Une des raisons pour laquelle certains d’entre-nous décidons de nous plonger dans des animes plus anciens est de découvrir les premiers du genre, les chefs de file qui ont révolutionné leur domaine. Au nom de l’érudition, et histoire de se gausser devant les plébéiens, il faut parfois être prêt à se sacrifier et nous détourner des divertissements purs. Trop parfois, car la réalité est que à moins d’être un professionnel ou posséder une abnégation à toute épreuve, l’ennui ferme qui entoure la plupart de ces oeuvres primordiales d’un autre temps, bien souvent pourvues de plus d’une cinquantaine d’épisodes, enraye bien des ambitions.
Moi-même, j’ai vite abandonné l’idée d’exhumer trop profondément les catacombes de la japanimation pour me restreindre aux séries qui ont le mieux vieilli, les classiques comme on dit. Néanmoins, il arrive de rencontrer des anomalies, des animes qui ont mal encaissé le passage des années, et qui pourtant arrivent à nous absorber d’une manière ou d’une autre. Tel a été le cas d’Attack n°1 en ce qui me concerne. Attention que je n'ai pas regardé Les Attaquantes, la diffusion française, mais bien la version japonaise.
Attack n°1 se présente comme un pionnier important. Diffusé entre 1969 et 1971, cet anime sur le volleyball est la première série sportive destinée à un public féminin, mais aussi l’une des premières séries animées orientées vers cette audience tout court. Cette adaptation de manga, créé par Chikako Urano entre 1968 et 1969, coïncide avec l’évolution et la diversification des thématiques abordées dans les magazines shoujo de l’époque. C’est en particulier la victoire nippone de l’équipe féminine (les Toyo no Majo) de volley aux Jeux Olympiques de 1964 qui va donner l’embrayage nécessaire à la publication de l’oeuvre. Cette dernière va avoir un succès certain et inspirer d’autres animes de volley par la suite comme Ashita Attack! (1977) ou encore Attacker you! (1984-85), le fameux Jeanne et Serge du Club Dorothée.
Figurer dans les rétrospectives de la japanimation est une chose, tenir la route sur 104 épisodes en est une autre. Malgré toutes ses bonnes intentions, Attack n°1 comporte beaucoup de maladresses dans son exécution, et de moments mal menés, parfois involontairement drôles dans leur médiocrité.
La narration notamment, laisse particulièrement à désirer durant le premier quart et charcute sans rythme les événements. Quelques scènes demandent d’ailleurs parfois une gymnastique du cerveau tant les sauts temporels peuvent s’avérer impromptus. On frise l’amateurisme en début de course, mais l’anime s’améliore au fil du temps, au prix d’un certain conformisme menant à la banalité.
La série aborde de nombreux thèmes, souvent avec de bonnes idées mais aussi un traitement qui laisse à désirer. Prenons les entraînements de volley par exemple. En tant qu’anime retro, Attack n°1 applique les normes sociales de son temps en montrant un encadrement spartiate des joueuses de la part de leurs entraîneurs qui poussent ces jeunes écolières jusqu’à leur derniers retranchements, physique comme mental. Les blessures et pressions psychologiques intenses ne sont pas rares, et la série condamne ces méthodes à plusieurs reprises via ses personnages. Cependant, en fin de compte, les victoires viennent toujours justifier la brutalité comme un mal nécessaire pour être au top.
Dans la même veine, la mise en scène des matchs de volley tend vers le réalisme, avec des tactiques limitées et des règles qui reflètent l’ancienne pratique du sport (set en 15 points, pas de libero, pas de jeu de pieds non plus). Comme tout anime qui se respecte, des techniques spéciales sont introduites tout le long des tournois et, tout à l’honneur de l’auteure, cette dernière essaye de les expliquer rationnellement : illusion d’optique, acrobaties en tout genre... Dans les faits, ces techniques restent des superpouvoirs qui définissent complètement les matchs, trop à mon goût. En fin de course, la série aborde ce problème sous un angle intéressant, en pointant du doigt une course à l’armement absurde où chaque technique est destinée à être rapidement contrée, mais dans les faits, les attaques spéciales règnent en maître jusqu’à la lignée d’arrivée.
Enfin, Attack n°1 souligne plus d’une fois l’importance de l’esprit d’équipe, mais il est clair que chaque équipe rivale est définie par une ou deux (voire trois) personnes. Même pour l’équipe principale, l’emphase est généralement centrée sur les performances d’une joueuse, l’héroïne Kozue, ce qui est somme toute un peu dommage, surtout que la série réussit à créer de bons personnages.
En effet, l’appréciation est très subjective mais je me suis surpris à m’attacher aux joueuses les plus importantes, et même plus secondaires. Qu’elles soient coéquipières ou adversaires de Kozue, la plupart d’entre-elles sont introduites en tant que rivales, qui remettent en doute la place et l’habilité de la protagoniste, avant que l’antagonisme ne laisse place à l’amitié, ou au moins au respect. La formule est rigide mais satisfaisante, notamment car l’anime s’efforce d’utiliser un maximum les personnages qu’elle développe, ce qui évite l’impression de drama inconséquent malgré l’abondance de celui-ci. Ainsi, la Midori bourgeoise et prétentieuse des premiers épisodes devient vite la meilleure amie de Kozue pour le reste de la série, la grande rivale des premiers tournois, Yoshiko Kakinouchi, continue d’apparaître jusque la fin du lycée dans des rôles différents... et on pourrait citer encore d’autres équipières comme Oonuma, Makimura, Nakazawa ou bien les soeurs Yagisawa... Par ailleurs, ce constat s’étend au-delà des joueuses (famille, coach, camarades de classe). Le résultat est un monde rempli d’intervenants bien établis, ce qui donne un ensemble organique et une continuité rafraichissante comparé aux nombreuses séries très épisodiques de ces années là.
