Un projet de série sur le personnage de Mercredi Addams, placée sous la férule de Tim Burton, forcément, ça attire l’attention. Mais les fans de la première heure du cinéaste ne peuvent que se demander s’ils retrouveront enfin une œuvre digne du réalisateur de Beetlejuice et Edward aux mains d’argent, ou si la déception engagée ces dernières années se poursuivra.
D’emblée, Mercredi se présente comme remplie de l’esprit burtonien. Deux des thématiques majeures, structurant habituellement le cinéma du réalisateur, se retrouvent déclinées ici.
D’un côté, il y a le rapport entre les monstres et les « normaux ». Après avoir été expulsée de son lycée (pour s’être vengée, de façon fort drôle au demeurant, de ceux qui avaient martyrisé son frère), Mercredi est admise dans un pensionnat pour enfants « particuliers ». Là, elle se retrouve entourée de camarades dotés de pouvoirs ou de talents spéciaux : des lycanthropes, des sirènes, etc. Un endroit où, a priori, elle devrait se sentir plus à son aise, d’autant plus qu’elle-même a commencé à développer un talent spécial depuis quelques semaines : elle a des visions, que ce soit du passé ou de l’avenir. Des visions qu’elle ne peut pas contrôler et qui surviennent de façon inopinée, voire perturbante.
Or, dans la même petite ville se trouve un parc d’attraction consacré aux pionniers puritains du XVIIème siècle. Des personnes tout à fait « ordinaires », quant à elles, mais qui ne se font pas remarquer par leur ouverture d’esprit et leur tolérance. Mercredi ne mettra pas longtemps à être confrontée à ces pèlerins qui rejettent ceux qui ne sont pas comme eux.
Très vite apparaissent des conflits au sein des enfants « spéciaux », en particulier entre Mercredi et la sirène Bianca, mais surtout entre les enfants du pensionnat et les personnes « normales ». Lorsque les meurtres commencent à frapper certains enfants, le shérif (personnage pourtant modéré) dirige son enquête vers les pensionnaires de Nevermore, avant d’interdire à son fils de fréquenter Mercredi. Finalement, Burton va ressortir ce retournement qui caractérise son œuvre : les personnages monstrueux ne sont pas ceux que l’on croit. La scène de la visite de Mercredi au parc d’attraction des pèlerins en fournira un bel exemple, surtout avec la figure inquiétante du fondateur et la vision de la chasse aux sorcières.
Pour Mercredi, le cinéaste reprend aussi une autre confrontation majeure de son œuvre, celle entre les enfants et leurs parents. Une séquence est centrale concernant cette thématique, une « journée des parents » organisée au sein du pensionnat Nevermore. Là, les spectateurs découvrent que chacun des jeunes pensionnaires est en conflit avec des parents qui ont tendance soit à les délaisser, soit à vouloir les formater à leur image. Cela n’épargne pas Mercredi elle-même, dont le séjour à Nevermore est marqué par la présence de ses parents, qui y étaient pensionnaires quelques décennies plus tôt et qui n’y ont pas laissé qu’un bon souvenir. Très vite, l’adolescente est convaincue que si on l’envoie dans ce pensionnat, c’est pour devenir une autre Morticia.
Entre intolérance et aveuglement, les parents de la série renvoient aux autres figures parentales de l’univers Burton, croisées dans Sleepy Hollow, Sweeney Todd ou Charlie et la chocolaterie. Les enfants se sentent (à tort ou à raison?) prisonniers d’un modèle parental dont ils cherchent à se défaire : Bianca avec la secte de sa mère, Enid la jeune lycanthrope, à qui sa mère reproche de ne pas pouvoir transmuter, etc. L’un des enjeux de la série consiste donc, pour les personnages, de mesurer l’ampleur de cette influence parentale (voire du poids de la généalogie, puisque Mercredi elle-même devra plonger loin dans le passé familial) et de s’en affranchir.
Pour compléter ce portrait d’une série burtonienne, il faut saupoudrer le tout d’allusions à Edgar Allan Poe : le nom du pensionnat (qui renvoie directement au poème de Poe Le Corbeau), les corbeaux eux-mêmes, et puis la statue de Poe, qui tient une place importante dans une énigme. D’autres allusions traversent la série : impossible de voir la scène du bal sans penser à Carrie, par exemple, et la présnece de Christina Ricci renvoie, bien évidemment, aux deux films des années 90.
Le tout se fait sans ravager la cohérence de l’ensemble, bien au contraire : Mercredi est une série bien construite et plutôt bien écrite.
Quelques défauts se font quand même sentir. D’abord dans le casting : malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour lui, Luis Guzman ne convainc pas vraiment en Gomez Addams et avec Catherine Zeta-Jones, on est en pleine erreur de casting : jamais elle ne parvient à incarner Morticia. De même pour Fred Armisen en Oncle Fétide : pour les adultes de la famille Addams, rien ne fonctionne vraiment. Fort heureusement, ils restent des acteurs très secondaires, et on les voit relativement peu.
Quelques facilités de scénario se glissent par-ci par-là, comme ces visions qui surgissent sans prévenir, juste à temps pour faire avancer l’action.
Mais globalement, Mercredi est une bonne série, mêlant fantastique, intrigue policière et humour. Bien que visiblement trop âgée pour le rôle, Jenna Ortega campe très bien cette jeune femme à l’humour grinçant et aux activités sadiques, et l’ensemble du casting « ado » est une réussite. Les punchlines fusent, parfois un peu prévisibles, mais souvent très drôles. Certaines scènes sont marquantes : la scène d’introduction, pour son humour, mais aussi une scène de danse ou encore cette très belle séquence où Mercredi joue Paint it black au violoncelle. Burton, qui a réalisé la moitié des épisodes et qui est le production exécutif de l’ensemble, n’est pas revenu à son meilleur, mais c’est déjà mieux que ses dernières réalisations (on peut penser par exemple à son adaptation de Miss Peregrine et les enfants particuliers, sur un thème très proche, et qui est bien moins convaincante que cette série).