On évoque assez peu souvent que le projet Macross Plus, au départ, n’entretenait aucun lien avec la franchise Macross (1983-présent). Celle-ci, d’ailleurs, et à dire le vrai, n’avait plus rien proposé de véritablement conséquent depuis le film Macross, Do You Remember Love? (Noburo Ishiguro & Shoji Kawamori ; 1984) et était un peu tombée dans l’oubli. Elle ne se vit vraiment remise au goût du jour qu’à travers la production de Super Dimensional Fortress Macross II: Lovers Again (Kenichi Yatagai ; 1992), une OVA en six épisodes qui, à y regarder de près, se résumait dans les grandes lignes à une simple resucée de la production précédente de la licence et qui, de plus, ne se vit terminée que pour satisfaire le marché américain.
Ce succès tout relatif poussa néanmoins les sponsors du projet initial qui allait devenir Macross Plus à demander à son auteur, Shoji Kawamori, de bien vouloir l’intégrer à l’univers de Macross pour en faire ce qui reste à ce jour la seule véritable séquelle de The Super Dimension Fortress Macross (Noboru Ishiguro ; 1983) : ainsi Macross II se vit-il repoussée dans un futur alternatif afin de laisser au véritable créateur de la franchise les mains libres pour poursuivre son récit comme il l’entendait – il n’avait pas contribué à Macross II de toutes façons, et on ne lui avait même pas demandé son avis avant de lancer cette production-là pour commencer… On peut aussi mentionner que le projet initial destiné à devenir Macross Plus devait au départ se développer sous la forme d’un long-métrage d’animation, avant de prendre la forme de l’OVA en quatre épisodes qu’on connaît.
Œuvre unique sous bien des aspects, Macross Plus nous intéresse pour plusieurs raisons, et en particulier parce-qu’elle illustre certaines des préoccupations morales et intellectuelles de Kawamori quant à la société japonaise de l’époque en général – des pensées sur une modernité devenue hors de contrôle et qui trouvent d’autres incarnations dans ses plus récents Macross Zero (2002) et Macross Frontier (2008).
Car la problématique centrale de Macross Plus reste bien sûr la relation, toujours plus ou moins nocive, qui unit l’Homme à ses créations, et notamment celles qu’il souhaite les plus autonomes possibles : les robots, image évidente de ce progrès technique devenu la marque de fabrique du Japon d’après-guerre. Le design de l’enveloppe physique qui abrite l’intelligence artificielle de la star virtuelle Sharon Apple se veut sur ce point assez transparent, pour dire le moins, puisqu’il s’agit d’un clin d’œil bien net au personnage – artificiel lui aussi – de HAL dans le film 2001, l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick ; 1968) – qui, d’ailleurs, explorait à sa manière le thème du lien entre les humains et leurs outils. Dans le même registre, le nom de famille du personnage Guld Bowman renvoie, lui, à un autre protagoniste du film de Kubrick, celui de l’astronaute David Bowman, mais impossible de me montrer plus précis sans spolier (1) mon lecteur…
Le liseur adepte de science-fiction ne manquera pas de faire remarquer que ce thème de la « révolte des robots » qui apparaît maintenant comme assez net dans Macross Plus reste bien assez convenu comme ça, et d’autant plus qu’il remonte à ce que beaucoup de spécialistes du genre considèrent comme la première œuvre du domaine, le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne (Mary W. Shelley ; 1818). Il semble donc peu probable que Macross Plus ajoute quoi que ce soit à un sujet exploré depuis bientôt deux siècles. Si, en effet, cette OVA se veut en fin de compte assez classique sur ce point, elle brille en revanche par ce qu’elle révèle de son époque à travers son thème somme toute plutôt banal.
