Pendant la guerre du Vietnam à la fin des années soixante, le sergent Anderson dirige la compagnie bravo composée de bleusailles. Ils sont sous les ordres d’un jeune lieutenant sorti tout droit de l’école, mais qui est bien décidé à remplir son rôle. La réalité du terrain et l’horreur de la guerre impactent durement les convictions ainsi que la sensibilité de chacun. Pourtant, les soldats doivent faire leur devoir.
La catharsis américaine sur la guerre du Vietnam comprend de nombreux films cultes, et ce, dès le début des années 70. La série L’Enfer du devoir arrive tard, à la fin des années 80, et tente d’apporter sa pierre à l’édifice.
Ce qui frappe tout d’abord est l’origine modeste de cette série. Les créateurs L. Travis Clark et Steve Duncan étaient des scénaristes peu connus à l’époque. Idem, le réalisateur Bill L. Norton avait fait juste quelques films. Enfin, la plupart des acteurs étaient, à l’instar de leur personnage, eux aussi des bleusailles.
La série est construite comme une thèse. Elle s’efforce de donner le point de vue américain sur cette guerre en veillant cependant à rester la plus objective possible. Ainsi, les Vietcongs sont dépeints comme des fantômes dont on ne voit souvent que les jambes ou les casques et ils sont la plupart du temps impersonnels. La population en revanche est montrée en détail, avec ses émotions et sa peur du GI. L’opinion de la série est évidemment biaisée non seulement parce qu’elle est américaine, mais également parce qu’elle date des années 80.
On y trouve donc des scénarios très simples, voire naïfs, les héros sont tous jeunes, beaux et attachants et les méchants sont très méchants. Cependant, bien que les morts soient dramatiques et que les missions qui échouent restent épiques, la série s’efforce d’éviter tout manichéisme et elle y parvient plutôt bien. Elle renvoie dos à dos les politiques des deux pays qui sacrifient respectivement les militaires américains ainsi que la population vietnamienne pour leur idéologie. Dans ce sens, les officiers supérieurs sont tous dépeints comme des connards arrogants et aveugles, Américains comme Vietcongs. La seule exception est le colonel Carl Brewster qui affronte un général pour ne pas envoyer ses hommes à la mort ou faire appliquer la Loi au sujet d’un massacre.
Une autre tare des années 80 est les personnages féminins. Le lieutenant Goldman est affligé d’abord de la bimbo naïve qui en a marre d’attendre son mariage, sa maison et son chien. Ensuite, il supporte la très urticante Alex, la journaliste pétasse qui se met constamment en danger pour prouver qu’elle a raison (elle essaie de faire avouer un tueur en série et elle se barre dans le quartier dangereux de Saïgon, tout ceci en solitaire). Alex change aussi de mecs rapidement, c’est l’archétype de la femme libérée de l’époque et c’est chiant.
Heureusement, cette époque apportait également son lot de gags qui émaillent régulièrement le récit afin de le dédramatiser. Dans les pires situations, l’humour burlesque vient torpiller l’angoisse et nous rappelle que, quand même, l’ambiance est en général bon enfant. Cette joie est toutefois émoussée dans la saison 3, plus dramatique et surtout réalisée en 1990.
À l’instar d’une thèse, la saison 1 effectue un état de l’art. Chaque épisode explore un aspect de la guerre. On y trouve :
– les tunnels Vietcongs qui étaient le cauchemar des GI en plus d’un immense atout tactique
– la drogue qui faisait des ravages
– l’absurdité des ordres qui menait souvent à la mort
– la fragilité de la psyché face à la mort qui pouvait se briser ou se réfugier dans la drogue
– l’aveuglement du commandement sûr de la victoire alors que la troupe doutait
– l’humanité des Vietnamiens avec l’héroïsme ou la compassion des civils
La saison 2 expose logiquement l’évolution de ses personnages soumis aux hypothèses de la saison précédente, et elle ressemble également plus à une série : les 2 héros (le sergent et le lieutenant) ont une nana viable chacun et il y a du drame sentimental. La série étudie en particulier l’évolution psychologique des personnages ainsi que l’impact des changements politiques sur le conflit (avec notamment la mort de Martin Luther King). Les tensions raciales y sont bien dépeintes sans tomber dans la détestable victimisation à la mode à partir des années 2000. Là encore, la volonté d’impartialité est remarquable. En outre, la progression militaire des Vietcongs ainsi que de la corruption est dévoilée sans pitié, de même que la désillusion des militaires qui se rendent compte que ce qu’ils font ne sert à rien. Ce n’est pas nouveau, mais cela complète le tableau global.
