Je regrette que ce niveau de série télévisée française n'a semblé exister que dans les années 70. A cause de la mondialisation on est supplanté par les séries anglo-américaines comme Bridgerton ou Game of Thrones... pourquoi est-ce qu'on a 3 ou 4 films américains de Jeanne d'Arc et une série américaine sur Tchernobyl, mais pas de série française (récente) sur Roland sous Charlemagne ou la vie de Marie Curie ? Il devrait pourtant y avoir de la place pour tout le monde, et il y a matière à faire. Avec Les Gens de Mogador, on se rend compte que c'est possible, que c'est bien que les gens écrivent mal et non que la langue française est inadaptée au format télévisuel. Les personnages s'expriment avec des tournures de phrases archaïques, les époux se vouvoient, on dirait les dialogues tout droit sortis du roman-source... et pourtant ils déclament leurs textes si naturellement qu'on s'y croirait. Ils jouent bien, leurs émotions sont bouleversantes - pas suprenant que cette série aie eu autant de succès à sa sortie.
La série a tout de même bien vieilli - il y a des coupures de plan très sèches. Des personnages principaux meurent dans des épilogues ou des rappels en début d'épisode, et on n'en entend plus jamais parler. Le maquillage des personnages vieux ou mourants est si badigeonné qu'il est à la limite du comique. Au niveau de l'histoire, un bon drame de bonnes femmes qui n'épousent que des maris horribles qui leurs mènent la vie dure et les tournent en bourrique, mais les moeurs de 1885 ne pardonnent qu'à moitié la misogynie qui en réalité perdure jusqu'aux années 70. J'ai décroché au 3ème ou 4ème épisode, quand la jeune Ludivine se fait enlever devant l'église le jour de son mariage par son mari, qui déchire sa robe en l'emmenant à cheval parce qu'il "y avait trop de monde et que ça l'ennuyait". Malgré ses cris il la poursuit jusqu'à leur chambre nuptiale où elle lui hurle de ne pas la toucher et lui jette des affaires pour qu'ils s'en aille. Il répond "qu'elle est sa femme et qu'elle n'a donc plus le droit de refuser qu'il la touche", puis se jette sur elle pour la violer.
Ce viol n'est pas présenté comme tel, vu que Ludivine finalement se calme et qu'ils retournent à leur banquet de noces ébouriffés, un moment cocasse entre deux jeunes mariés à la relation tumultueuse. Par la suite, il paraît que Ludivine le lui rend bien (j'ai lu un résumé ailleurs). Mais voilà, les acteurs jouent si bien, la course au viol n'était pas ce que j'appellerais la meilleure expérience télévisuelle de mon après-midi, et c'est un drame plutôt qu'une tragédie... là où une héroïne chinoise où coréenne se morfondrait et jurerait de se venger, les femmes de Mogador subissent mais justifient leur destin, car elles sont elles-même déterminées à défendre le patriarcat jusqu'à la moelle. Triste et difficile à regarder malgré d'évidentes qualités.