Question ? Comment être foncièrement objectif quand :
1 – Vous considérez Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire comme la meilleure saga littéraire jeunesse.
2 – Neil Patrick Harris est un de vos dieux.
3 – C’est la série que vous attendez le plus depuis trois ans.
La réponse est simple puisque il ne s’agira pas ici de fonder une quelconque objectivité sur une série qui pourra s’avérer, de toute façon, clivante. Quand bien même je me frotterais à l’exercice, il résidera finalement dans cette chronique plus un décorticage en règle de l’adaptation proposée par Netflix qu’un quelconque conseil de visionnage.
Mon conseil de visionnage est très simple, regardez la série ! Maintenant.
Avant toute chose…
Adapté de l’oeuvre de Daniel Handler, AKA Lemony Snicket dans la diégèse, Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire narre le tragique parcours de trois enfants, Violette, Klaus et Prunille Baudelaire, après l’incendie de leur maison et le décès de leurs parents. Confié à un tuteur malfaisant, le théâtral, cruel, bête et méchant Comte Olaf, nos orphelins s’aperçoivent vite que ce dernier en veut à leur héritage. Le début des ennuis pour le trio qui sera poursuivi par Olaf et ses sbires et devra éviter les pièges mortels sur sa route.
Comme vous pouvez le constater, tout cela n’est pas très gai et c’est d’ailleurs le ressort sur lequel la saga à fondé son identité littéraire. Daniel Handler prenait le contrepied des sagas infantilisantes pour la jeunesse et en offrait, avec beaucoup d’humour noir, le versant catastrophiste et (justement) baudelairien. Une suite d’événements fâcheux et déplaisants dont même le narrateur nous enjoignait à ne pas en poursuivre la lecture, jouant avec nos attentes de lecteurs, le suspense des situations et sa promesse que la suite serait drôlement pire. Et c’est avec gourmandise que nous avons dévoré, plusieurs fois, les 13 tomes de la saga parue entre 1999 et 2006. Avant de les refermer la larme à l’oeil, mais ça, c’est une autre histoire…
Traduite en 41 langues, vendue à 55 millions d’exemplaires, la saga se devait forcément d’intéresser Hollywood qui, en 2004, produit une adaptation cinématographique des trois premiers romans (Tout commence mal…, Le Laboratoire aux Serpents, Ouragant sur le lac). Réalisé par Brad Silberling pour Paramount, avec un Jim Carrey déchainé en Olaf, le film sort pour Noël et déçoit relativement au box-office. Point de suite donc au programme. Pour parenthèse, je vous invite fortement à découvrir le film qui est disponible sur Netflix, esthétiquement ambitieux, aujourd’hui encore très convaincant et sans qui, probablement, la série ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.
Nous en étions donc resté là avec nos Orphelins (je passe sur les quelques ouvrages périphériques sortis) jusqu’à ce que Netflix, en 2015, annonce le projet de ré-adapter les livres en série télé. MAIS QUELLE IDEE FORMIDABLE ! Et comme notre tête était au bord de l’implosion, vla t’y pas qu’on annoncait une supervision par Daniel Handler lui-même, le retour de Barry Sonnenfeld à la production (réalisateur des MIB et de La Famille Addams déjà producteur du film) et l’arrivée de Neil Patrick Harris en Comte Olaf et à la production. Schwing-shwing !
Critique garantie sans spoilers
Puis vint le vendredi 13 janvier 2017 et c’était là, devant nous. 8 épisodes retraçant les quatre premiers tomes de la saga (chaque tome est divisé en deux épisodes). 7 heures et des brouettes d’un programme familial et ambitieux qui retrouve génialement et métatextuellement l’essence du titre original : A Series of Unfortunate Events (Une série d’événements malencontreux).
Avis aux fans (mais ils ont déjà dû finir leur marathon), la série est très fidèle au ton et à l’essence des romans. Dès le générique entêtant (Look away), formidablement interprété par Neil Patrick Harris, on nous incite à regarder ailleurs et à ne pas se lancer dans l’aventure. Avertissement qui sera répété maintes et maintes fois durant la série par un Patrick Warbuton délicieux en Lemony Snicket mystérieux mais à visage découvert (à l’inverse d’un Jude Law dans l’ombre en 2004). Les nombreuses et amusantes interventions du narrateur dans les romans sont ici conservées presque à la lettre et rythme complètement la série.
C’est d’ailleurs par elles qu’agissent nombre de procédés de mise en scène accentuant la dimension contée du show. Des procédés ludiques, plutôts amusants et bien exécutés dans une série finalement très théâtrale. Comprenez par là que la réalisation ne se permet pas beaucoup d’excès, voire si on était un peu durs, de personnalité. Barry Sonnenfeld, Mark Patansky et Bo Welch (également production designer du show), les trois réalisateurs de cette saison, partagent un style assez similaire. Et ce, au sein de la série, mais aussi de leurs oeuvres antérieures. A savoir qu’ils profitent tous d’une exemplaire et foisonnante direction artistique sans pour autant la transcender, plus intéressés par la direction d’acteurs que par un cadre ou un mouvement graphiquement impactant.
