Il y eut une époque où on ne voyait pas d’inconvénient à joindre l’utile à l’agréable même dans des créations destinées à un public en général d’autant plus facile à satisfaire qu’il se trouvait jeune ; au contraire, cette jeunesse devenait la première raison derrière la dimension didactique de l’œuvre qui servait de la sorte à apprendre tout en s’amusant. Si nombre de productions Walt Disney adoptèrent ce principe, on peut aussi évoquer parmi les créations européennes la série TV d’animation Il était une fois… l’Homme (1978) d’Albert Barillé (1920-2009), une pionnière dans le genre, qui vulgarisait avec intelligence des éléments tant scientifiques qu’historiques à travers une narration de l’histoire de l’humanité – j’insiste sur ce terme de narration puisqu’on trouvait bel et bien dans cette œuvre des personnages récurrents dont les destins s’entrecroisaient en formant de véritables récits.
Pourtant articulée autour d’une idée semblable, celle de la transmission d’un savoir et d’une connaissance grâce à une réelle pédagogie, Il était une fois… l’Espace (1982) donne au premier abord l’impression d’ambitions plus simples : avec son univers futuriste typique du space opera sur lequel plane l’ombre évidente de Star Trek (Gene Roddenberry ; 1966-1969) et où trouvent lieu nombre d’aventures laissant une place abondante à l’action, cette production-là semblait plus axée sur le pur divertissement que son prédécesseur, et ce malgré l’exposition de plusieurs éléments relatifs aux techno-sciences – comme celles concernant les connaissances astronomiques par exemple. Malgré tout, cette série parvenait avant tout à vulgariser avec une sensibilité certaine un genre jusqu’alors hors de portée des jeunes enfants : la science-fiction.
Car on trouve dans Il était une fois… l’Espace nombre de thèmes typiques du domaine, mais ici traités avec finesse à la différence de la plupart des autres productions audiovisuelles relevant du genre et qui n’en conservaient alors que les éléments les plus spectaculaires. Parmi ces axes, on peut citer en particulier : l’intelligence qui se développe dans une forme de vie ne pouvant normalement pas l’accueillir ; les visiteurs de l’espace qui se font passer pour des divinités aux yeux des habitants d’une planète au niveau technologique préhistorique (1) ; la révolte des robots qui s’estiment supérieurs aux hommes quand ceux-là pensent que la pure logique mécanique ne peut rivaliser avec sensibilité et compassion ; les voyageurs de l’espace qui ont passé tant de siècles en hibernation que l’Histoire les a rattrapés à leur réveil ; l’Atlantide comme une colonie fondée jadis par des extraterrestres ; les navires de l’espace tueurs de mondes ; une scène politique complexe, à l’échelle de la galaxie et où les rapports de force se montrent souvent délicats.
Mais on y trouve aussi une description des faits marquants du troisième millénaire, à travers ce qui prend presque l’allure d’une « histoire du futur » (2) résumée lors d’un épisode et où d’autres thèmes marquants se trouvent évoqués dans un portrait de l’avenir où transparaît une véritable conscience historique des rapports entre les événements qui ne laisse aucune place à l’optimisme béat : la destruction de l’environnement due à la surpopulation menant à l’eugénisme qui provoque les tensions sociales où prend racine une guerre mondiale dont la planète ressort anéantie, précipitée dans un nouvel Âge sombre étalé sur plusieurs siècles ; dans la troisième Renaissance qui s’ensuit, la guerre se trouve bannie mais les progrès techniques qui donnent aux hommes l’impression de se sentir inutiles les poussent à détruire leurs machines et leurs robots, en les renvoyant ainsi à nouveau en arrière : seule la conquête de l’espace, enfin, permet à l’humanité de dépasser ses limites, et notamment à travers la fondation d’Oméga…
Il vaut néanmoins de noter qu’on trouve aussi dans Il était une fois… l’Espace de nombreux autres thèmes sans rapport avec la science-fiction mais malgré tout intéressants et parfois même assez innovants pour l’époque. Ainsi, de nombreux éléments à caractère progressiste tiennent une place centrale : par exemple, si la Confédération d’Oméga est dirigée par une femme – présidente démocratiquement élue –, elle comprend aussi plusieurs types raciaux – la protagoniste principale féminine, Psi, affiche une couleur de peau non conventionnelle. De plus, plusieurs épisodes illustrent les problématiques de mythes classiques comme celui de Prométhée, de la Pomme de Discorde ou de David contre Goliath, parmi d’autres. Enfin, des questionnements d’ordre philosophique, ou du moins métaphysique se trouvent au centre de plusieurs épisodes : le sentiment d’insécurité des hommes face au système technique (3), l’impossibilité pour celui-ci de remplacer un jugement humain, l’opposition entre la solidité apparente des dictatures et la fragilité des démocraties, etc.
Et cette richesse thématique trouve un écho dans une créativité artistique qui de nos jours encore reste étonnante par sa qualité et sa réalisation. Si l’animation en elle-même correspond aux standards de l’époque, les différents designs échafaudés par Procidis et le studio japonais Eiken démontrent une volonté de réalisme encore assez rarement affichée en ce temps-là, du moins dans les séries d’animation : les décors et les différentes machines, vaisseaux et véhicules, tous très détaillés, se veulent résolument palpables – à défaut de tout à fait réalistes. On ne peut, sur ce point, passer sous silence le travail de Philippe Bouchet, alias Manchu, qui à l’époque avait déjà collaboré à Ulysse 31 (1981) et dont l’immense talent, déjà, parvenait à donner une personnalité peu commune à ses designs ; il est d’ailleurs assez étonnant de voir comme ce jeune artiste se trouvait à l’époque encore profondément influencé par le style de Chris Foss, ce qui d’ailleurs donne à Il était une fois… l’Espace une bonne partie du classicisme de ses visuels – et je parle bien de classicisme SF…
Pour toutes ces raisons, ceux d’entre vous qui connaissent le bonheur de la parenté et qui souhaitent sensibiliser leurs enfants aux problématiques courantes de la science-fiction, mais aussi d’autres, relatives à des domaines différents bien que tout aussi importants, se verront bien inspirés de se procurer l’intégrale de cette œuvre à bien des égards exceptionnelle.
(1) ce qu’on appelle la troisième des lois de Clarke
(2) dans le vocable de la science-fiction, ce terme désigne une suite de récits qui dépeignent un avenir en évolution et dont chaque histoire permet d’en explorer un segment ; beaucoup d’écrivains de science-fiction ont produit des séries de ce type, tels qu’Isaac Asimov (1920-1992), Arthur C. Clarke (1917-2008) ou Robert A. Heinlein (1907-1988), pour citer les plus connus.
(3) pour plus de détails sur ce point, se reporter à l’ouvrage-phare de Jacques Ellul intitulé Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).