L'Impossible Vérité
J'avais treize ans lorsqu'en 1984 un banal et sordide fait divers venait secouer la France. Je me souviens encore de l'image de ce gamin à la une de tous les journaux et surtout de cette photo...
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le 23 nov. 2019
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L'un des témoins de la mini série / documentaire Grégory le relève durant son intervention ; l'affaire Villemin réunit tous les ingrédients pour faire un bon fait divers.
Il y a en guise de prémices le harcèlement téléphonique d'un corbeau qui se rit, qui invective, qui tourne autour de ses victimes pour en trouver le point faible. Et qui menace. Le tout sur fond de secrets d'une famille impénétrable et fermée, terreau de tous les fantasmes et de tous les mobiles.
Il y a ensuite cette jalousie prolo de classe et d'apparence, éprouvée envers celui qui a quelques francs de plus sur sa fiche de paie. Il le regrettera bientôt, le « chef », qui vient juste de se payer un canapé en cuir flambant neuf, qui vient de payer sa belle maison pour abriter sa jolie famille.
Puis le drame de la disparition et de la perte.
Grégory avait quatre ans. J'avais le même âge que lui. Et j'ai grandi au rythme des rebondissements de l'affaire qui porte son prénom.
A l'époque, j'étais bien en mal de comprendre tout ce qui entourait le mystère de sa mort.
Grégory, durant cinq épisodes, nous rappelle chacun des aspects de l'affaire, chacune de ses embardées, chacun des ratés qui ont peu à peu fait que la vérité s'éloignait.
Tous les ingrédients du fait divers haletant étaient réunis : une mère que l'on soupçonne, un accusé tout désigné blanchi, un témoin qui se rétracte, la loi du talion qui s'exerce. Et ce minable petit juge, souriant derrière ses grosses lunettes rondes, avec ses airs désinvoltes et dilettante. Un juge qui n'a pas envie de sacrifier son week end alors qu'un témoin clé accuse. Un minable petit juge pour qui le secret de l'instruction est une notion inconnue, qui se répand dans les médias et se laisse manipuler par un avocat au moins aussi minable que lui. Un petit juge qui, enfin, multiplie les vices de procédure faisant tomber des pans entiers de l'enquête.
Il y a aussi cette rivalité entre gendarmerie et police, l'un de ceux-là avouant même qu'il reprend l'enquête de ses supposés collègues non pas pour trouver un coupable, mais pour les enfoncer.
Il y a enfin la fascination morbide des médias de caniveau qui feuilletonnent, déroulant chaque jour un storytelling tout simplement odieux, tout cela bien avant l'invention des chaînes d'info en continu.
Des médias de connivence, qui lancent la traque, et organisent une véritable chasse aux sorcières, faisant de la mère de Grégory la figure du mal, mère inculpée par le minable petit juge alors qu'elle se trouve à l'hôpital. Des médias dont les dérapages sont légion, tandis que le tourment judiciaire semble ne jamais prendre fin pour cette famille brisée, livrée au voyeurisme le plus dégoutant et le plus honteux.
Sans qu'aucune leçon, malheureusement, n'ait été tirée des manquements, des fautes lourdes de la justice, de l'acharnement des journalistes ou encore des délires haut perchés de personnalités s'intéressant, de loin, plus au fait divers qu'à la manifestation de la vérité.
C'est que les dérives de l'affaire Grégory ne sont pas sans rappeler Outreau, avec le même cortège de dérapages, d'incompétence et de petit juge minable dont la justice n'a toujours pas été débarrassée. De quoi alimenter une nouvelle chronique made in Netflix ?
Grégory ne recèle aucune surprise, aucune révélation fracassante, mais livre des anecdotes parfois invraisemblables, des retours sur les événements fascinants livrés par ceux qui les ont vécus, soit toute l'atmosphère d'une enquête hors-norme qui est partie, dès le départ, dans la mauvaise direction. Grégory livre un portrait sans concession et effrayant de cette même justice imbécile, du grand barnum médiatique des pisse-copies et de l'opinion manipulée de 1984, année où le temps semble s'être figé pour la famille Villemin.
La série est littéralement éclairée par la solidité de ce couple, cimenté par le chagrin, sous influence de grands reporters essayant de faire ami-ami. Des victimes que l'on soupçonnent, qu'on lynche, dans une fascination criminelle nauséeuse.
Grégory revient donc sur l'histoire d'une faillite judiciaire systémique insoutenable, habitée de protagonistes, Michel Villemin, Murielle Bolle, les grands-parents, qui se rétractent, ou donnant l'impression qu'ils en savent bien plus qu'ils ne le prétendent. Grégory dessine quelques éclaircies bienvenues, telle l'arrivée du juge Simon, avant que la vérité ne se dérobe une nouvelle fois dans un énième rebondissement improbable dont les meilleurs faits divers ont le secret.
Une vérité qui, plus de trente ans après, a maintenant très peu de chance d'éclater...
Behind_the_Mask, qui ne croit plus en la justice.
Créée
le 16 juin 2020
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