C’est là une des notables différences avec le film qui, esthétiquement, avait une sacrée gueule et bénéficie, encore aujourd’hui, de ses cadres élégants.
Mais ne jetons pas la pierre, tout cela reste très correct et rien ne nous dit que le budget, visiblement confortable, ne permettait pas non plus l’esbrouffe. D’autant plus quand les rythmes de production entre télé et cinéma n’ont rien à voir et qu’on à un bébé à filmer… D’ailleurs, c’est sûrement le moment pour moi de vous parler de l’épineux cas de la craquante Prunille.
Bon, il faut savoir que la législation sur le tournage des enfants est très stricte, ici comme aux States. En France, en dessous de 2 ans, un enfant ne peut pas travailler plus d’une heure sur une journée, plus d’une demi-heure en continu. Imaginez donc si c’est le même cas pour le boutchou Presley Smith ?!! D’habitude, on prévoit le coup avec des jumeaux, ce n’est pas le cas ici et ça se voit souvent. Et une fois que vous l’avez spotté, vous êtes mort, vous entrerez dans la dimension « vrai ou pas ». Grossièrement, quand Prunille n’est pas réellement présente sur le plateau, elle est remplacée par un poupon ou une doublure numérique. Sauf que le poupon, ça ne bouge pas et que la doublure numérique n’est pas toujours bien incrustée. D’où ce sentiment étrange qui attire suffisament l’oeil pour être bizarre mais pas assez pour que ce soit vraiment honteux.
A la décharge de la série, il est louable d’avoir fait en sorte de représenter le plus possible le trio et pas seulement les ainés en suggérant Prunille. C’est cette seconde voie qu’avait pris le film et vous serez d’accord pour admettre qu’il y a plus de courage à affronter un problème qu’à le contourner. D’autant plus vu la galère logistique et de post-production que cela suscite.
Visuellement très fournie dans son impeccable direction artistique, la série recours beaucoup (comme le film) à des fonds-verts. Si on sait qu’à la télé, c’est toujours un processus hasardeux, Les Désastreuses aventures des Orphelins Baudelaire, si elle n’est pas parfaite, tire plutôt son épingle du jeu. Ce pour la raison simple que le monde dans lequel nous évoluons ici est une légère variation du nôtre, il est impossible de véritablement le placer dans le temps et l’espace, il y existe des créatures stupéfiantes,…. Il y a déjà donc une dimension d’irréalité ou de sur-réalité qui permet l’emploi du numérique au delà des questions de représentations, de coûts et de logistique. Et puis tout simplement, les lieux traversés reflètent aussi les personnes qui y vivent (c’est dit explicitement) d’où une forme d’expressionnisme typique des années 1920-1930, contexte pas si déconnant pour notre histoire. L’expressionnisme d’aujourd’hui passant pour beaucoup par le digital, on retrouve ainsi dans l’univers une patte et un ton à la Pushing Daisies dont (oh tiens !) Sonnenfeld était producteur.
Tout cela participe à renforcer « l’emprise » de l’univers sur un show visuellement maitrisé. On ne s’étonnera donc pas que les comédiens soient aussi des outils esthétiques au service de la série. Notamment Olaf et ses sbires, troupe théâtrale et criminelle en forme de freak-show dont les poses et le jeu, tout aussi expressionniste, offre un rythme et un humour bon-enfant. La série ne fait d’ailleurs jamais mystère de la dimension très théâtrale de ses interprètes (à l’exception du trio éponyme), ce qui pourra être un frein définitif pour certains mais fait part, pour moi, d’une réelle fidélité aux personnages hauts-en-couleur de Handler.
En cela, rien d’étonnant à voir que l’explosif Neil Patrick Harris patronne en Comte Olaf. Aussi cabotin que son prédecesseur, NPH déballe toute sa science de la scène, offre (forcément) quelques chansonnettes et surtout construit quantité de personnages fantasques. Olaf usant à chaque fois de ses talents d’acteurs et de grimage pour retrouver les orphelins et duper les adultes autour d’eux. L’occasion d’apprécier les tronches pas possibles et les dictions improbables de Stéphano, Captain Sham ou Shirley. Mais aussi de savourer l’humour méta de NPH qui cite joyeusement et subtilement Netflix dans presque chaque épisode. J’ai d’ailleurs ma théorie qu’à l’issue de la série, Olaf soit en vérité Barney de How I Met Your Mother testant de nouveaux personnages pour son playbook. Mais je m’égare…
Plus présent que dans les films, voire même que dans les livres, le gang d’Olaf n’est pas en reste avec un sacré casting de gueules, aussi drôle qu’imbécile. Dans l’ensemble, tout le casting fait parvenir un plaisir communicatif et ce n’est pas les quelques guests-stars rythmant les épisodes qui plaideront le contraire.
