Fidèles à leur imaginaire décomplexé, nos amis Japonais livrent une nouvelle fois un surréaliste mélange des genres dont la cohésion créative aurait paru bien périlleuse de notre point de vue occidental, souvent accoutumé à classifier les genres fictionnels de manière plus stricte (et parfois rigide il faut bien le dire). Ici il n'est ni plus ni moins question d'associer la cruauté crasse de The Walking Dead, de part ses questionnements identitaires sur la monstruosité de l'humanité comme seul recours envisageable pour subsister face à l'inéluctable déchéance du monde, avec les envolées épiques et désespérées d'un Shadow Of The Collossus pour finalement aboutir à une jouissance endiablée du film de Monstres donnant l'impression de revoir dans un contexte barbare les premières apparitions de King Kong et Godzilla sous nos yeux de gamin.
Fight the Titans. Fear the Living
Si l'anime rentre instinctivement dans la catégorisation des Shonen vu ses archétypes de jeunes héros outrepassant dans la douleur les obstacles apparemment inébranlables grâce à leur détermination bouillonnante, la tonalité globale est toutefois plus proche de côtoyer celle des Seinen en illustrant un massacre sanguinolent de l'humanité. Malgré son contexte bien distinct, les thématiques émotionnelles abordées par Attack on Titan vous sembleront bien familières si vous êtes un consommateur habitué des œuvres de zombies de ces dernières années, The Walking Dead en tête : la rage désespérée face à une cruauté absurde et frappant aléatoirement les protagonistes, l'élément perturbateur qui revient basculer dans le chaos une routine qui commençait enfin à être sécurisée et surtout le désarroi identitaire des survivants vacillant entre la culpabilité d'avoir survécu au contraire de leurs compagnons défunts et l'appréhension d'une mort prochaine qui s'annonce de plus en plus inéluctable.
C'est un fait avéré: le zombie est populaire. Cet éternel rappel à notre bestialité renflouée et ce miroir déformant de notre ramollissement dans nos sociétés consuméristes a été exploité d'innombrables façons durant ces dernières années mais Attack On Titans est sans doute une de ses interprétations les plus inventives. L'ingéniosité de l'animé étant de délaisser l'image décharnée du mort vivant pour revenir à une autre figure emblématique du cannibalisme : les ogres. Des êtres pas beaucoup plus intelligents que nos zombies habituels mais plus perturbants dans le sourire grotesque qu'ils affichent perpétuellement en dévorant leurs innocentes victimes.
Face au désespoir nihiliste de cette invasion cannibale, l'évolution des protagonistes s’entremêle avec celle des héros de The Walking Dead: celle d'un endurcissement moral obligatoire incitant à outrepasser sa propre humanité pour paradoxalement unifier une humanité incapable de se rassembler, même à l'aube de sa propre destruction. La différence principale demeurant dans le point de vue adopté.
Robert Kirkman a pertinemment conscience du caractère monstrueux de ses héros défigurés qui catalysent depuis longtemps la principale menace d'explosion, bien plus que leurs antagonistes décharnés. Là où le scénariste de The Walking Dead va appuyer sur la gêne du lecteur contemplant symboliquement ses héros humains se décomposer dans leurs valeurs morales, Attack On Titan joue au contraire la carte de la glorification militaire à tout va, légitimant totalement les sacrifices consentis par les personnages pour la sauvegarde hypothétique de l'humanité et valorisant leur déshumanisation progressive. Les kamikazes ne viennent pas de nulle part, après tout.
