Regard bleu malicieux, sourire enjôleur et silhouette d’adolescent, Jean Piat est sans conteste le seul Lagardère à pouvoir rivaliser avec Jean Marais en lançant son fameux « Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ». Il n’y a pas à dire, ça c’est du panache.
La série de Marcel Jullian et Jean-Pierre Decourt est si fortement ancrée dans les souvenirs des téléspectateurs des années 60-70 qu’il semble qu’elle comportait de nombreux épisodes, tant les péripéties s’enchaînaient dans une histoire née de la plume si fertile de Paul Féval, maître des romans feuilletons du XIXème siècle. Elle ne comportait pourtant que 6 épisodes de 50 minutes, des épisodes menés à un train d’enfer.
On appelait alors cela un feuilleton, aujourd’hui, on parle de mini-série.
Elle fait partie d’un bienheureux temps de la télévision française, celui des adaptations de grands romans historiques, comme celles tirées des œuvres d’Alexandre Dumas : Le Chevalier de Maison Rouge, Les Mohicans de Paris, Joseph Basalmo ou encore Les compagnons de Jéhu.
Dans la pure tradition des romans d’aventures, ces feuilletons présentaient de beaux et valeureux héros, des héroïnes belles et courageuses, complots, poursuites et enlèvements, le tout interprété par des acteurs brillants – dont souvent des acteurs de théâtre, membres de la Comédie Française.
Les aventures de Lagardère racontent l’histoire d’un jeune orphelin, Henri, élevé parmi une troupe de comédiens et qui se produit comme acrobate dans un théâtre ambulant, sous le nom de Petit Parisien. Deux maîtres d’armes, hommes de main à l’occasion, lui ont appris l’escrime et le fougueux jeune homme a hâte de partir à l’aventure. Une vieille nourrice lui apprend alors la vérité sur son nom, il est le Chevalier de Lagardère, de noble famille et ses parents ont été assassinés. Sa rencontre avec un jeune noble, Philippe de Nevers, va changer son destin. Celui-ci meurt, victime de la haine de son rival en amour Philippe de Gonzague.
Lagardère jure de le venger.
Cette vengeance guidera toute sa vie, tandis que, proscrit, il élève la petite Aurore de Nevers, qu’il a réussi à sauver. Sous l’apparence d’un étrange bossu nommé Esope, il trouvera et traquera les hommes qui, dans les fossés du Château de Queylus, propriété du grand-père d’Aurore, ont lâchement assassiné le pauvre Nevers.
L’ensemble est évidemment empreint de quelques naïvetés dans les dialogues et de certains aspects un peu artisanaux comme lorsqu’un poupon tout raide enveloppé de dentelles est censé représenter la petite Aurore de Nevers, poupon que Jean Piat prend même d’une main tandis qu’il se bat à l’épée de l’autre !
On appréciera la fidélité à l’œuvre de Féval, les versions suivantes ayant, soit transformé la douce Aurore en garçon manqué pour faire plus moderne, ou encore ayant, par pruderie, effacé l’histoire d’amour entre Henri et Aurore, la jugeant quasi incestueuse.
Cette série est la seule aussi, à ma connaissance, à adapter l’ensemble de l’histoire de Lagardère, la plupart s’arrêtant au fameux moment du bal du régent où le Bossu dévoile sa véritable identité et fait reconnaître Aurore.
Difficile donc de résister au charme de Jean Piat qui restera dans les mémoires des téléspectateurs des années 60-70, pour certains vêtu du rouge de Robert d’Artois dans la série de Georges Delerue, Les rois maudits, pour d’autres – dont je fais partie – surtout comme le bondissant Chevalier de Lagardère.
Grand homme de théâtre où il interprétera près de 150 rôles, sociétaire de la Comédie française, il se tournera aussi avec bonheur vers la télévision, le cinéma et vers le doublage. Les spectateurs français auront encore le plaisir de l’entendre jusqu’en 2014 comme voix du Magicien Gandalf dans les trilogies de Peter Jackson, Le seigneur des anneaux et Le Hobbit….restant finalement sans que l’on s’en aperçoive, pas très loin de nous.