Mais notre trio, lui, qu’en est-il ? Et bien c’est pas mal mais ça se réveille bien tard. Si on met un certain temps à oublier Emily Browning et Liam Aiken, ce n’est pas tant parce que les interprètes sont mauvais (Malina Weissman et Louis Hynes sont d’ailleurs plutôt convaincants et Prunille est toute mignonne) mais parce que la série met du temps à les identifier comme nos véritables héros. Comme le film, la série se focalise pendant très (trop ?) longtemps sur l’antagoniste Comte Olaf, lui laisse beaucoup de place ainsi qu’à d’autres protagonistes mais oublie un peu de creuser les personnalités de chaque enfant au delà de leurs compétences propres (l’inventivité de Violette, le savoir de Klaus et les dents de Prunille). Ce n’est qu’à partir de l’épisode 5 qu’on suit réellement et avant-tout le trio, au gré de changements de lieux et d’une quête personnelle.
J’en viens ainsi au nerf de la guerre, ce que la série raconte. Et d’un point de vue d’adaptation, c’est (presque) parfait. Si le show adapte assez efficacement les tomes investis, rendant hommage à la bizarrerie de l’univers et aux péripéties capillotractées qui y prennent place, il n’en oublie pas de trahir comme il faut pour vraiment investir une structure sérielle. Toute la trame fil rouge de la société secrète VDC, qui prend forme finalement assez tard dans les romans, est ici mise en place dès le début. Ce qui construit, au delà des intrigues propres à chaque duo d’épisodes, une histoire à suivre et un mystère global à éclaircir dans la veine des séries complotistes de networks qui provoquent ainsi l’addiction. C’est ici habilement posé au détour de quelques dialogues et par l’intégration de nouveaux personnages (ou de personnages simplement évoqués dans les romans) qui suivent le trio et le protège. C’est aussi une prise de conscience rapide des orphelins qui ne sont plus suiveurs mais véritablement acteurs de leur destin très tôt. Et ce sans compter le paquet de références héritées des livres et dissimulées un peu partout (porn de fan) ainsi que les multiples renvois que la série fait esthétiquement et narrativement à ce qui construira, à n’en pas douter, l’oeuvre globale. Mais aussi, espérons le, alimentera quantité de discussions de fans et de spectateurs.
J’ai plus de réserves sur deux choses :
1 – Une carotte narrative au long cours de l’épisode 1 à 6, façon roublarde (mais grillée bien avant son terme) de poser quelque chose de polémique et d’audacieux pour la saga avant de faire pschiiit. Enfin oui et non car ce n’est pas totalement inutile à la suite de l’histoire non plus. Enfin, chacun se fera son avis.
2 – Je ne comprends pas pourquoi la série n’a pas opté pour l’option Sherlock, à savoir des épisodes d’1h30 mais entiers permettant ainsi d’avoir des épisodes presque unitaires plutôt qu’en deux parties. D’autant plus que les cliffhangers ne sont pas très efficaces et qu’il y a forcément toujours comparaison entre la première et la seconde partie.
Un dernier mot enfin sur le caractère particulier de cette saison 1, qui limite peut-être aussi un enthousiasme réel de ma part : le déjà-vu. Et ça, c’est quelque chose contre lequel la série aura injustement du mal à lutter. Car il faut se l’avouer, les trois quarts de cette première saison ont déjà fait l’objet d’une adaptation, par une partie de l’équipe impliquée ici avec des intentions presque similaires. D’où le sentiment, pour la série, d’une lègére redite avec le film qui nous fait traverser les mêmes situations, les mêmes lieux, rencontrer les mêmes personnages mais qui se donne pourtant beaucoup d’efforts pour étoffer, déployer et faire varier tout cela. Le constat est pourtant là, on attend tout du long, sans déplaisir mais avec impatience, les deux derniers épisodes pour voir enfin de l’inédit et sortir du passage obligé mais nécessaire. D’autant plus si on a lu les trois premiers tomes quatre fois chacun…
Bien évidemment, si vous êtes néophyte, vous êtes les plus vernis !
En définitive, malgré les quelques défauts énoncés, Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire est bien la série familiale de divertissement promise. Les qualités attendues sont au rendez-vous avec même un ton et un déroulement qui lui sera propre et promet des choses inédites et excitantes pour notre saga adorée. Du respect, un peu d’audace, du boulot, du talent et le sentiment que tout le monde veut produire une bonne série. Franchement, on a vu pire ouverture pour de si désastreuses aventures !
PS : La série est déjà renouvelée pour une deuxième saison de 10 épisodes qui retraçeront les romans 5 à 9. Une troisième et dernière saison devrait suivre (très probablement) pour adapter les livres restants en sachant que les producteurs veulent aller vite pour conserver le casting d’enfants d’origine. J’ai regardé, en 2018, le vendredi 13 tombe en avril ????