A Despair-Filled Farewell
Mais évidemment à la différence de The Walking Dead, les héros d'Attack On Titan ne sont pas habillés comme des clochards dans une nature sauvage, il est ici question de véritables chevaliers qui protègent leurs cités forteresses des mains des créatures rampantes voulant s'y immiscer. Pour résister face à l'avarice sanguinaire de ces monstres, une seule arme : la tridimensionnalité, technologie permettant aux frêles humains de s'élever dans les airs dans l'espoir d'atteindre la nuque des titans, seul point faible des créatures cannibales. Cette arme, qui aurait facilité la vie de tous les joueurs de Shadow of The Collossus, est le principal pilier visuel de la série animée, généreuse en démonstrations épiques des jeunes héros chevauchant les airs à une vitesse fulgurante par contraste avec les mouvements ridiculement lents de leurs adversaires titanesques .
Passons sur le caractère complètement improbable de ce grappin rétractable avec lequel même le meilleur cascadeur du monde ferait une chute mortelle au bout de dix mètres pour s'attarder sur l'intéressant contraste qu'il véhicule. Sur terre, les personnages ne sont rien, tout justes bons à s'enfuir vainement pour ne pas servir de repas aux Titans. Toutefois dès qu'ils s'émancipent du sol en se propulsant dans les cieux, ils sont en position de rivaliser enfin avec leurs oppresseurs. Mais puisque le mythe d'Icare n'est jamais bien loin dans l'inconscient collectif, la chute est d'autant plus rude pour ces apprentis volants lorsque la réactivité des Titans se révèle à eux.
Les cordes se disloquent, les trajectoires envolées sont brusquement interrompues dans des gerbes de sang et la réalité de leur infériorité se rappelle brutalement pour les héros. Tout comme la morsure des zombies est un rappel irrévocable de leur menace réelle pour les humains qui tournent en dérision leurs pathétiques adversaires, la mort des chevaliers aériens d'Attack On Titan rappelle brusquement leur vulnérabilité malgré la lenteur grotesque de leurs adversaires opulents. Une démarche superbement établie par le traumatique épisode 5 qui interrompt brutalement les magnifiques plans séquences des envolées aériennes des chevaliers pour les illustrer se faire écraser littéralement comme des insectes. Après tout, ce n'est pas pour rien si le premier et dernier plan de la série représente des oiseaux survolant négligemment le Mur marquant la frontière entre les hommes et les Titans.
Un contraste perturbant que la série n'assume toutefois pas pleinement. Elle rejoint en cela le principal écueil des fictions associées à l'univers des zombies : celle de mettre la suspension d'incrédulité du spectateur à rude épreuve. Dans ces univers déshumanisés où la mort est supposée attendre à chaque coin de rue, l'immortalité des personnages principaux se révèle rapidemment tenir davantage de la logique narrative de l'auteur qu'être respectueuse de la réalité concrète de l'univers présenté. Et si cet écueil est un archétype également présent parmi tous les Shonen, habitués à faire revenir à la vie les Chevaliers d'Athéna et autres Super Saiyan, le réalisme cruel revendiqué par Attack On Titan rend ce cliché plus difficile à assimiler.
Non. Tous les personnages ne peuvent pas mourir malgré les situations désespérées dans lesquelles ils se retrouvent fréquemment et qui coutent généralement la vie à un grand nombre de figurants. En espérant un peu plus d'audace narrative à ce sujet dans la saison 2 tant espérée.
Tous les éléments déjà mentionnés étaient en tout cas suffisants pour garantir à Attack On The Titan une longévité conséquente et une fidélité assidue de son public. Ce n'était visiblement pas suffisant pour l'auteur qui se permet d'y intégrer une dernière composante, essentielle à son univers, mais qui vient pourtant bousculer les qualités qu'il était parvenu à insuffler dans son œuvre.
Notre plus grande menace. Nos plus grandes armes.
Pour ne pas atténuer la surprise de la découverte si vous n'avez pas déjà visionnés la série, ce paragraphe sera placé sous le signe des spoilers. ;)
Cataclysmique. Improbable. Surréaliste. Tel est le sentiment véhiculé par la fin du traumatique épisode 5. Le personnage principal d'Attack On Titan vient de mourir au bout de cinq épisodes. L'inénarrable logique Shonen du dépassement de soit vient t-elle de trouver sa contrepartie la plus brutale? L'auteur s'est t-il risqué à contourner aussi cruellement les espoirs idéalistes de ce genre? Un passage de flambeau est t-il en train de s'opérer envers le personnage féminin principal?
