Prenons une scène classique, propice aux plus abracadabrantes péripéties : Une voiture qui roule sur une route de montagne. La voiture dérape et tombe dans un ravin.
Chez Disney, les personnages seront surement projetés en l'air, rebondiront sur les rochers, le sol, rouleront dans l'herbe et se relèveront étourdis. Le comique nait d'un burlesque de situations extravagantes et de chutes en pagaille.
Chez Warner, les personnages pourront rester au volant, la voiture pourra s'arrêter à un mètre du sol et quelqu'un pourra déclarer "Panne d'essence", à la suite de quoi la voiture s'écrasera salement sur le sol en malmenant puissamment les personnages, quitte à, le cas échéant, leur dézinguer la tronche. Sarcasme et cruauté font l'humour Warner, et le tout dans un esprit qui défit toute limite, là où le cartoon lui même a parfaitement conscience d'être un dessin d'une main talentueuse et qu'en tant que tel, il est à la fois surpuissant et esclave.
Cela ne veut en rien dire que les courts Disney sont "inférieurs" car plus "limités", non. Ce sont juste des cadres différents. Là où règne l'un des deux, l'autre ne pose pas la patte et inversement. Les studios Disney touchent par leur finesse expressive et une sensibilité de trait qui ne limite pas leur style à anthropomorphiser mais "capture" réellement un peu de chaque chose qu'ils animent. Chez Warner, on se passe déjà depuis bien longtemps de tout soucis de représentation "réaliste", suivant, dans le digne héritage de Tex Avery, la voie euphorique vers l'exploration des pouvoirs du cartoon, organisant les plus improbables, sadiques et affectueuses des bastonnades.
Chacun a ses préférences. Pour ma part, mon amour pour l'animation des deux premiers tiers du siècle dernier ne saurait médire sur qui que ce soit, et je ne cesse de trouver mon bonheur tant dans les Silly Symphonies que dans les Merries Melodies. Seulement je l'admets, l'humour Warner dans lequel j'inclus par assimilation Tex Avery, reste complètement irrésistible, et si je hisse au panthéon de l'art animé les longs métrages Disney, c'est bien la MGM et Warner qui l'emportent pour moi dans le royaume des courts.
Alors passons sur le beau monde qui peuple tout ça. Il y a les couples, souvent célèbres, dont le binôme ne saurait trouver son total épanouissement s'il était rompu. Basés sur d'incessante répétitions, et titulaires éternels du "Mais putain pourquoi ça me fait toujours autant rire ce truc ?? C'est toujours pareil bordel", les Bip-bip et Coyote ou Titi et Grominet restent au sommet de leur genre, peut être égalé par leurs proches cousins Tom et Jerry.
Ensuite, il y a les solitaires, souvent plus anecdotiques mais dont certains ont marqué les esprits au point de devenir de vraies stars crayonnées. Taz, Speedy Gonzales, Pépé le putois, Porky Pig, Michigan J. Frog sont autant d'électrons libres que de guest stars récurrentes. Il y a aussi les éternels souffres douleurs, plus ou moins solitaires, plus ou moins personnages secondaires permanents comme Sam le pirate ou Elmer Fudd, des tireurs fous, hystériques et bien souvent la cible des pires cruautés animales...
Et puis il y en a une flopée d'autres...
MAIS SURTOUT
Il y en a deux. Eux, plus qu'aucun autre, je les aime. C'est très con de dire ça d'un dessin, je l'conçois, mais ça n'y change rien. Ils crapahutent aussi bien en solo qu'en coopération ou en duel, mais force est d'avouer que jamais ils n'atteignent tant leur potentiel extatique que lorsqu'ils se partagent (tant bien que mal certes) l'écran.
Le premier est né lièvre sous le crayon de Tex Avery, puis s'est fait lapin, puis lièvre encore sous le regard bien veillant de son plus illustre père d'adoption, Chuck Jones, et aujourd'hui on ne sait plus trop et on s'en fout quelque peu. Il est cynique, moqueur, taquin, cruel et sournois, un brin naïf et complètement malicieux, tacticien, sadique, totalement indestructible et, sur la fin de sa carrière, parfaitement imbu de sa glorieuse personne. Il a constamment les yeux à demi fermés dans un air de "j'en ai rien à foutre de ce que tu m'racontes, de toute façon à la fin c'est toi qui te prends le coup de tromblon dans la tronche" et personnifie en partie tout "l'esprit" des cartoons explosifs de la Warner.
Le second est également un rejeton de Tex Avery. Lui n'a pas de longues oreilles mais un gros bec jaune, des palmes et une ambition à toute épreuve. Il est aigri, bourru, sournois (oui aussi), égoïste, orgueilleux, vaniteux et punching-ball a ses heures. Constamment ronchon, il faut bien admettre que c'est alors qu'il fut le plus malmené et sadiquement griffonné qu'il a atteint presque à lui seul certains des sommets du studio dans le génial film "Duck Amuck".
Bugs Bunny et Daffy Duck, meilleurs amis et pires rivaux sont à leur façon un de ces "couples" à répétition qui fait tout l'éclat de ces années animées. Mais de manière peut être un brin plus subtile et personnelle. De loin les deux personnages les plus travaillés, tant pris à part que dans l'alchimie évidente qui se fait dès qu'ils sont tout les deux à l'écran entrain d'élaborer les pires machinations pour s'entre détruire la gueule.
C'est bien entendu toujours pareil, les gags arrivent avec la finesse d'un tyrannosaure dans une boutique de dentelle, mais putain, ça marche. La trilogie "Rabbit Fire", "Rabbit Seasoning" et "Duck! Rabbit, Duck!" marquant leurs sommets respectifs dans une collaboration indémodable qui fera date, alliance aussi turbulente et violente qu'irrésistiblement attachante, en reste le plus brillant exemple, très bien illustré par Joe Dante dans son film hommage et sous-estimé "Les Looney Tunes passent à l'action".
Et... et il est temps que je m'arrête parce que faut pas déconner quand même.