J'entends déjà crier au scandale ! vu la réputation fumeuse que possède Heroes, annulée par NBC en 2010, sur une saison 4 inachevée et dont l'ensemble aura laissé plus d'un sceptique (je l'ai été aussi). Ça n'est pas faute d'avoir tenté, la série pataugeant laborieusement depuis la fin de la saison 1, entre une saison 2 plus ou moins catastrophique, et deux saisons finales qui auront tenté de lui donner un nouveau souffle – parfois, souvent, en vain –, et quel dommage, quand on a pu apprécier le potentiel de la première saison, et ses moments jouissifs de petit écran, rapidement saccagée par une écriture totalement aléatoire ayant fait de ce petit bijou dans ses premières heures, un ratage regrettable.
La saison 1 de Heroes – absolument brillante – avait fait de moi une fan immédiate, incline à ingurgiter un épisode après l'autre dans l'attente de découvrir le prochain pouvoir de tel anonyme (comme une gosse émerveillée), tenue en haleine par des enclavements scénaristiques encore pertinents, fascinée par le rôle que chaque héros pouvait tenir dans cette grande lignée d'individus à la X-Men se découvrant des pouvoirs qu'ils étaient incapables de comprendre et de contrôler... attendant indéfiniment qu'ils se regroupent pour former une ligue de super-héros ; attente jamais comblée, comme beaucoup d'autres après elle.
L'intérêt de cette saison instauratrice, c'était sa capacité à faire des destins de ces personnages anonymes, aux profils et origines variés – passant du looser magnifique à la mère de famille ou encore à la lycéenne, archétypes de la pop culture américaine de base, figures ancrées dans l'imaginaire collectif (je pense surtout à Claire Bennet/Hayden Panettiere, cheerleader indestructible dont les aspirations rappelaient celles d'une certaine Buffy Summers en son temps) –, venus des quatre coins du monde, une envolée épique et réjouissante : série chorale dont les prémisses ressemblait à un véritable puzzle qu'on assemblait progressivement, avec l'enthousiasme d'un travail soigné, jusqu'à en découvrir les prochaines pièces, elles-mêmes alambiquées de façon cohérente et réfléchie.
Malheureusement, la première saison s'est clôt par un final loin des attentes qu'il avait suscité, allant de mal en pis par la suite, et poursuivant sa route sur une seconde saison qui brasse de l'air (en pleine grève des scénaristes), allant jusqu'à – littéralement – enterrer son Big Bad, pour le ressortir inopinément quand les besoins de l'histoire le demande.
Le problème avec Heroes, c'est qu'on a réellement l'impression que Tim Kring et son équipe ne savent absolument pas ce qu'ils font ou, qu'au pire, c'est le dernier de leur soucis. Comme on lancerait un pari, plein de volonté, avant de se dégonfler totalement. A mesure que la série avance, le travail se fait de moins en moins méticuleux, exposant des projets brouillons, voire carrément utilisés pour combler le vide et faire remuer l'intrigue qui, elle, avait plutôt tendance à faire du surplace qu'à véritablement évoluer, avançant de deux pas pour reculer de quatre.
Tel un néophyte de son propre univers, Tim King n'hésite pas à afficher des incohérences énormes d'une saison à l'autre (le mystère de la fratrie de Niki Sanders et Tracy Strauss, plus une combine pour se débarrasser du personnage sans en faire de même pour l'actrice) et à trahir ses propres personnages – Matt et Nathan perdent toutes les valeurs qu'ils chérissaient tant, oscillant perpétuellement entre exécrables et sympathiques – avec une satisfaction parfois ridicule.
La plupart du temps, Heroes tente d'apporter de la crédibilité à ce qui n'en a pas, jouant sur les attentes du spectateur – imaginant des twists improbables pour faire durer l'action et le suspens – pour le bercer d'illusions et lui cracher dessus, introduisant des choix irréfléchis voire inutiles (et si Mohinder et Ando s'injectaient des pouvoirs ?) n'ayant aucun impact sur la suite.
On a sans cesse l'impression d'avoir à faire des scénaristes montrant un désintérêt progressif et certain pour le scénario, se parant de rebondissements impulsifs, momentanés, d'histoires épisodiques, et n'ayant parfois strictement aucun impact sur la suite des événements : ouvrant la voie à des intrigues et sous-intrigues intéressantes, mais jamais achevées, ou même poursuivies, faisant, entre autre, aller et venir des personnages sans raison.
Comment une série peut-elle être aimée si ses auteurs ne portent aucun amour à leurs personnages ? Ici, l'intrigue ne les sert pas, c'est le contraire. Les personnages servent de bouche-trous, dont l'évolution caractérielle en pâtit, parfois inventés le temps d'une paire d'épisodes pour faire avancer l'intrigue, avant d'être indifféremment et sommairement expédiés (la liste est longue).
Ce qu'il a manqué à Heroes, c'est une véritable colonne vertébrale : à toutes ces petites lignes directrices bancales et maladroites, lancées sur le tard et basées sur un schéma répétitif donnant l'impression que ça n'avance pas (Papa Bennet et Maman Petrelli mentent, Sylar hésite entre le Bien et le Mal, Peter joue encore et toujours le bon petit américain et Hiro ne sait pas se servir de son pouvoir) on aurait du privilégier une vision globale, définie, planifiée, pour donner de la constance à un ensemble qui aurait pu être culte si on lui en avait donné les moyens. Le problème, c'est qu'entre le début et la fin de la série, on dirait que rien n'a compté, ou si peu, pour ceux qui l'ont écrite.
En attendant, Heroes, c'est un pêché mignon qui a son charme : cet aspect comics-like, où l'on esquisse les choses sur quelques cases, dans un univers d'illusions et cartons, bluette de rêves d'enfants artificielle, mais attachante.