Et bien finalement non.
Le héros revient à la vie, dans un corps de Titan, massacre tout ce qui bouge sans la moindre crainte pour son existence et de simple pion vengeur contre la menace des Titans se retrouve l'enjeu de tous les personnages du récit. Dans le genre retour brutal à la réalité des conventions du Shonen, le spectateur vient de se prendre une sévère baffe après s'être pris à espérer d'une émancipation salutaire. Mais passé le regret de cette audace illusoire, qu'apporte concrètement cette dimension titanesque du côté des personnages principaux?
Elle bouscule beaucoup de choses.
Les héros ne sont plus tout à fait dans la même situation d'invulnérabilité décrite précédemment. Le personnage principal est désormais le Joker sécurisant qui garantit à l'humanité de riposter à armes égales contre la menace titanesque. Cette variation du rapport de forces amoindrit malheureusement la tension indissociable de ses récits désespérés où la moindre erreur d'inattention des protagonistes est supposée leur être fatale. L'évolution du récit prend également une tournure beaucoup plus archétypale dans le paysage des Shonen, celle dictant que les héros doivent être forcément le centre d'intérêt de l'univers fictif, dans une logique très valorisante que leur détermination trouve ainsi une reconnaissance dans cette attention exacerbée à leur sujet.
Fort heureusement cette évolution narrative n'apporte pas que des inconvénients. Elle offre un renforcement intéressant à la thématique déjà mentionnée de la déshumanisation de l'humanité au profit de la survie, déshumanisation qui ne va plus s’opérer simplement sur le plan symbolique mais s'incarner directement dans la déformation du personnage principal. Enfin parce que la mise en scène de ces transformations monstrueuses est d'une formidable intensité épique qui catalyse le fantasme vengeur des héros opprimés, encore un archétype dont l'animation Japonaise sait exacerbé la charge émotionnelle.
Les premiers épisodes d'Attack On Titan ne laissent toutefois aucun doute que la série aurait pu se passer de cette ampleur titanesque pour demeurer à l'échelle humaine de ses protagonistes. Il est difficile d'affirmer que le récit aurait fondamentalement gagné en richesse dramatique sans cet apport mais il y aurait peut être gagné en cohésion. Toutefois comme le texte d'introduction le rappelait, l'art de l'imaginaire Japonais est également d'outrepasser les conventions pour intégrer des univers qui ne semblent pas forcément pouvoir coexister entre eux. De cette façon, l'évolution monstrueuse du héros d'Attack On Titan est restée fidèle à cette démarche. Pour le meilleur comme pour le pire.
World War T
Ce n'est pas pour rien qu'Attack On Titans est devenu un pilier fédérateur de la communauté des animes. Sa principale thématique, sa principale réussite a été justement de fédérer en son sein des influences diverses et à première vue paradoxales, d'unifier par le sang et la rage les archétypes des Shonen et Seinen dans une surréaliste cohésion. Il porte en lui plusieurs des archétypes rébarbatifs associés à ces genres, principalement dans ces protagonistes féminins malheureusement maltraités par le récit, et il pourra toujours lui être reprocher de ne pas aller totalement au bout de son propos, du moins pas durant cette première saison. Mais l'exubérance épique dont il témoigne n'a d'égale que l'intensité dramatique percutante qu'il parvient à véhiculer lorsque le récit se libère de ses conventions.
Attack on Titans n'est pas une histoire d'hommes et de dieux. C'est le récit d'hommes et de femmes qui ne résignent pas devant la fatalité, qui refusent l'inexorable anéantissement du monde.
L'histoire d'hommes et de femmes qui voulaient désespérément croire qu'ils pouvaient apprendre à voler.