Les Marioles de Blast
1.7
Les Marioles de Blast

Émission Web YouTube (2022)

En immense fan des Guignols, j’étais plus qu’enthousiaste à l’idée de retrouver l’auteur phare et le réalisateur historique de cette mythique émission aux commandes d’un nouveau programme de satire politique avec des marionnettes. Hélas, le temps passe, les gens vieillissent, et ce qui avait été si brillamment réalisé par le passé, ne peut être reproduit 15 ans plus tard dans des conditions différentes.


Le projet initial était de faire revivre Les Guignols dans un autre cadre, plus en phase avec le monde médiatique contemporain. Usul, Max Chabat et Camille Fievez, annoncés comme futurs auteurs du show, laissaient entrevoir la possibilité de courtes pastilles parodiant les nouvelles formes d’émissions populaires ; des chroniques radio de Guillaume Meurice, aux recettes de cuisine sur TikTok, en passant par les intervews Youtube de Thinkerview. Et même si les premiers sketchs allaient de "passable" à "franchement médiocre", en grande partie à cause d’une réalisation et d’un montage catastrophiques ; l’idée était suffisamment prometteuse pour mériter d’être encouragée. Après tout, la première monture des Guignols n’était pas non plus une grande réussite, il a fallu 2 bonnes années à la production pour se trouver, et peut-être qu’en leur donnant les moyens nécessaires à leurs ambitions, l’équipe des Marioles arriverait plus rapidement à marcher dans les traces de leurs illustres ancêtres.


500 000€ furent donc récoltés durant la campagne de financement participatif ce qui, conformément aux annonces du crownfonding, permettrait à la production de confectionner 4 marionnettes et de livrer 2 sketchs par mois au public de Blast, en fonction de l’actualité et des grands évènements. Alors comment en est-on arrivé à une série post-apocalyptique en 3D, totalement décorrélée de toute actualité ?


La direction de Blast a avancé plusieurs explications : manque de fonds récoltés par rapport aux ambitions initiales, litige avec la société créatrice de marionnettes et surcoût alloué à la campagne de financement ayant finalement réduit le budget à un total de 150 000 €. Impossible d’attester la véracité de ses informations. Nous sommes obligés de croire le patron du média Denis Robert sur parole et, vu l’énorme scam qui nous a été livré, je prie pour qu’une partie des 500 000 balles récoltés aient été détourné pour financer de meilleurs émissions sur la chaîne mère.


Mais quand bien même le budget ne permettait plus de produire « 2 sketchs par mois avec des marionnettes », d’abord la logique aurait été d’en avertir les 7800 contributeurs, pour leur laisser la possibilité de retirer leurs billes d’un projet qui ne serait de toute façon plus conforme avec celui qu’ils avaient financé à la base ; et d’autre part, il était encore possible de produire une dizaine de sketchs sur l’actualité, même dans une 3D immonde digne des premières années de Midi les Zouzous.


Sauf que nous avions tous négligés un détail dans ce projet, celui du directeur d’écriture Bruno Gaccio. Ce dernier n’a, en réalité, jamais été emballé par le projet de satire politique vendu par Usul, Chabat et Fievez. Leurs divergences artistiques éclateront d’ailleurs au grand jour durant le live de fin de campagne, où Gaccio et Robert annoncent fièrement leur désir de créer une nouvelle version de Plus Belle la Vie avec Macron et Bolloré, au grand dam d’Usul qui coupe immédiatement court à cette idée saugrenue.


Hélas, l’ex patron des Guignols Yves Le Rolland ayant le leadership, la ligne de son vieux pote Bruno s’est donc naturellement imposée. Exit donc Max Chabat et l’impétueux Usul du pool d’écriture. Restée par dépit, Camille Fievez se verra finalement retirée du générique. Enfin Patrick Lhonoré, ex auteur extérieur pour les Guignols, sera appelé en renfort par Gaccio en personne. Quelques semaines avant la diffusion des Marioles sur Youtube, Fievez s’est d'ailleurs fendue d’un tweet pour s’insurger contre « les mecs cooptant leurs potes auteurs alors qu’ils sont nuls à chier ». Comprenne qui pourra…


Tout cela pour dire que, cette direction artistique on ne la doit qu’à Bruno Gaccio, Denis Robert et Yves Le Rolland. Ils n’ont aucune circonstance atténuante à faire valoir et ont délibérément choisit de n’en faire qu’à leur tête, au détriment de tout ce qui avait été initialement vendue à leurs généreux contributeurs. Rien que sur ce simple fait et indépendamment de la qualité intrinsèque du produit, vous seriez parfaitement en droit de hurler à l’escroquerie et d’exiger un remboursement de votre mise.