Toujours en suivant l’image de la thèse, la saison 3 apporte la conclusion, quelle qu’elle soit. Elle est sans surprise encore plus psychologique, notamment au niveau de sa réalisation, avec des scènes d’hallucination (le mort qui parle à Johnson), les flashs blacks traumatiques (le massacre du village), la plongée dans la drogue de Purcell et l’addiction de Zek à la guerre au point de rempiler une 4ème fois. Des images psychédéliques (rêve, imagination, hallucination) ou humoristiques (le lieutenant Goldman avec une coupe afro) complètent cette saison résolument plus libre. Le succès des 2 précédentes a sans doute encouragé les réalisateurs à s’exprimer davantage et c’est une très bonne chose. Paradoxalement, le réalisme en prend un coup. Les vétérans de la compagnie Bravo, devenus des troupes d’élite, se transforment en des sortes de superhéros qui massacrent des hordes d’ennemis sans difficulté. C’est un peu caricatural et c’est dommage, car la guerre reste la guerre. Dans cette saison, l’amitié virile entre le sergent et le lieutenant d’abord, et entre les hommes ensuite est érigée en bouée de sauvetage face à l’usure psychologique et à l’horreur. Les liens créés sont d’ailleurs indestructibles, même après avoir été démobilisés. Par ailleurs, l’échec de la doctrine pacifiste face à la guerre est impitoyablement exposé au travers du doc Hockenbury. Son destin tragique est une courageuse prise de position face à la bien-pensance de l’époque encore d’actualité. La conclusion de cette dernière saison insiste sur le destin de ces soldats, entre le désespoir causé par les traumatismes, mais surtout rejet de la population civile endoctrinée dans un pacifisme agressif. Les vétérans sont méprisés, voire haïs, mais également abandonnés par le gouvernement qu’ils ont pourtant servi pendant plusieurs années. Dès lors, rempiler pour un nouveau tour semble la seule issue possible. Enfin, la guerre au début des années 70 ne rime plus à rien, mais les séquelles des blessures tant physiques que psychologiques sont, elles, bien réelles.
Dans cette série, les acteurs sont extraordinaires. Ces jeunes ont réussi à construire leur personnage et s’y tiennent jusqu’au bout. La candeur de la réalisation les rend irrésistiblement attachants, et c’est un déchirement d’en voir partir un. Le problème, c’est qu’un tel succès a dû peser lourd sur le reste de leur carrière, à l’instar des acteurs de Star Wars. Terence Knox restera à jamais le super sergent Anderson, on continuera de saluer le lieutenant Goldman en croisant Stephen Caffrey, la sensibilité de Purcell transpirera éternellement de Tony Becker et Ramón Franco ne pourra jamais cacher le grand cœur de cette racaille de Ruiz. Cela se sent dans le reste de leur carrière qui n’a pas vraiment décollé. Seul Miguel A. Núñez Jr., à l’image du chanceux et débrouillard Taylor, a réussi à rebondir. Idem pour ce séducteur de McKay, Dan Gauthier a réussi à la télévision en enchaînant les séries. Par ailleurs, il est touchant de constater que les frères Baker sont réellement les jumeaux Eric et Karl Bruskotter. De même, le fils de Pop est le véritable fils de Lee Major. Enfin, il est amusant de retrouver 2 acteurs de Predator, sorti quelques années auparavant. Dans cette série, Carl Weathers et Bill Duke ont été respectivement devant et derrière la caméra. Par ailleurs, il convient également de noter que le doublage français est très honorable, car effectué à cette époque par de véritables acteurs.
L’Enfer du devoir est une série incontournable pour comprendre ce conflit aussi triste que complexe. Si elle souffre de plusieurs défauts inhérents à son époque, elle possède d’extraordinaires atouts à commencer par un effort d’impartialité qui est rare à l’écran. À ne surtout pas manquer, tant pour sa qualité que ses enseignements.