Saison 1 :
Les antiféministes convaincus, une fois qu’ils ont terminé de savourer Alphonse, sont en droit de se poser la question : est-ce que leurs amis d’autres pays européens sont en proie aux mêmes tourments qu’eux ? Sûrement pas les Espagnols, penseront-ils, l’Espagne étant ce beau pays où la tradition machiste est particulièrement forte (les statistiques montrant un taux de violence domestique encore plus élevé qu’en France !) ? Mauvaise pioche : le wokisme prolifère partout, même de l’autre côté des Pyrénées. Il suffit pour s’en convaincre de regarder Machos Alfa, une savoureuse comédie de mœurs assez intelligente pour renvoyer tout le monde à sa place… de quoi en prendre du grain !
Machos Alfa nous raconte les déboires amoureuses et conjugales de quatre amis madrilènes, chacun ayant à affronter une situation difficile, qui va servir de point de départ à une réflexion – amusante, mais pas superficielle pour autant – sur les nouveaux modes de fonctionnement de l’amour et du couple dans une société en profonde évolution. Pedro, exécutif à la télévision, vient d’être licencié pour être remplacé par une femme, plus à même de comprendre les nouvelles attentes des téléspectateurs. Il se retrouve sans emploi, à la maison, alors que son épouse est en train de connaître un joli succès comme influenceuse sur le réseaux sociaux. Raúl, mari infidèle mais très amoureux de sa femme, accepte difficilement la proposition de cette dernière « d’ouvrir leur couple » à d’autres partenaires, alors qu’il ne rêve lui que d’une relation « fermée », tout au moins à sens unique. Luis ne ressent plus d’attirance sexuelle pour son épouse, après de longues années de mariage, ce qui pousse celle-ci à se laisser séduire par son jeune moniteur au club de sport. Enfin, Santi est toujours fou de passion pour son épouse – au caractère pourtant insupportable – qui l’a quitté, mais il doit gérer un agenda bien rempli de rencontres Tinder que lui organise sa fille adolescente. Et Santi est le seul des quatre amis qui s’interroge sur sa masculinité, et il va pousser le petit groupe à s’inscrire à un séminaire visant à se débarrasser der pires comportements « toxiques » du macho espagnol… avec des conséquences variables pour chacun !
Au fil des épisodes, cette fine équipe de « mâles alpha » va donc affronter tout un tas de situations aussi anxiogènes que hilarantes, qui vont permettre aux scénaristes de créer un « panel de situations conflictuelles » typiques de notre époque, où les pires travers masculins vont être confrontés – à égalité – avec les les pires travers féminins… dans un combat permanent de médiocrité et de lâcheté bien réparti entre les deux sexes. L’intelligence de la série est évidemment de rester profondément « féministe », sans pour autant – et même au contraire – diaboliser les hommes, qui ont souvent ici les rôles les plus sympathiques, en dépit – et sans doute un peu à cause – de leurs déficiences.
On rit donc beaucoup devant Machos Alfa, en particulier à cause de la faconde espagnole, de ce sens de l’humour burlesque, légèrement agressif, mais également profondément imprégné d’absurdité, porté par ce fameux langage très « fleuri » qui caractérise nos voisins. Mais on réfléchit aussi, comme dans toute bonne comédie qui se respecte, sur ces travers qui sont les nôtres, en particulier notre addiction aux réseaux sociaux et notre goût pour le consumérisme le plus irréfléchi, à travers les personnages délicieux de l’épouse influenceuse et de sa géniale bonne colombienne qui l’aide à réaliser ses vidéos. Et on savoure aussi le cadre ensoleillé de ces aventures farfelues, la belle ville de Madrid, très « cinégénique » ici, et rarement filmée aussi positivement dans le cinéma ou les séries espagnoles.