Bien sûr, Attack n°1 ne serait rien sans son héroïne principale. Introduite comme élève modèle, intelligente et espiègle, Kozue montre vite bien plus de couleurs grâce à un caractère bien trempé, compétitif et indépendant. Malgré toute ses forces, la protagoniste a aussi ses faiblesses : elle explose en indignation, pleure dans l’impuissance, craque face aux nombreuses pressions qu’elle subit. En somme, elle se définit au fil des épisodes comme un être complet, à qui l’on peut s’identifier tout en étant exemplaire à de nombreux égards, grâce à ses talents et une persévérance à toute épreuve.
Et sacrebleu, de la persévérance elle en a bien besoin vu toutes les épreuves qu’elle doit traverser. Une adolescence remplie de tribulations, animées par les aléas de la vie mais aussi la malice de ses opposants. Avec Attack n°1, nous retrouvons la formule classique des oeuvres ‘shoujo’ qui consiste à faire des rivales de la protagoniste des salopes en puissance fomentant les 400 coups pour rendre sa vie un enfer. Les jalousies, persécutions et violences en tout genre sont bien au rendez-vous dans cet anime, et les coachs sont de la partie (malgré leurs ‘bonnes’ intentions), sans modération ni demi-mesures. Heureusement pour moi, cette approche stéréotypée a toujours été la source d’hilarité tant les abus peuvent s’avérer loufoques dans leur grandiloquence quasi surréaliste.
Attention cela dit, car je ne voudrais pas alimenter une fausse perception sur les ‘shoujo’ ou Attack n°1. Cet anime n’a rien d’une oeuvre fleur bleue et reprend les codes 'supokon' qu'on ne penserait voir que dans des oeuvres dédiés au public masculin : en plus des nombreux coups bas, la force des frappes fait régulièrement gicler du sang, les joueuses tombent dans la douleur des os brisés et des hémorragies internes. Tout est sacrifié sur l’autel de la victoire. Par ailleurs, la romance est un aspect plusieurs fois abordés mais l’auteure s’assure toujours, parfois brutalement, qu’il reste au second plan. Honnêtement, plus j’ai regardé la série, plus je me suis rendu compte qu’elle n’était pas si différente d’un Hajime no Ippo.
Malgré tous ses défauts, j’ai vraiment été impressionné par la modernité de l’anime et sa portée. Nous retrouvons déjà le pitch habituel d’un club partant de zéro, et déjà nous pouvons voir les protagonistes chanter l’ending de la série (détail qui m’a beaucoup amusé). Nous suivons également le parcours de Kozue sur de nombreuses années, du début de collège jusqu’à la fin du lycée, avec une galerie de personnages aussi riche que pertinente qui l’accompagne à toutes les étapes. L’ambition de la série ne s’arrête pas là et va jusqu’à inclure le circuit universitaire, et professionnel, pour pousser jusqu’à une dimension internationale, avec notamment la participation à une coupe du monde à New-York, qui est sans aucun doute mon arc narratif préféré. De plus, l’oeuvre réalise ses intentions sans trop d’épisodes inutiles, même si la parenthèse des Mighty 6 pourrait être considéré comme un filler. L’histoire de Kozue n’est sans doute pas la première à établir les futures normes des séries sportives ; du peu que j’ai vu Kyojin no Hoshi (1968-1971) semble assez similaire dans le domaine du baseball, et nul doute que d’autres innovateurs existent dans le plus vaste univers du manga, mais il n’en reste pas moins qu’Attack n°1 est selon moi un vrai précurseur dans les séries télévisées animées.
Visuellement, la série demande un regard habitué aux limitations techniques de son temps. Comparé à toutes les oeuvres des débuts des années 1970 que j’ai approché, Attack n°1 se situe dans la moyenne : quelque peu grossier mais sans trop d’énormités. Le rendu se bonifie un peu avec le temps mais même à son meilleur, il ne faut pas s’attendre à des miracles concernant les matchs de volleyball, qui enchaînent les séquences répétées et autres effets rudimentaires sur images fixes. Un autre mot de précaution important : la série ne lésine pas sur les flashs, nous sommes bien à l’ère pre-Pikachu, et le danger épileptique n’est pas anodin. Même sans l’être, j’avoue avoir fait une pause lors d’un épisode afin d’éclairer davantage ma pièce, c’est pour dire.
Malgré les bizarreries de la narration, des dynamiques répétitives et une exécution bancale, j’ai apprécié Attack n°1 pour les points susmentionnés, ainsi que pour d’autres points mineurs sur lesquels je n’ai pas trop envie de m’attarder. J’ai par exemple aimé le fait que la plupart des matchs sont rapidement expédiés, en particulier lors de la première moitié de la série. Même si les infortunes de Kozue m’ont diverti, j’ai davantage savouré les rares interactions sans drama des personnages. Enfin, il y a quelque inspirations de faits historiques de ces décennies, discrets mais curieux : la forte présence de l’URSS notamment, mais aussi la fondation du Kenya, ou encore le phénomène de délinquance féminine (sukeban).
Aucun regret ne subsiste après avoir terminé Attack n°1. Pourtant, je ne pourrai jamais le recommander en toute bonne conscience. Bien que j’ai reçu ‘l’appel’, cette obsession irraisonnée à se lancer dans une série, je n’ai jamais été scotché devant mon écran, ni n’ai enchaîné plus de 2-3 épisodes à la fa fois. Si j’ajoute en considération ses défauts majeurs, la balance entre divertissement et investissement semble bien trop défavorable. Cela ne m’empêchera pas de garder des souvenirs chaleureux pour cette série, qui a su marquer une époque, influencer un genre et demeure encore aujourd’hui un anime sportif unique.