En Novembre 2015, la société de production Golden Moustache sort le long-métrage Les Dissociés, réalisé par Raphaël Descraques et écrit par la team Suricate. C'est pour moi la première frappe sur Youtube, le début de quelque chose de grand : Internet peut faire du contenu long, ne se basant pas uniquement sur un ressort comique et avec un véritable concept utilisé de A à Z.
Et c'est un peu ce que je retrouve avec Les Emmerdeurs, une des premières série estampillée Youtube Originals. Tout d'abord, notons l'ambition : une série fantastique 26' de 10 épisodes en pleine seconde guerre mondiale suivant des jeunes adultes dotés de pouvoirs extraordinaires en quête de repères dans un monde en changement total de paradigme. C'est là pour moi toute la réussite des Emmerdeurs, un concept intriguant poussé dans ses extrêmes qui se révèle pertinent par rapport à ce qu'il met en scène. Les personnages sont tous des marginaux, un élément que l'on retrouve souvent chez Golden Moustache (ça fait du bien à voir), avec des caractères propres et aucun n'est laissé de côté au détriment d'un autre. Chaque archétype de personnage est très bien amené puis souvent détruit comme Némo, interprété tout en nuances par Sébastien Lalanne, ou encore Laurène, le personnage le plus touchant à mes yeux, interprétée par la brillante Camille Claris. Toute cette troupe vient se glisser dans l'histoire avec une fluidité et des dialogues qui font mouche (Big up à Flober, dialoguiste et script doctor sur la série).
Outre la mise en scène classique et plutôt efficace, même s'il y a des fulgurances, la série porte des thèmes très pertinents. Le plus marquant est bien sûr celui de jeunes adultes devant se faire une place dans un monde déchiré. J'y vois une réflexion sur aujourd'hui et la place des adolescents dans cette société médiatique, où l'individualisme domine. Dans Les Emmerdeurs, cet individualisme est très présent - tout comme dans Groom, bizarrement -. Les personnages ont au départ comme seul moteur narratif leurs désirs et leurs pré-jugés, Manu ou Némo par exemple, et vont se rassembler à travers leurs expériences. On a ici un très bon développement narratif classique, mais aussi un rappel de l'importance de la communauté, d'un groupe, voir même d'une famille. Plusieurs fois dans la série, les personnages se retrouvent perdus. Que ce soit la recherche du pardon de Dieu pour Pierrot dans les derniers épisodes ou les doutes de Solène dans sa relation toxique avec Schäffer, cela découle toujours à une désobéissance. L'ordre établi, les croyances, l'opinion, tout est remis en cause. Le sub-plot avec le Faucon, agent-double traître chez Hexagone, montre bien ce thème et jusqu'au dernier épisode les doutes sont permis. Toutes ces actions me rappellent à quel point la désobéissance est importante, se forger sa propre identité, quitte à être marginal. Et bien sûr, tous ces thèmes m'ont touché et ému.
Les Emmerdeurs pourrait être une simple série produite pour Youtube, en l'apparence classique et parfois trop restreinte. Mais si l'on y regarde de plus près, avec un jugement affiné et des émotions nues, alors on peut y voir une série cultivant la diversité, l'unité et la force de la volonté, alors on s'ouvre à une oeuvre proposant ce qui se fait de mieux sur le net. Et c'est ce que j'ai ressenti pendant mon visionnage.