Irresponsable
7.3
Irresponsable

Série OCS (2016)

Saison 1 (Juillet 2016).


En voyant récemment Le Nouveau, de Rudi Rosenberg, je me disais qu’il représentait bien et de façon assez singulière et pertinente ce que c’est que d’avoir 14 ans. Et en allant voir La loi de la jungle, d’Antonin Peretjatko, j’avais l’impression que pour la première fois on nous disait de but en blanc, que dans la société d’aujourd’hui, la majorité des stagiaires ont 35 ans. Irresponsable arrive dans cette veine là à relier ce double ancrage moderne. Il est donc possible d’avoir 30 ans, d’être père sans le savoir et d’avoir un CV à néant. C’est lorsqu’il postule comme pion dans son ancien lycée que Julien va croiser son amour de jeunesse et fumer un joint avec un élève dont il apprendra bientôt qu’il est son fils. C’est un pitch aussi génialement impossible que le scénario sera hautement probable, au sens où l’on finit par croire, au-delà du geste comique, à cette folle histoire, sans doute parce que les créateurs y croient dur comme fer aussi.


 Le premier épisode est très intelligent car il installe toute l’intrigue sans qu’on ait une impression de surcharge. Les suivants se positionnent dans sa roue ; Il y a une puissance dramatique en sourdine tant les premiers épisodes semblent relativement inconséquents (à l’image de celui de la « fugue » nettement en-dessous du lot) mais le crescendo émotionnel va s’installer progressivement et finir de l’emporter par ko.
L’épisode du diner marque la rupture. Jacques n’apparait pourtant pas dans cet épisode mais il est partout car c’est ici que la comédie de remariage explose et prendra son envol sublime lors des trois derniers. En effet, comment s’attendre à celui qui s’offre derrière, celui de l’anniversaire de Jacques, avec un marivaudage de grande classe lui permettant d’être à la fois au milieu de ses parents que de ses grands-parents respectifs ? Comment parvenir à créer cette union magnifique autant qu’insolite dans cette cuisine, autour d’un texto et d’une cigarette ? La cuisine confirme d’ailleurs aussi l’alchimie délicate mère/fils qui règne entre Julien et sa mère, ce même si leur relation peut parfois sembler houleuse ou s’aventurer dans le dialogue de sourds. Et que penser alors de ce plan panoramique dans la rue où la perfection de la reconstruction est désamorcée par cet humour bien caractéristique « Putain tu pues des cheveux. Je t’aime mais tu pues des cheveux » ?
C’est une série aussi très drôle, qui trouve de vraies trouvailles comiques où les petits détails importants sont légion et finissent d’emporter l’adhésion, comme la bière posée sur le lit qu’on finit forcément par renverser ; La portière de voiture qui reste fermée car « J’ai ouvert quand t’as ouvert » ; Le « Best grand’ma » sur le tablier ; La petite cabane dans les bois ; La capote ; Les couleurs des manteaux ; Et puis le générique est très beau, ça m’a plu de l’entendre et de le regarder dix fois.
Et tous les personnages, j’ai bien dit tous (même Adrien, si si) m’ont plu et surtout les femmes. La mère dégage un truc qui me plait beaucoup, un truc de mère dépassée et de grand-mère décomplexée (Ce qui est assez étonnant étant donné les évènements) que je trouve assez réjouissant. Elle n’est jamais un faire-valoir, mais un vrai personnage, comme pouvait l’être la mère d’Hervé dans Les beaux gosses. Et Emma est géniale. Elle est belle, elle a quinze ans, elle a donc tout pour être la pétasse écervelée du lycée – Celle qu’on nous offre régulièrement dans les fictions stéréotypées – mais c’est en fait la plus lucide, intelligente, ouverte. Et puis il y a Marie. Ah, Marie. Je suis amoureux.
C’est bien simple, j’ai adoré. C’est une vraie bouffée d’oxygène, aussi bien dans le paysage de la série française que dans le format série tout court, à ranger sans forcer aux côtés de Love, la dernière production Apatow. Et je suis ravi de revoir Sèvres ou proche Sèvres (Chaville en l’occurrence) à l’écran depuis le sublimissime Memory Lane, de Mikhaël Hers. Belle et mystérieuse à la fois, solaire/automnal d’un côté ou lumineuse/hivernale de l’autre, il y a dans ces deux approches formels des lieux quelque chose qui me touche beaucoup. On a l’impression qu’on n’avait jamais filmé ces lieux comme ça. Qu’on ne les avait jamais vus sur un écran avant. Bref, la saison 2016/2017 commence de fort belle manière. Vivement la suite !

Saison 2 (Septembre 2018)


C’est parfait. De bout en bout. C’est dans la continuité de la première saison mais différent, ça se réinvente sans cesse, c’est plein d’idées, de (nouveaux) personnages géniaux et puis c’est pertinent que ça parle aussi bien des amours d’une grand-mère que d’un ado face à la sexualité. Et puis c’est pas loin d’être bouleversant dès qu’il s’agit d’observer Marie et Julien. Quelle fin magnifique, d’ailleurs.