On a donc hâte de suivre les prochaines aventures de nos quatre anti-héros, alors que le dernier épisode de cette première saison a sévèrement rebattu les cartes de leur félicité conjugale : espérons que la seconde saison de Machos Alfa ne tardera pas trop…
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2024/01/01/netflix-machos-alfa-saison-1-masculinite-toxique-madrilene/
Saison 2 :
La première saison de Machos Alfa racontait avec un humour irrésistible le chaos qu’avait provoqué dans la vie de quatre amis madrilènes leur tentative de « déconstruction de leur masculinité », engagée afin de se mettre « au goût du jour » et surtout être mieux en phase avec les attentes de leurs compagnes ou épouses… pour les séduire à nouveau ! La fin de la saison n’était pas loin du happy end, mais on se doutait bien entendu que rien n’était définitivement gagné…
On retrouve donc dans le premier épisode Pedro (Fernando Gil), le plus incurablement « macho » de la bande des quatre, qui retourne sur le marché du travail et va se trouver à son tour victime de harcèlement sexuel de la part de sa patronne : c’est sans doute, parmi tous les fils scénaristiques qu’entremêle la nouvelle saison, le plus fécond en termes de réflexion sur les rapports entre les deux sexes. Pedro, comme ce serait le cas d’une femme à sa place, passe de l’incrédulité à la honte, et la confusion, dans la mesure où il doit faire le choix entre la soumission et la perte d’un job qu’il aime… Luis (Fele Martínez) a une nouvelle partenaire pour ses patrouilles, une fille sexy qui rend jalouse Esther. Il va, de fil en aiguille, expérimenter à son tour la mise en place d’une liberté sexuelle dans son couple, qui va redéfinir sa relation conjugale. Raúl (Raúl Tejón) aimerait regagner Luz (Kira Miró) et fréquente désormais le milieu gay madrilène, grâce à son nouveau partenaire professionnel, ce qui crée encore plus de confusion dans sa tête. Finalement, Santi (Gorka Otxoa) – sans doute le personnage moins vraisemblable de la série, le plus mal écrit – n’est pas heureux du retour de l’insupportable Blanca, et va faire une nouvelle rencontre romantique, qui risquera d’être gâchée par ses propres (et nouveaux) préjugés de « mâle déconstruit »…
On voit que la série de Laura et Alberto Caballero n’est pas à court d’idées pour prolonger la trajectoire amoureuse, sexuelle et amicale de chacun des quatre « mâles alpha », plus perdus que jamais… même si tous les rebondissements ne sont pas crédibles, et si certaines situations sentent le scénario forcé dans le sens d’une certaine démonstration, tour à tour, de l’absurdité du wokisme et de la toxicité du machisme. Entre ces deux extrêmes, Machos Alfa oscille quelques fois avec bonheur, cherchant finalement à professer la vertu du « bon sens » face aux diktats de la société comme aux traditions dépassées. On est bien obligé de reconnaître que ça ne fait pas beaucoup avancer la réflexion sur ces sujets complexes, mais ça a le mérite d’être divertissant…
On imagine bien Machos Alfa devenir peu à peu une version ibérique de nos chères Desperate Housewives d’autrefois. En tout cas, il ne faut pas se refuser le plaisir à la fois simple et intelligent de cette série qui sait être alternativement empathique et décapante !
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/04/09/netflix-machos-alfa-saison-2-plus-perdus-que-jamais/
Saison 3 :
Si on revient un peu en arrière, alors que la superbe série espagnole Machos Alfa en est à sa troisième saison, il s’agit là d’une réussite totalement improbable : comment moquer l’évolution folle des rapports hommes-femmes, largement dictés d’ailleurs par la diffusion d’une culture woke et par la force accrue des diverses tendances du féminisme moderne, sans tomber dans les clichés machistes réactionnaires ni, à l’inverse, dans un discours militant progressiste de plus en plus clivant ? C’est en tout cas ce qu’ont réussi à faire Alberto et Laura Caballero, qui n’avaient pas pourtant une réputation de créateurs particulièrement « subtils » en Espagne…
Faire rire avec quatre mâles hétérosexuels, assez « basiques », si ce n’est machos (on est en Espagne, patrie du machisme, non ?) n’était pas gagné, donc, mais Machos Alfa a choisi, au delà de sa pluie régulière de gags hilarants et de situations aussi embarrassantes que réjouissantes, de raconter à l’écran, avec franchise mais aussi légèreté, cette désorientation que nous ressentons tous face à des discours sociologiques confusants, voire des impositions sociétales difficiles à intégrer dans notre comportement quotidien.
Mieux encore, cette troisième saison montre qu’il reste encore aux showrunners et aux scénaristes des idées nouvelles à exploiter : le sujet du repositionnement de la relation homme-femme, aussi bien dans la sphère privée que dans le domaine professionnel (sans même parler de son impact sur la psyché de chacun) a toujours du potentiel !
Là où Machos Alfa marque des points dans sa troisième volée d’épisodes, c’est en insistant plus franchement qu’avant sur les « dégâts » provoqués par ces mutations sur la vie des femmes elles-mêmes : les plus beaux personnages sont désormais féminins, et les situations les plus intéressantes les concernent, ce qui apporte un joli renouvellement de la série. On pense à Luz (la merveilleuse Kira Miró) qui s’obstine à chercher un exutoire à sa peur de s’engager, et qui pense le trouver dans une relation homosexuelle, ou au nouveau personnage de Marimar, déchirée entre les injonctions traditionnelles – toujours fortes en Espagne – de la religion catholique et ses désirs. Ou, surtout, peut-être, à l’impasse dans laquelle se trouve la journaliste féministe Irene lorsqu’elle s’ingénie à appliquer ses opinions à sa vie privée. Quant à la question du harcèlement sexuel au travail – mise en perspective avec le harcèlement professionnel -, Pedro et sa nouvelle patronne lui appliquent un « twist » inédit, qui en dit finalement plus sur la réelle égalité hommes – femmes que bien des discours.
On aimera également que la série s’intéresse au phénomène « incels », et, plus sérieusement sans doute, à la confusion créée dans la tête des enfants par la théorie des genres, ou encore à la dangereuse résurgence des idées masculinistes, prônées ici par un grand-père dépassé par l’émancipation de son épouse.
S’il y a néanmoins, au milieu de toutes ces belles idées, une petite déception dans cette saison 3, c’est l’utilisation assez réduite du joli concept de mise en abyme de la série, qui devient son propre sujet puisque la société où travaille Pedro lance une série télévisée « Machos Alfa » (à laquelle personne ne croit !) basée sur sa vie « réelle » à lui et ses amis. Un filon à creuser plus sérieusement dans la prochaine saison ?
[Critique écrite en 2025]
https://www.benzinemag.net/2025/01/31/netflix-machos-alfa-saison-3-et-les-femmes-aussi/