Longtemps, j'ai voulu éviter de critiquer le Point Culture. J'ai commencé par trouver l'émission amusante quand je l'ai découverte quelques mois après les premiers épisodes, et peu à peu, la perplexité l'a emporté devant l'amoncellement de choses qui m'ont gêné. J'ai fini par tout simplement passer à autre chose, réalisant que ce contenu ne m'était simplement pas destiné, ce qui me parait une réaction saine et mesurée, au lieu de me changer en keyboard warrior en hurlant ma frustration sur internet et ailleurs. Si je me suis déjà un peu attaqué aux oeuvres de Linksthesun en critiquant son émission "Non mais t'as vu ce que t'écoutes ?", c'était pour exprimer un ras-le-bol devant un contenu qui me choquait par le mépris de classe qu'il impliquait et l'approche outrageusement superficielle qui se payait en plus le luxe d'être donneuse de leçons. Et si aujourd'hui je me décide enfin à faire ce que je m'étais promis d'éviter, c'est parce que j'ai vu récemment le Point Culture sur les figures de style, et d'un coup, ce fut comme si je mordais dans une madeleine en caca : tout ce que je n'aimais pas chez Linksthesun a ressurgi brutalement, avec d'autant plus de force que j'avais essayé de bloquer ces réminiscences pendant si longtemps. Je vais essayer de développer cela en me basant sur quelques éléments de cet épisode en particulier, et probablement de certains autres.
Mais avant tout, rappelons le concept du Point Culture. L'émission se découpe traditionnellement en deux parties : la première fait office d'introduction générale, de commentaire global sur le sujet traité, tandis que la seconde consiste en un top 20 (généralement) sur le sujet (ça va des tortures aux Pokémon en passant par les tueurs en série ou les ennemis de Batman, pour vous donner une petite idée de ce à quoi ça ressemble). Exemples détaillés par Linksthesun et son co-présentateur imaginaire, Plectrum, qui est un...plectrum avec une tête. Pourquoi pas. L'esthétique se veut minimaliste et le ton léger, sans prétention... enfin, ça c'était avant, concernant ce dernier point. Linksthesun fait également volontiers usage d'un humour assez direct et plutôt lourdingue (c'est voulu, dans l'idée du looser magnifique : "je suis tellement lourd que j'en suis drôle", si vous voyez le principe). L'émission se veut un mix entre pédagogie légère et humour décomplexé, donc.
Plutôt que de me répandre en injures, je vais du coup plutôt analyser quelques éléments de l'épisode sur les figures de style afin de montrer ce qui me déplait dans cette émission.
En premier lieu, voyons donc l'introduction de la vidéo. Links commence l'épisode en présentant la thèse selon laquelle apprendre les figures de style à l'école ne sert à rien pour un élève lambda, pour ensuite la réfuter en trois points : les connaitre donne de la crédibilité, permet d'éviter de se faire manipuler et permet de mieux s'exprimer (ou du moins d'une manière plus sophistiquée). Moins de trois minutes de vidéo, et je suis déjà en désaccord total, pour une raison très simple : c'est justement de la manipulation grossière et malhonnête. Les arguments avancés le sont de façon assez limpide dans le but de manipuler un adolescent qui cherche une raison strictement utilitaire derrière l'apprentissage. Il oppose à cette interrogation une réponse simpliste pour conquérir un public qui ne demande qu'à se faire conquérir (puisqu'il s'échine à regarder des vidéos moches de plus de vingt minutes où un mec déblatère des conneries tout seul) : les figures de style te servent à être plus malin que ton voisin. Sauf que quiconque a eu un prof de français correct comprend que c'est légèrement plus compliqué que ça, et que l'apprentissage des figures de style, tout comme celui de l'histoire de la pensée, de l'histoire littéraire, de l'Histoire tout court, et de la majorité des matières apprises à l'école en fait, sert à donner accès à un bassin culturel plus large, ce qui est essentiel notamment pour se forger une identité. Apprendre les figures de style permet de comprendre que le langage, justement, ne se résume pas à son usage utilitaire. Certes, elles ont une fonction rhétorique, mais pas seulement. C'est un souci qui se retrouve quasi systématiquement chez Linksthesun, la malhonnêteté, qu'elle soit consciente ou non. Ainsi, la vidéo se présente comme une session de rattrapage pour le bac, et donc comme un essentiel pour les adolescents. De la même manière, dans sa vidéo sur la torture, Links demande que l'on partage le contenu, afin de faire un micro-don à Amnesty International (parce que oui, c'est la seule façon de faire un don, hein, regarder des vidéos sur Youtube). Il va jusqu'à soutenir qu'il n'y a aucune autre intention derrière cela, et que non, il ne veut pas faire plus de vues. Vous commencez à voir un schéma se dessiner ? Je suis pleinement conscient que créer du contenu n'est pas évident, et que surfer sur des tendances ou sur l'actualité permet d'avoir de la visibilité facilement. Mais là, on parle quand même d'une émission qui instrumentalise la torture pour faire des vues et qui ose s'en défendre, en pleine connaissance de cause, jouant en outre sur la fascination morbide que cela joue sur tout un chacun. D'ailleurs, si de temps à autres dans cette vidéo il fait référence à des tortures et des situations qui sont encore d'actualité, il n'hésite pas à présenter tout un tas de choses qui n'ont plus cours actuellement, généralement bien sinistres... dans ce contexte, difficile de souscrire au titre de la vidéo, qui proclame haut et fort : "Point Culture : la Torture (vidéo humanitaire)". Je ne suis pas en train de dire que Links n'est pas sincère quand il dit vouloir lutter contre cela, mais plutôt qu'il n'est pas sincère lorsqu'il se défend qu'il y ait d'autre motif derrière cela... c'est quand même un peu fort. Malhonnêteté, donc.