 L’écriture est plus belle, plus subtile, plus mesurée encore que lors de la saison de lancement, offrant aussi bien de magnifiques comiques de situation que des échanges complexes. Il y a un déploiement brillant et perpétuel en ce sens que chaque épisode devient un chapitre, que chaque saison s’accapare un espace, une dynamique. Si la maison brule à la fin c’est aussi pour faire table rase et rebondir dans un autre structure narrative et dimensionnelle.
A noter que l’interprétation générale est magistrale, qui plus est avec les nouveaux qu’on adore très vite : Amel Charif, qui joue Sam, la nouvelle petite amie de Julien. Ainsi que Sam Karmann qu’on est ravi de revoir dans un vrai rôle de composition de psy peut-être plus torturé que ses patients. Sans parler de ces acteurs qui font une apparition le temps d’un épisode comme le banquier de Julien ou l’amie psy de Jean-Pierre.
Sam, sans être l’opposé de Marie, offre à Julien cette liberté qu’il recherche constamment, tout en lui offrant d’accepter qu’il est toujours amoureux de Marie. C’est très beau. De fait, tout gravite autour de Julien. Julien le Tanguy de Chaville comme on a pu maintes fois le lire dans les critiques presse. Mais les personnages apparemment plus secondaires (Marie, Jacques, Sylvie) ont aussi droit à leur épisode.
La grande réussite de cette saison c’est probablement d’avoir rendu aussi touchante et passionnante l’histoire entre Sylvie (la maman de Julien) et Jean-Pierre, son psy, la fameux, dont on entendait tellement parler en première saison. Ainsi que celle entre Emma et Jacques. Deux couples aux problèmes bien de leur génération, mais tellement travaillés, tellement riches qu’ils sont loin de servir de faire valoir à notre comédie de remariage (attendue) entre Marie et Julien.
C’est simple, ça a l’envergure des meilleurs Apatow, à mes yeux. J’étais très déçu cette année de ne pas avoir pu voir la saison 3 de Love. Au moins j’aurais eu Irresponsable. Quelque part, ils ont un truc en commun. Je ne sais pas vraiment quoi, j’imagine que ça tient essentiellement à ce qu’ils produisent sur moi. C’est typiquement le genre, le format de série devant lequel je n’arrive pas à me freiner : Il faut que tout y passe d’une traite.

Saison 3 (Février 2020).


Voilà, Irresponsable c’est fini. Qui eut cru, avec un pitch pareil, que la série nous laisserait trente épisodes plus tard aussi ému. Et frustré qu’elle s’en tienne ici. Mais comblé par cette frustration, tant il est agréable de voir une série qui d’une part n’aura pas raté sa sortie, bien au contraire et d’autre part, qui a été pensée pour s’inscrire ainsi, sur trois saisons.


 Elle aurait pu continuer et sans nul doute tourner en rond – à l’image du dernier chapitre de The good place, clairement superflu. Elle aurait d’ailleurs déjà pu tourner en rond au cours de cette saison, creusé un sillon déjà bien creusé durant les deux premières. Pourtant, les nouvelles brèches vont se multiplier. Copieusement. Ainsi elle fera cohabiter trois générations jusqu’à l’explosion. Sortira du chapeau un personnage important, puis un second, sans pour autant que ça ne fasse trop fabriqué. C’est une affaire de glissement et de gestion de ce glissement : Il y a deux ellipses majeures durant cette ultime saison, celle de deux ans qui ouvre cette troisième saison et justifie les relations électriques et les désirs d’ailleurs de chacun. Et celle d’un an entre l’avant-dernier et l’ultime épisode. Et tout est idéalement agencé.
Ça part du désir d’un fils (Jacques) de quitter la fac et s’envoler pour le Chili afin de nous entrainer vers une cohabitation familiale (à trois générations) qui bat de l’aile. Mais c’est en réalité de l’avenir de chacun de ces quatre personnages centraux (Julien, Marie, Sylvie et donc Jacques) dont il est question, cette incertitude existentielle, qui n’a pas d’âge. Une thèse que l’une retarde ici quand l’autre découvre l’envie d’être le papa qu’il n’a pas pu être. C’est aussi une (grand) mère qui doit affronter son passé pour revive en tant que femme.
Evidemment il faut un trait d’union à tout cela. Ce trait d’union, c’est Julie. Une (demi)sœur qui apparait, avec un polichinelle dans le tiroir : Cet enfant à venir c’est aussi ce qui ôte la gratuité absurde de la situation. Et la bonne nouvelle c’est qu’Alison Chassagne, qui en est l’interprète, est la révélation de cette saison en plus d’être, mais je pense que vous avez deviné, la vraie sœur de Sébastien Chassagne aka Julien. Irresponsable est donc une affaire de frères et sœurs puisque elle est créée par Frédéric & Camille Rosset, frère et sœur. Vers la fin de l’épisode 4, je crois, c’est une vraie déclaration d’amour que s’offrent Julie & Julien, donc par extension c’est aussi celle que s’offrent Frédéric & Camille et ça c’est assez beau.
Irresponsable c’est aussi un récit sur le rôle du père. Tout, dans Irresponsable, prépare aux retrouvailles avec le père. Julien a démarré d’un côté, il est logique qu’il termine de l’autre. C’était casse-gueule, mais c’est aussi l’une des grandes qualités de cette saison, écrite encore une fois avec beaucoup de finesse, élégance et légèreté alors qu’il y a une vraie gravité en filigrane.
C’est donc une saison plus ambivalente qui n’hésite pas à placer ses personnages – Julien en particulier, évidemment – face à des dilemmes moraux variés. La page doit se tourner, comme elle se tournait à la fin de Friends. Ce n’est d’ailleurs pas une fin en soi, mais le début d’autre chose.
Bref, c’est fini. Si vous n’avez pas encore jeté un œil à Irresponsable, c’est le moment. Ajoutons que ce format de trois fois 10 x 26 minutes est parfaitement adéquat.
JanosValuska
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le 29 août 2016

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JanosValuska

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