À méditer

Un documentaire très bien réalisé et ficelé, si l'on n'est pas gêné par les extraits de vidéos des réseaux sociaux et les commentaires des streamers : un aspect qui me paraissait étrange au départ, mais qui révèle à merveille la portée de la médiatisation d'une telle affaire.

Sans porter de jugement sur le procès, la culpabilité présumée de l'un ou de l'autre, ni le verdict, plusieurs aspects poussent au questionnement :
-Un homme que l'on accuse d'être violent est-il systématiquement coupable, parce qu'il est homme et que sa victime est une femme ? Si la considération de la présumée victime est importante, la présomption d'innocence de l'accusé, et son droit de se défendre, sont non-négligeables.
-Alors, faut-il défendre Amber H. parce qu'elle incarne le mouvement Me Too, pour ne pas que la cause perde en crédibilité ? D'après moi, non. Une personne n'incarne pas, ou plutôt ne devrait pas incarner, une cause ou un mouvement.

-La victoire de Johnny D. est-elle le signe qu'un homme riche et célèbre obtiendra toujours gain de cause ? Est-ce un pas en arrière pour le féminisme ? Je ne pense pas non plus, et cela serait une erreur d'ôter son droit de se défendre, et d'être une victime, à Johnny, sous prétexte de son sexe ou de sa popularité. Cela ne signifie pas qu'il ne peut pas être coupable, mais qu'il mérite qu'on puisse penser qu'il est innocent.
-Est-on, finalement, complètement coupable ou complètement innocent ? Probablement pas. Et c'est pour ça que ce procès est compliqué : si Amber H. a réellement diffamé Johnny D. cela n'exclut pas pour autant tous les chefs d'accusation le concernant. Si elle est la manipulatrice dans cette histoire, cela n'empêche pas que Johnny ait pu faire preuve de violence, et donc être aussi coupable. Il n'y a pas de bien ou de mal, de gentil ou de méchant : on ne peut pas trancher en faveur de l'un ou de l'autre.

-Et enfin, le point le plus important d'après moi : que penser de toute cette médiatisation ? Médiatisation qui, pour les partisans d'Amber, explique l'issue du procès, Johnny ayant soulevé une plus grande vague de solidarité qu'elle sur les réseaux sociaux, une médiatisation qui ôte toute la sphère privée d'une affaire entre un couple, et en fait un feuilleton, une série, un showbiz, mais aussi une médiatisation qui, si elle a été profitable à Johnny en terme de soutien, a aussi hébergé une vague de harcèlement envers Amber. C'est elle qui a fait de cette affaire quelque chose de public, en souhaitant être entendue, et si elle a menti et qu'elle est coupable de diffamation, elle pourrait "ne s'en prendre qu'à elle-même" ; mais mérite-t-elle pour autant la haine de plusieurs millions d'individus, et l'humiliation publique sur les réseaux sociaux ? D'après moi, non.

Voilà pourquoi cette affaire est complexe : Amber par ses chefs d'accusation, et Johnny en demandant que les caméras soient présentes pendant le procès, ont donné une dimension publique à leur litige, ce qui en a fait une guerre de gang entre le Me Too à tout prix et la cause des hommes victimes de violences. Mais aussi les femmes victimes de violences qui ont dénoncé le mensonge d'Amber H. en affirmant se sentir trahies qu'elle ait décrédibilisé la cause en s'en servant de cette manière. Voici le problème de cette affaire, outre la médiatisation excessive et abjecte : le fait de rechercher le visage d'une cause dans l'un des deux partis, alors qu'ils devraient être considérés comme particuliers, parce que chaque situation est différente, et qu'un homme ou une femme qui obtient gain de cause ne signifie pas la perte du mouvement opposé ou une régression dans le progrès pour l'égalité des sexes.

Par ailleurs, j'ai trouvé amusante la remarque de l'un des commentateurs : difficile de savoir qui ment, lorsque ce sont 2 acteurs qui s'affrontent... Il est toujours bon de rappeler que malgré la portée publique de cette affaire, personne n'est apte à en juger, ni à condamner qui que ce soit : la justice fait son travail, plus ou moins bien, mais personne ne connaîtra jamais la vérité dans les détails ; l'issue d'un procès, comme le documentaire le rappelle bien, ne repose ni sur la vérité, ni sur ce qui est bien ou mal, mais sur ce que croient le juge et les jurés. Finalement, lorsque les preuves sont peu éloquentes, ou insuffisantes, il ne s'agit plus que d'une grande pièce de théâtre.