Ensuite... passées les trois minutes d'introduction générale (parce que oui, avant c'était plus long, mais maintenant on s'en fout, le top 20 c'est plus vendeur), Links énumère donc tout un tas de figures de style, les plus courantes, qu'il agrémente d'exemples et de moyens mnémotechniques. C'est plutôt bien expliqué dans l'ensemble et assez clair, y a pas énormément à reprocher à ce sujet... Par contre les moyens mnémotechniques ils sentent la merde, mais grave. D'expérience, il me semble qu'il est beaucoup plus simple de comprendre l'étymologie des figures de style et de comprendre en quoi c'est lié à leur fonction, et de les regrouper en catégories générales (répétition, image, exagération, etc.) que d'essayer désespérément d'apprendre par coeur avec de petits jeux de mots foireux, mais bon ça ça tient plus de l'opinion personnelle (en outre, il oublie un moyen mnémotechnique super simple et assez utile pour ne pas confondre assonance et allitération, la lettre finale de ces deux mots, même si les mots en question se suffisent largement à eux-mêmes). Cependant, il s'agit donc bien toujours une présentation strictement utilitariste (réussir le bac), qui échoue à exposer la nature réelle d'une figure de style. Superficialité.
D'ailleurs, j'aimerais pointer qu'à un moment de la vidéo (je n'ai pas le courage de le retrouver, désolé), Links explique qu'il n'est pas suffisant de repérer des figures de style, mais qu'il faut expliquer à quoi elles servent, pourquoi elles se trouvent là. Louable intention que de signaler cela, ce qui m'intéresse particulièrement dans la mesure où c'est un reproche que j'ai fait à "Non mais t'as vu ce que t'écoutes" dans ma critique sur cette émission. Seulement... là encore, c'est un peu léger, parce que voilà, les figures de style, c'est pas juste des symboles cachés par l'auteur qui ont un sens secret... il s'agit plutôt d'un lien qui unit le fond et la forme, et qui permet de créer une dimension poétique (les figures de style traditionnelles ne sont pas les seuls moyens pour cela, mais ne digressons pas), laquelle forge l'art poétique (ou à tout le moins, un art poétique). C'est important parce que c'est l'essence de tout texte qui se revendique d'une littérarité. Consciemment ou non, nous dépassons la simple signification littérale pour créer quelque chose de plus (par souci d'honnêteté, je mentionnerai quand même qu'il suggère très superficiellement l'idée quand il parle des assonances et allitérations, seulement c'est un peu léger). C'est bêtement la raison pour laquelle on essaie d'apprendre cela aux élèves, c'est une clé de compréhension essentielle de l'humain, tout comme il est essentiel de comprendre les arts du cadrage ou du montage, entre autres choses, pour comprendre le cinéma (et comprendre l'importance des figures de style permet ensuite d'opérer la transposition justement vers l'art cinématograpique, par exemple). Je pourrais disserter pendant des heures pour montrer à quel point Links échoue complètement à transmettre l'essentiel de ce qu'il faut savoir sur les figures de style, or ce n'est pas excessivement compliqué. Il eût suffi de dire que le hasard n'existe pas, et que les figures de style, voulues ou non par leur auteur, disent quelque chose. Méconnaissance du sujet et de ses enjeux.
Tout cela, et mille autres choses que je ne développerai pas parce que j'ai déjà assez passé de temps là-dessus, illustre le drame du Point culture : tout en s'en défendant, il se prend beaucoup trop au sérieux, et vers dans la malhonnêteté et la superficialité par orgueil mal placé et intérêt à peine déguisé.
J'ajouterai quand même, au sujet de la forme, que le minimalisme est une posture difficilement soutenable étant donné l'absence de contenu qui se détache de cette toile de fond, et que son manque d'effort d'articulation le rend difficilement intelligible si des sons parasites surgissent, ce qui est pour moi une marque de mépris envers l'auditeur, dans la mesure où il préfère forcer l'attention par une cadence soutenue plutôt que d'être aisé à comprendre. Et puis, des tops 20 qui contiennent des infos aussi générales et que l'on peut trouver absolument n'importe où sur le web, je trouve ça inintéressant. À l'heure où des tas de créateurs font des efforts de dingue pour fournir un contenu novateur et original, sur le fond ou la forme (l'exemple parfait en étant évidemment Karim Debbache), je ne vois pas comment une émission telle que le Point Culture est défendable de quelque façon que soit.
Et sinon, désolé, mais... il n'est vraiment pas drôle.