Nous pouvons en effet rappeler que les japonais entretiennent une relation bien assez ambigüe à la technique (2)(3), et ceci pour plusieurs raisons. D’abord parce-que leur véritable révolution industrielle leur fut imposée par l’occupant américain après la guerre du Pacifique (4), et de plus en même temps qu’une démocratie et un désarmement qu’ils n’avaient pas souhaité (4), ce qui suffit bien à traumatiser un peuple. Ensuite parce-que leur religion principale, et d’ailleurs exclusive à leur culture, le shintoïsme, se caractérise par une croyance qu’il y a une âme – c’est-à-dire une volonté – dans toutes choses, y compris les objets a priori inertes : ceci les pousse donc plus que n’importe quel autre peuple à voir les produits de la technique comme capables de développer une autonomie ; or, toujours selon les préceptes shintoïstes, rien ne permet d’affirmer que celle-ci se montrera bénéfique pour les humains : les desseins des dieux, après tout, et c’est bien connu, restent toujours insondables. Enfin, parce-que l’angoisse normalement ressentie face à ce progrès technique incontrôlable par définition (5), et à un point tel d’ailleurs qu’il semble doué d’une volonté propre, on y revient, nous y fait voir le pire, et en particulier la fin de notre civilisation, voire du genre humain – que dire alors sur ce point des japonais qui ont développé la technique plus que toute autre nation au monde ?
Kawamori nous offre donc avec Macross Plus une image du Japon contemporain où la technique, source de progrès sociaux incontestables, devient aussi le prétexte à toutes sortes de phantasmes sur une certaine facilité de vie en fin de compte assez illusoire. La scène du premier concert de Sharon Apple se montre à ce sujet bien assez explicite en présentant une audience captivée par la performance de la chanteuse artificielle au point qu’elle semble dans un état second : la machine, ici, alimente la passivité de son public et le conditionne à travers une sorte d’hypnose qui le place dans une espèce de transe ; le passage évoque d’ailleurs assez Le Meilleur des mondes (Aldous Huxley ; 1932) où les individus se voient conditionnés eux aussi, dès leur naissance, à remplir un certain rôle social et pas un autre. Mais aussi, cette star virtuelle en rappelle une autre, bien plus récente et surtout authentique – pour autant qu’un tel terme puisse s’appliquer à un tel sujet – : le personnage virtuel Miku Hatsune créé en 2007 pour accompagner la seconde version du programme Vocaloid et qui, depuis, se produit parfois dans des concerts publics sous la forme d’un hologramme – comme Sharon Apple.
Néanmoins, il y a une astuce pour expliquer la transe hypnotique que provoque Sharon sur son public. Car, en tant qu’entité artificielle, elle s’avère incapable de comprendre les émotions humaines. Or, le but de l’art consiste entre autres à provoquer une émotion chez l’audience. C’est là qu’entre en scène la relation pour le moins vénéneuse entre Sharon et sa productrice, Myung Fang Lone : pour apprendre à la machine a mettre du cœur dans ses performances, Myung lui procure donc ses émotions. Ce lien entre la star virtuelle et sa productrice prend ainsi l’allure d’un rapport mère-fille, et le but d’une fille consiste bel et bien à s’affranchir de sa mère – unique moyen pour elle de résoudre son complexe d’Œdipe. D’où le motif des chaînes dans le logo du titre de Macross Plus et les représentations stylisées de Sharon, symbole évident de la situation de dépendance de cette machine vis-à-vis de ses créateurs, les humains, sans lesquels elle ne peut rien faire et surtout pas créer une œuvre artistique – un autre élément d’ailleurs assez classique lui aussi (6).
