In vino, veritas ?
Les Gouttes de Dieu est à l’origine un manga de Tadashi Agi et Shu Okimoto, qui a pendant 10 ans et au long de 44 tomes, connu un succès historique au Japon, où il a contribué au développement de...
Par
le 14 juin 2023
12 j'aime
Voir la série
Les Gouttes de Dieu est à l’origine un manga de Tadashi Agi et Shu Okimoto, qui a pendant 10 ans et au long de 44 tomes, connu un succès historique au Japon, où il a contribué au développement de l’intérêt des Japonais envers le vin. Extrêmement didactique – certains passages sont purement et simplement de véritables cours sur la vigne et les vins -, mais paradoxalement ouvert à toutes sortes de délires conceptuels visant à figurer par l’image dessinée l’expérience olfactive et gustative du vin, les Gouttes de Dieu est une œuvre colossale, certainement impressionnante tant par l’amoncellement de connaissances qu’elle propose que par ses tentatives pour le moins osées de convaincre le lecteur néophyte du sublime de l’expérience œnologique. Au centre du récit, qui sait heureusement prendre régulièrement des chemins de traverse pour explorer la vie familiale et sentimentale de ses héros, se trouve le duel entre les deux fils d’un grand critique du vin, pour recevoir l’intégralité de son héritage : Shizuku, le véritable fils de Kanzaki, est un rebelle sans culture œnologique, tandis que Issei Tomine a été, lui, adopté et est un jeune critique érudit. Tous deux doivent identifier douze vins (les douze apôtres) dégustés à l’aveugle, avant d'être départagés éventuellement en devinant la nature d'un treizième, les « Gouttes de Dieu ».
Inutile de dire que l’adaptation d’une telle œuvre, même avec la longueur qu’autorise un format série, est un énorme défi, et on est forcément curieux de voir comment s’y sont pris Quoc Dang Tran et son équipe, pour cette production franco-américano-japonaise. Et il faut reconnaître que tout cela ne manque pas d’intelligence : d’abord, et cela apporte une vraie richesse aux Gouttes de Dieu, ils ont remplacé le critique japonais par un œnologue français, et son fils par une fille, Camille, toute aussi rebelle que Shizuku. Cette ouverture géographique permet dès lors un va-et-vient passionnant entre la France et le Japon, entre les deux cultures, ainsi que le mélange, d’une grande fluidité, des langues – en y ajoutant l’anglais comme langue internationale : les problématiques et les conflits familiaux sont rendus plus riches, plus pertinents aussi par les ambiguïtés et les antagonismes culturels, et c’est vraiment là un gros, gros point fort de la série.
Quoc Dang Tran a par contre opté pour une simplification radicale de l’histoire avec seulement trois épreuves, ce qui lui confère plus de réalisme mais en réduit dramatiquement la complexité : en évacuant également les aspects pédagogiques du récit, et la plupart des passages oniriques, il y a en outre un effet de trivialisation des Gouttes de Dieu, qui, combinée avec le choix de montrer à l’écran plutôt du luxe et des milieux richissimes, « glamourise » à outrance le monde du vin, et risque d’en hérisser plus d’un.
L’écriture de la série s’avère bonne, même si l’on déplorera la disparition quasi miraculeuse de l’allergie handicapante de Camille vis-à-vis du vin, cette affection spectaculaire, avec saignements de nez et tout et tout, n’étant pas la meilleure idée du scénario. A l’inverse, le fait de centrer le récit sur la « filiation », et tout ce qui, inné ou acquis, se joue entre parents et enfants, est absolument pertinent. De plus, le sujet des abus de pouvoir et de la spéculation financière autour du « Guide Léger », avec la partie « italienne », est bien vu, tandis que le versant purement japonais, avec les rapports difficiles d’Issei Tomine avec sa famille, et sa mère en particulier, est très réussie : tout cela ajoute du poids à l’histoire du duel entre Issei et Camille. En ce qui concerne l’interprétation, on votera plus pour le côté japonais du duel, avec un charismatique Tomohisa Yamashita (déjà entrevu dans un rôle fort dans Alice in Borderland), que pour le côté français, Fleur Geffrier ne nous laissant pas un souvenir impérissable.
En résumé, avec un happy end un tantinet trop satisfaisant, les Gouttes de Dieu s’avère une adaptation correcte d’une œuvre que l’on pensait inadaptable, ce qui n’est pas si mal, d’autant plus que les fictions tournant autour du vin ne sont pas si nombreuses. Admettons que, pour une fois, il aurait sans doute été pertinent de planifier cette histoire complexe sur deux ou trois saisons pour en extraire toute la complexe saveur.
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2023/06/14/apple-tv-les-gouttes-de-dieu-in-vino-veritas/
Créée
le 14 juin 2023
Critique lue 1.1K fois
12 j'aime
D'autres avis sur Les Gouttes de Dieu
Les Gouttes de Dieu est à l’origine un manga de Tadashi Agi et Shu Okimoto, qui a pendant 10 ans et au long de 44 tomes, connu un succès historique au Japon, où il a contribué au développement de...
Par
le 14 juin 2023
12 j'aime
L'intrigue est pas mal, c'est vrai....mais le problème est que ça joue "faux" la plupart du temps, et particulièrement le casting Français qui est médiocre. On a parfois l'impression d'être face à...
Par
le 19 juin 2023
4 j'aime
Voilà une série qui prouve que l'on peut faire du captivant sans avoir recours aux ficelles courantes des effets en tout genre souvent là pour pallier à la pauvreté de l'histoire.Car cette série est...
Par
le 7 juin 2024
3 j'aime
2
Du même critique
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
Par
le 29 nov. 2019
205 j'aime
152
Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...
Par
le 15 janv. 2020
191 j'aime
115
Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...
Par
le 15 sept. 2020
190 j'aime
25