Ils se croient à la pointe de la pensée, s'imaginent évoluer dans les sphères les plus nobles de l'esprit, se sentent au sommet de l'échelle de la sensibilité sociale.
Pauvres par leur condition professionnelle peu rentable, ils opposent non sans fatuité la modestie de leur existence matérielle à l'éclat supposé de leurs jours remplis de solitude et de poussière.
Et mettent leur insuccès quant aux gloires de ce siècle sur le compte de leur prétendue richesse intellectuelle. Le contenu de leur cervelle, qu'ils brandissent jalousement comme un trophée immatériel sans prix, est la seule chose qu'ils mettent en avant pour justifier leurs naufrages commerciaux, leur isolement, le peu de reconnaissance dont ils jouissent dans le grand public.
Ils disent mépriser les honneurs, l'argent, l'artifice.
En vérité ils sont gonflés de leur orgueil de rats de parchemins.
Ces petits aimeraient porter le masque de la grandeur, sans y parvenir... La preuve : aucun d'entre eux ne sort de son trou pour y briller au milieu des autres gens.
Tous ces reclus de la société se réfugient dans les ténèbres de leurs bouquins, incapables qu'ils sont de vivre sous le Soleil de la convivialité universelle. Sélectifs jusqu'à s'exclure des cercles amicaux trop éloignés de leurs habitudes de solitaires, ils s'enferment dans leurs boutiques vieillottes qui s'apparentent à des antres d'autistes, à des cavernes d'ours, à des grottes d'érudits pétrifiés.
Autant dire à des tombes.
Leurs livres représentent en vérité le coeur d'une secte.
Les libraires sont des gens parfaitement inutiles. Des menteurs. Des raconteurs de sornettes. Des brasseurs de néant. Des flagorneurs qui ne cherchent qu'à vendre du vide à leurs gogos de lecteurs qui se pensent supérieurs sous prétexte qu'ils lisent des histoires au lieu de faire pousser concrètement des salades dans leurs jardins.
Marchands de papiers voués au vent mort des bibliothèques, promoteurs de mots creux promettant des mets de feu, négociants de vraies fumées et d'imaginaires pages enflammées, les bouquinistes ne valent rien.
Contrairement aux électriciens qui eux apportent l'authentique lumière dans les foyers, aux plombiers qui empêchent les flots d'eaux malodorantes de se répandre dans les maisons ou aux primeurs des marchés qui ne peuvent pas mentir sur leurs marchandises étalées avec franchise et que l'on peut même tâter, humer, goûter avant d'acheter, les vendeurs de vieilleries, de pavés et de grimoires, eux ne font que proposer aux hommes de manger, que ce soit à grands frais ou à petits budgets, des kilos de verbe en l'air.