Enfin, toujours sur ce même thème de la menace cybernétique, on peut évoquer le drone de combat Ghost X-9 en cours de test par les autorités des Nations Unies de la Terre à l’époque du récit de Macross Plus. Si ce modèle de drone sert bien sûr de pendant militaire au personnage de Sharon, et d’une manière bien plus inattendue que sur le simple plan métaphorique, là encore impossible de me montrer plus précis sans spolier le lecteur, il s’affirme surtout comme un ultimatum adressé au métier de pilotes de Valkyries qu’il met en péril en donnant à l’armée un moyen de mener des guerres « propres » dont les pertes humaines resteront exclues – au moins pour le camp qui utilise une telle technologie. Sur ce point, d’ailleurs, et pour finir là-dessus, on ne peut s’empêcher de noter que Macross Plus préfigure de plusieurs années une problématique semblable, et bien réelle celle-ci, à laquelle dut faire face l’armée de l’air américaine pendant la seconde guerre du golfe puis son occupation de l’Irak où l’utilisation de drones montra ses limites : en imposant une distance infranchissable entre le pilote du drone et le théâtre des opérations où la machine se trouve déployée, cette technologie transforme la guerre en une sorte de jeu vidéo dont les utilisateurs se trouvent dans l’impossibilité de mesurer la véritable portée de leurs actions.
Mais, comme son titre l’indique, Macross Plus demeure avant tout une production Macross. Elle présente donc des éléments typiques de la franchise, encore qu’exposés d’une manière assez inédite à l’époque. Ainsi, le triangle amoureux se trouve-t-il ici inversé, de sorte qu’on voit cette fois deux hommes s’affronter pour une femme – ce qui donne d’ailleurs une certaine coloration à la compétition entre les deux modèles d’avions prototypes que pilotent ces mêmes protagonistes masculins principaux. Dans cet antagonisme, forcément bien plus viril que celui dépeint dans Super Dimension Fortress Macross plus de dix ans auparavant, naîtra une intrigue tout autant inattendue qu’émouvante sous bien des aspects et dans laquelle les origines zentradi de Guld joueront d’ailleurs un rôle central – rappelons que ces clones génétiquement modifiés furent créés par la Protoculture pour lui servir d’armée, faisant ainsi des zentradis une race conditionnée pour la guerre… Et compte tenu de la révélation faite dans le dernier épisode de cette courte série, qui se base d’ailleurs en grande partie sur les origines de Guld, le spectateur se verra bien inspiré de regarder Macross Plus deux fois afin de bien ressentir tout l’impact émotionnel des nombreuses scènes d’affrontement, tant physiques que moraux, qui parsèment ce récit en fin de compte bien mois innocent qu’il en a l’air au premier abord.
Sur un plan plus métaphorique, faute d’un meilleur terme, Macross Plus raconte aussi comment, dans la lignée de leurs créateurs, les humains fabriquent à leur tour une créature qui passe bien près de les détruire mais à laquelle ils survivent malgré tout, au contraire de la Protoculture morte de sa création, les zentradis. L’humanité s’y affirme donc comme le fils prodige qui réussit là où son géniteur a échoué et auquel les étoiles sont destinées – même si nous auront l’occasion de voir, dans Macross 7 (Tetsuro Amino ; 1994) puis dans Macross Frontier, que bien des dangers guettent encore ces héritiers de la plus ancienne civilisation de la galaxie.
Et puis, bien sûr, dans la lignée de l’opus précédent de la franchise, Macross Plus s’affirme lui aussi comme une œuvre tout à fait remarquable sur le plan pictural, notamment en se présentant comme une des premières productions japonaises à mêler les animations traditionnelles et informatiques en un tout aussi surprenant que spectaculaire – certains, d’ailleurs, n’hésitèrent pas à qualifier cette expérimentation-là de révolutionnaire et à affirmer que Macross Plus ouvrit la voie à la généralisation de ces techniques au Japon… Mais cette production reste aussi l’œuvre qui révéla l’immense talent de Yoko Kanno au grand public – même si celle-ci avait déjà collaboré à deux animes au moins auparavant, Porco Rosso (Hayao Miyazaki ; 1992) et Réincarnations – Please Save My Earth (Please Save My Earth ; Kazuo Yamazaki, 1993) – en particulier pour son morceau a cappella intitulé Voices qui ouvre et clôt le récit de Macross Plus : faut-il en dire davantage ?
