avais une seule vraie raison pour conseiller cette série, ce serait pour leur performance, loin au-dessus des autres.
Sur ces points là, il s'agit encore une fois plus d'une œuvre mineure, sans prétention et c'est tant mieux, plutôt que d'une catastrophe.


Au final, Gotham ne parvient pas à être plus que ça, une série qui se laisse voir, un œil sur l'écran et l'autre levé au ciel. Parfois distrayante, parfois un peu drôle, parfois carrément navrante, jamais palpitante, elle souffre d'un manque d'investissement dans sa conception et dans son exécution qui ne la condamne qu'à rester un batarang perdu dans l'immense univers de Batman, univers qui attend toujours sa nouvelle révolution depuis la série animée de Paul Dini, dont la vision de cette nouvelle Gotham ne peut que nous rappeler que cette simple série pour enfants reste sans rival à ce jour.
Du moins, jusqu'à ce que vous souteniez mon super-projet de série Batman ! Avec des caméos comme s'il en pleuvait, des intrigues beaucoup trop confuses pour ce que c'est, des flingues partout, des dilemmes shakespearien et Batman qui apparaîtrait une fois tous les trois épisodes ! Allez quoi, soyez sympas ! Maxxie Zeus m'a déjà promis 40000 drachmes et la Bithynie orientale s'il avait un rôle majeur !
Parce que nous avons besoin maintenant d'une série que nous méritons.

Kevan
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le 27 août 2015

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