Alors autant vous dire qu’avec toutes ces casseroles au cul, l’équipe n’avait tout simplement pas le droit à l’erreur. Et quand on voit le résultat final, il y a franchement de quoi devenir de droite !


Passons outre la laideur incommensurable de l’ensemble, la platitude de la mise en scène, ou l’animation cataclysmique qui pue l’économie de bout de chandelles à tous les étages. Passons également sur l’interprétation très inégale des imitateurs, l’intrigue des épisodes qui patine sévère et pourrait être facilement écourtée en 3min par épisodes ; ou toutes ces blagues de grands-pères comme on oserait même plus en faire sur Facebook ou sur France Inter. Ce qui me choque le plus dans ce naufrage, c’est de penser au pauvre contributeur de Blast, ayant financé une satire politique de gauche, en réaction à tous les humoristes et influenceurs d’extrême droite pullulant sur la plateforme, et qui se retrouve avec exactement les mêmes blagues que Greg Toussaint, Tabibian, Bruno Salé ou consorts sur les féministes hystériques, la cancel culture, les personnes trans ou la culture du viol.


Et je dois dire que je me sens même un peu responsable de cela. Car lors d’un des premiers sketchs proposés par l’équipe l’année dernière, je leur avais conseillé en commentaire de ne pas se forcer à arborer un propos politique qui pourrait prendre le pas sur l’humour. Les encourageant d’abord à se faire rire, pour ensuite nous faire rire par la même occasion, en sachant bien que leurs convictions politiques irrigueraient naturellement la teneur de leurs sketchs. Un conseil qu’ils ont visiblement pris au pied de la lettre. Ces 70min de fiction nous donne un aperçu de ce que Gaccio et ses potes d’un autre âge peuvent avoir dans la tête : une vision profondément cynique du monde actuel, où gauche comme droite sont tout aussi pourries l’une que l’autre, la gauche étant limite plus énervante que la droite sur pas mal d’aspects ; mais surtout quelle que soit leur appartenance politique, pour les auteurs ces dirigeants ne représentent rien face aux vraies puissances occultes qui gouvernent le monde. Vous le sentez cette belle vision de boomer complotiste omniprésente sur Facebook ? Eh bien voici ce que ça donnerait dans une fiction de 70min et franchement, ce n’est pas beau à voir.


Honnêtement, j’en ai vu des merdes depuis que je suis sur ce site. Ça fait même parti de mes kinks de cinéphile. Je prends un plaisir presque masochiste à chercher la perle rare de la médiocrité. Mais là, je peux vous certifier que c’est l’une des œuvres audiovisuelles les plus douloureuses que j’ai eu à visionner. Je préfèrerais revoir une 6ème fois le Manoir ou voir 1000 fois Pourquoi j’ai pas Mangé mon père, que revoir un seul épisode de cette ignominie.


Je fais cette critique pour garder une trace de ce scandale, mais malgré les élucubrations de Gaccio, encourageant ses haters à financer d’ors et déjà la Saison 2, je doute que nous entendions à nouveau parler des Marioles. Le simple fait d’avoir bazardé l’intégral de la série en toute discrétion, sur une chaîne secondaire spécialement créée pour l’occasion (façon VoxMakers Plus) est déjà un cuisant aveux d’échec.


J’en reviens à ce que je disais en introduction, mais il n’est pas possible de refaire Les Guignols en 2024. Ils furent une bouffée d’air frais dans le paysage médiatique des années 80/90, ringardisant instantanément Le Bébête Show qui occupait pourtant le terrain depuis 6 ans et régnant en maître sur la satire politique de leur époque. Mais il ne faudrait pas oublier que, bien avant le sabotage initié par Bolloré à partir de 2015, l’émission avait perdu beaucoup de mordant et montrait déjà des signes de fatigue. Par conséquent, si de nouveaux Guignols voient le jour, alors ils émergeront naturellement, portés par une nouvelle génération d’auteurs, qui aura su digérer l’héritage de leurs aînés pour créer quelque chose en phase avec leur époque.

Alfred Tordu

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