Lost ou le prométhée moderne.
Si vous n'avez pas vu le finale, ça risque de spoiler.
Lost est, qu'on le veuille ou non, devenu une série culte. À cela plusieurs raisons : Tout d'abord, elle fût la première série à réellement expérimenter le cross-média, son intrigue se dispersant, en plus des épisodes traditionnels, aux travers de sites internet officiels sur lesquels on pouvait se livrer à de véritables petites enquêtes, des vidéo d'apparence «amateur» qui nous révélaient quelques secrets sur quelques personnages secondaires, de "webisodes", épisodes de la série exclusivement disponibles sur internet, et même d'un jeu vidéo.Ensuite parce qu'elle a introduit des idées relativement peu exploitées dans le paysage des séries, et qu'elle s'acharnait à prendre le spectateur de court, à le surprendre. L'exemple le plus marquant est le passage des "flashbacks" aux "flashforwards" qui tout en ayant la même apparence que les réminiscences du passé, nous montraient le futur des survivants du crash de l'Oceanic 815. Et enfin, et c'est peut-être là le plus fort, c'est l'une des seules a avoir su garder son public captif en le nourrissant de vide.
Contrairement à ce que nous disent Carlton Cuse et Damon Lindelof (les deux showrunners), Lost est loin d'être une série centrée sur ses personnages . Non, Lost est une série qui capitalisait sur ses mystères. Il aura suffit à nos deux compères de balancer en vrac des idées invraisemblables, puis d'ajouter des touches mystiques et autres références religieuses par ci par là pour susciter la curiosité des téléspectateurs, qui cherchaient des réponses et n'obtenaient que des questions supplémentaires. Les questions s'accumulaient, et les réponses ne venaient pas ou très – trop – peu, et le spectateur, avide de réponses, s'impliquait dans les à-côtés de la série... Pour ne trouver que de maigres réponses appelant à d'autres questions.L'intrigue était complexe, et partait dans tous les sens, les fans criaient au génie et s'impliquaient réellement, le tour était joué. Mais à partir de là, énorme problème : Une telle série ne peut être viable que si son intrigue est maitrisée, et peut-on dire de celle de Lost qu'elle l'est ? Et bien ce n'est pas si évident que cela.Aux lumières du «series finale», l'on peut affirmer sans laisser place au doute que la réponse aux-dites questions n'étaient pas destinées à être révélées. Elles n'existent donc pas au-sein du show, et il serait donc même permis de douter qu'elles aient jamais existé. On pourrait opposer à cela qu'énormément de réponses furent apportées, que l'ours polaire venait d'expérimentations menées par un groupe de scientifiques venus étudier les propriétés de l'île, que Jacob, mystérieuse figure paternelle et grand manitou de l'île n'était en fait que le protecteur de la lumière sacrée, le cœur de l'île qu'il devait garder de son frère, transformé en fumée noire, mais au fond, ces réponses ne font qu'apporter des questions supplémentaires : Qu'est-ce que cette lumière ? Pourquoi la protéger ? Pourquoi le fait d'y être précipité a-t-il changé le frère de Jacob en fumée noire pouvant prendre l'apparence des morts ? D'où viennent ces propriétés dont les chercheurs de la Dharma veulent tant tirer profit ? D'où viennent les pouvoirs de Jacob ?
Plus encore, d'autres questions posées directement subsistent : Quelqu'un sait d'où viennent les pouvoirs de Walt et les rations alimentaires aéroportées dont bénéficiaient nos rescapés ? Dans Lost, les réponses ne le sont que de façade, et ne servent qu'à donner une impression d'avancement et de maîtrise de l'intrigue au spectateur, tout en le nourrissant d'autres questions pour le garder captif.Mais l'illusion ne dure qu'un temps, et nos deux showrunners, après avoir maintenu pendant des années que toute question trouverait sa réponse, se rétractent et nous disent qu'après tout, c'est une série, et qu'il faudra se contenter d'un «c'est comme ça» sur pas mal de points. Leur discourt est de ce goût : L'île a des propriétés surnaturelles parce que c'est comme ça, Jacob a des pouvoirs parce que c'est comme ça, la suite de chiffres "4 8 15 16 23 42″ est maudite parce que c'est comme ça, ce sont juste les présupposés de départ de la série, et il faut les accepter. Puis ils détournent l'attention avec un "Lost, c'est avant tout une série centrée sur ses personnages".
Là où le coup des présupposés pourrait se tenir, celui du show centré sur ses personnages fait rire plus qu'autre chose. On est en effet bien loin d'un Six Feet Under ou d'un The Shield, avec des personnages d'une profondeur incroyable et d'une psychologie formidablement travaillée, et une retranscription à la fois réaliste, passionnante et magnifique de leurs interactions entre eux, de leur vie et de leurs tracas.
L'intrigue de Lost gravite bien autours de l'île et de ses mystères. Sa marque de fabrique, c'est ça, pas ses personnages. On en revient donc au coup des présupposés, et on se dit qu'effectivement si on les accepte, tout se tient. Mais deux problèmes s'érigent alors : Premièrement, ce n'est pas le rôle du spectateur de faire en sorte que l'intrigue du show se tienne, et deuxièmement, si ces mystères ne sont finalement que des présupposés de départ, pourquoi nous avoir fait miroiter des réponses pendant six saisons ? On doit alors se rendre à l'évidence, les questions s'accumulent toujours, Cuse et Lindelof se contredisent eux-même, le show n'est pas maîtrisé.
Dès lors, le masque tombe et l'apparent génie créatif se révèle en fait être une surenchère pour maintenir une audience, un flot ininterrompu de faits sans queue ni tête qui ne sont que pour la simple raison que "c'est comme ça", sans aucune cohérence. À partir de là, on peut se dire que n'importe qui pourrait en faire autant, et que le seul génie des créateurs de Lost a été de créer un magnifique emballage pour vendre du vide à des client souriants. Ou que ces fameux créateurs ont, à partir de pièces glanées un peu partout, créé un monstre auquel ils ont échoué à donner une cohérence, et dont le contrôle leur a échappé, tel que l'avait fait de Dr. Frankenstein.
Lost ne restera dans le paysage audio-visuel qu'une question sans réponse, une source éternelle d'insatisfaction tant elle a pu passionner, intriguer, intéresser. Aux millions de fans déçus, Carlton Cuse et Damon Lindelof adresse, par le biais de Christian Shepard dans l'épisode final, un dernier message : "Laissez tomber les questions, regardez en arrière et voyez comment la série vous a passionné. Que vous ayez vos réponses ou non ne change rien, vous avez aimé le voyage que nous vous avons proposé, et vous avez créé des liens autours de cette série, fondé des communautés... Restez ensemble et souvenez-vous de l'expérience que vous avez partagé plutôt que des questions restées en suspens."
Et derrière ce message en forme d'aveu (en gros "on a pas trouvé de réponse à vous donner, on le sait, mais c'était sympa quand même, non ?"), on peut également se poser la question de la communauté : Une communauté bâtie sur du vide a-t-elle une utilité ? Vaut-elle la peine d'être bâtie ? Appartenir à une communauté recherchant des réponses inexistantes ne serait-il pas plutôt une source de frustration ? Ce voyage sans destination en valait-il la peine ?