En dépit d’un point de départ assez convenu, Macross Plus réussit au moins deux paris : d’abord relancer la licence Macross à travers une production innovante tant sur le plan artistique que narratif, et enfin dépoussiérer un thème classique de la science-fiction en le faisant refléter une réalité du Japon contemporain que nul observateur ne saurait contester.
C’est aussi à ce genre de choses qu’on reconnaît une œuvre marquante.
(1) en français dans le texte.
(2) Jacques Ellul, Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).
(3) Antonia Levi, Samurai from Outer Space: Understanding Japanese Animation (Open Court Publishing Company, 1996, ISBN : 978-0-8126-9332-4).
(4) Jean-Marie Bouissou, Du Passé faisons table rase ? Akira ou la Révolution self-service (La Critique Internationale n°7, avril 2000).
(5) Jacques Ellul, op. cité.
(6) Gérard Klein, préface à Histoires de robots (Le Livre de poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3764, 1974, ISBN : 2-253-00061-2).
Adaptations :
En un long métrage, sous le titre de Macross Plus Movie Edition, sorti en 1995 et qui compile les différentes scènes et séquences de cette OVA en un ordre différent, avec 20 minutes de séquences inédites et autant d’autres supprimées. Il n’existe à ma connaissance aucune édition française en DVD de cette version long-métrage.
Sous la forme d’un jeu vidéo pour la Playstation, sous le titre de Macross Plus – Game Edition, développé et distribué par Takara Co., Ltd. en 2000. C’est notamment dans ce titre qu’apparaît le drone Neo Glaug. Le jeu propose aussi nombre de morceaux musicaux de l’OVA originale ainsi que plusieurs cinématiques tirées de la Movie Edition.
Notes :
De même que pour les chasseurs transformables de la toute première série Macross, les Valkyries de Macross Plus sont basés sur des appareils existants. Le YF-19 reprend des lignes des Grumman X-29 et Lockheed Martin F-22 Raptor, le YF-21 du prototype YF-23 Black Widow II de Northrop–McDonnell Douglas, et le VF-11B Thunderbolt du Sukhoi SU-27 Flanker.
Afin de capturer l’essence du combat aérien, l’équipe de production étudia des chasseurs de combat américains à la base aérienne Edwards de Palmdale, en Californie. Ils utilisèrent aussi les villes de San Francisco et d’Orlando, ainsi que la Windmill Farm de Palm Springs comme bases pour les différents études de designs de la planète Éden.
Au début du tout premier épisode, quand Isamu se voit assigné son transfert, la planète Banipal est mentionnée : c’est un clin d’œil à Papadoll au pays des chats (Catnapped! Cat-land Banipal Witt ; Takashi Nakamura, 1995), un film en production chez Triangle Staff Corp. quand ce studio travaillait aussi sur Macross Plus.
L’idée de départ de Macross Plus vient du projet ATF (Advanced Tactical Fighter ; 1981-1991) de l’US Air Force qui mettait en compétition deux prototypes d’avions, le YF-22 de Lockheed/Boeing/General Dynamics et le YF-23 Black Widow II de Northrop–McDonnell Douglas déjà évoqué plus haut.
Le système de contrôle mental du YF-21 fut inspiré par le film Firefox, l’arme absolue (Firefox ; 1982) de Clint Eastwood qui était une adaptation du roman éponyme et paru en 1977 de l’écrivain gallois Craig Thomas (1942-2011).
Le nom d’Isamu Alva Dyson provient du célèbre inventeur Thomas Alva Edison (1847-1931) et du physicien Freeman J. Dyson (né en 1923) auquel on doit le concept de sphère de Dyson. Isamu signifie « courageux » en japonais.
Un documentaire sur la franchise Macross accompagné d’une avant-première de la série Macross 7 (Tetsuro Amino ; 1994) accompagnait l’édition japonaise de Macross Plus.
L’édition Bluray de Macross Plus sortira au Japon le 21 juin. Si elle proposera un doublage en anglais, il n’y aura par contre pas de sous-titres…