C'est étrange de constater à quel point l'on peut passer du désintérêt appuyé à la fascination la plus certaine en l'espace de quelques minutes. Meteor Garden m'a fait cet effet-là, tout au long de la série ( de 49 épisodes !). J'avais cliqué sur l'icône lors d'une soirée Netflix de type larmoyant, par pur divertissement (comme beaucoup d'entre nous le savent bien). Le premier épisode m'avait paru effrayant de naïveté mièvre et d'une réalisation générale bon marché, aux airs de propagande touristique pour la "douce" Shanghaï. J'avais continué le deuxième épisode plus par lassitude que par plaisir, ravie de voir à quel point les producteurs allaient s'empêtrer dans le scénario et les mimiques de mauvais théâtre. Et puis il y a eu un détail, ou plutôt plusieurs, qui m'ont poussé à regarder cette série avec beaucoup plus d'intérêt qu'au début : peut-être est-ce cette situation où le père de Shan Cai ayant spéculé perd 1000 yuans et endette ainsi sa famille jusqu'aux dents, détail qui apparaissant subitement dans cette Chine édulcorée paraît presque irréel car trop réel ; peut-être est-ce de voir à un moment Meizuo et Ximen se battre contre les moustiques devant le port, chose improbable toujours dans ce montage rose bonbon alors même que la Chine en ait infestée ( certes une partie de l'intrigue se passe en hiver mais pas un moustique dans le cadre lors du mois de septembre, rentrée de Shan Cai) ; ou peut-être et surtout est-ce de voir ce petit brin de femme, Shan Cai, se battre avec une force d'acier contre se monde qui se referme autour d'elle, et qui derrière ses sourires et ses grands yeux de biche, lui crie que c'est elle qui détient le pouvoir : Shan Cai refuse de ne pas être indépendante, se bat pour sa liberté (financière et spirituelle), refuse les avances d'un Dao Ming Si beaucoup trop autoritaire, aide sa famille et ses amis au nom de l'amour et de la justice. Shan Cai joue contre ce monde qui décide tout pour elle : on lui reproche à longueur d'épisodes qu'elle ne correspond pas à ce que la femme de Dao Ming Si devrait être, c'est-à-dire la parfaite chinoise traditionnelle (grande, maigre, blanche, menton aigu, gentille, musicienne, riche, obéissante). Shan Cai réplique, et réplique trop. Tout ceci est presque perturbant à observer : dans un pays où les artistes se font enfermer pour oser remettre un tantinet en question le système, la petite rebelle de Shan Cai ne devrait pas tenir longtemps. Et l'espoir demeure : on l'observe se battre encore et cette fois-ci pour son amour vers la fin de la série, représentant enfin une femme capable d'avouer ses sentiments et ses faiblesses (démultipliant ainsi sa force) et n'hésitant pas à entamer une grève de la faim similaire à celle de son amour plutôt que de ployer sous le joug de la mère (la sorcière de ce conte de fée moderne) et de cette Chine traditionaliste. Le dernier épisode, sans doute le plus surprenant de tous par son caractère absurde et n'ayant pas manqué d'en décevoir plus d'un, est également le plus intéressant à observer quant à son impact sur la réception de toute la série : faut-il croire à cette illusion mystique ou plutôt comprendre que cette mère impitoyable (et la Chine derrière elle) aurait encore gagné ? Je pencherai pour la deuxième hypothèse. Je crois que cette fin brutale est peut-être ce qui m'a le plus fait réfléchir quand à cette série : derrière cette avalanche de guimauve et de décor cartonné, une amertume se dégage et en laisse un écoeurement certain, à l'image de Dao Ming Si qui ordonne à la restauratrice du restaurent chinois de Londres ne plus servir la Soupe aux 8 Trésors "car il ne peut plus la supporter". On ne peut nier l'évidente censure qui régit cette série (aucune violence directe ou représentation de blessures profondes, aucun baiser "french kiss", aucune nudité, aucune scène de sexe mais des allusions constantes, des réactions pudibondes des personnages comme souffrant d'une immaturité certaine à ce sujet. Même Zhou Caina "dort" à côté de l'homme dans la tente, sans supposer aucun contact plus intime. Rappelons que la moyenne d'âge des personnages est de 18-25 ans.)
et c'est justement en la prenant en compte qu'on fait attention aux détails qui potentiellement lui aurait échappé. C'est ainsi que un des moments le plus beaux de cette série et peut-être le plus sincère est le dialogue entre Dao Ming Si et le père de Shan Cai lorsque ceux-ci s'apprêtent à aller dormir dans la même chambre : le père de Shan Cai demande à son futur gendre de prendre bien soin de sa fille et de ne pas spéculer etc. Voyant que Dao Ming Si le regarde en souriant, celui-ci regrette et s'excuse de lui donner des conseils compte tenu de sa situation financière déplorable face au riche héritier Ah Si. Il y a un moment singulier où cet homme regarde Wang He Di (l'acteur jouant Dao Ming Si) avec une sincérité touchante et un rosissement des joues démontrant son trouble, les deux hommes se serrent la main et ce n'est qu'une rencontre entre la Chine d'hier et la Chine d'aujourd'hui : l'un est travailleur et souriant, commerçant et père aimant aux espoirs fondés sur l'avenir de sa fille, l'autre est l'héritier directe d'un empire financier monstrueux aussi fragile qu'un château de cartes. Un sourire les rassemble.
Et le même goût amer de la Soupe aux 8 trésors.