République fédérale d’Allemagne, années 80. Le Dr Kenzo Tenma, brillant neurochirurgien au sein de l’hôpital Eisler, est destiné à une grande carrière médicale. En effet, le Dr Heineman, directeur de l’hôpital en question, l’a pris sous son aile et lui garanti de gravir les échelons tant qu’il suivra ses instructions. Seulement, Tenma questionne la moralité de ses actions lorsqu’il se rend compte que les patients sauvés sont choisis en fonction des opportunités politiques et financières qu’ils présentent, et non selon la règle de l’ordre d’arrivée ou de l’urgence.
Par la suite, un tel problème éthique se pose à lui lors qu’arrivent au service des urgences le maire de la ville et deux jumeaux d’une dizaine d’années, Ana et Yohan Liebert, ce dernier étant touché par balle à la tête. Le choix est rapide : alors que son supérieur lui demandait de traiter la maire, Tenma sauve l’enfant. Ce choix moral ne sera pas sans conséquences : Tenma doit faire une croix sur ses perspectives de carrière ainsi que sur ses fiançailles avec Eva Heineman – en outre fille du directeur de l’hôpital.
Néanmoins, ce dernier meurt empoisonné peu après. Alors que Tenma retrouve sa place et son avenir professionnel, les jumeaux disparaissent soudainement. Il s’avère 10 ans plus tard que Yohan était responsable des meurtres survenus à l’hôpital Eisler, mais pas seulement puisqu’il serait un tueur en série s’attaquant à des couples d’âge moyen. Bien que Tenma soit accusé à tort, il ne poursuit qu’un seul objectif : neutraliser Yohan.
Yohan apparaît avant tout comme l’alter ego de Tenma. A l’éthique exacerbée de Tenma se substitue l’absence totale de morale chez Yohan, et sa célébrité (accusé à tort, il apparaît dans tous les journaux et commissariats) couvre l’évanescence de Yohan. En effet, l’antagoniste de cet anime apparaît comme un fantôme, insaisissable à mesure que la course poursuite avance. De plus, attaché à effacer les traces de son passage sur terre, Yohan fait douter de sa propre existence.
L’anime se visionne comme un conte, semblable aux histoires pour enfants de Franz Bonaparta : un équilibre entre le fantasme et la réalité. Une bonne illustration est celle des expériences eugéniques. Dans ce cadre, la science est à la fois invisible aux yeux de tous eu égard aux règles qui s’imposent en la matière mais comporte également des conséquences concrètes sur le monde réel. Ces conséquences sont autant de marques au fer rouge sur les individus qui ont fait l’objet de telles expériences.
La trame narrative ne se concentre par uniquement sur Tenma, mais gravite autour de tels individus, offrant une certaine diversité dans les points de vue. Malheureusement, cet aspect aurait pu être beaucoup plus poussé – mais cela reste ici un détail. Les personnages présentés permettent un autre avantage au récit : ils lui apportent une cohérence globale au vu de leur réalisme. D’abord, ils sont tous nuancés ; même si le danger est ici est de se retrouver avec tous les antagonistes virant de bord et soutenant Tenma dans les derniers épisodes. Ensuite, le réalisme des personnages transparaît dans leurs réactions et leurs rapports respectifs, ce qui donne une réelle consistance à l’anime.
Quelques personnages sont particulièrement intéressant ou attachant. Eva Heineman, enfermée dans un carcan de passivité qui détruira littéralement sa vie ; Nina/Ana Liebert avec sa quête initiatique, qui cherche à comprendre sa personne et son passé ou encore Grimmer, qui questionne la normalité et la nature des émotions humaines. Sur l’ensemble plane également un léger voile ironique, visible lors qu’Eva se reconverti en tant que décoratrice d’intérieur (???) ou via le personnage de Runge. Cet inspecteur du BKA présente deux caractéristiques majeures. D’abord, il est obsessionnel au point qu’il oublie sa famille et que couper les ponts avec sa femme, sa fille et sa petite-fille ne le perturbe pas outre mesure. Ensuite, il apparaît beaucoup trop entraîné pour un simple inspecteur, sérieusement c’est lui Super Steiner. Ces deux traits, symptomatiques des thrillers, peuvent être perçues sinon comme des critiques du genre Policier, au moins comme des touches de sarcasme.
Cela reste accessoire, le récit est en lui-même assez bien construit pour que ce genre de détails – qui peuvent en déranger certains – demeurent en second plan. De plus les thèmes évoqués sont, il me semble, assez peu représentés dans l’animation japonaise : construction de l’identité et fonctionnement ainsi qu’altération de la conscience humaine. Ces deux questions sont traitées en profondeur par les différents personnages de l’anime sur fond d’une quête explicative du passé menant à Ruhenheim. La narration est donc construite autour d’un mécanisme d’explication, et s’il est réaliste que certaines données demeurent imprécises, soumises à l’interprétation du spectateur ; il est par ailleurs incohérent que d’autres évènements ne soient jamais expliquées et semblent être passés à la trappe.
Par exemple, l’agression de Nina sous hypnose envers son psychiatre. S’il s’agit du montre en Nina, pourquoi ne pas insister davantage sur un tel élément ? De plus, selon Nina elle-même, les paroles de Franz Bonaparta – au demeurant inscrites dans son inconscient - l’ont sauvée de tels excès.
En outre, la VF est plutôt de bonne facture malgré certaines voix secondaires et certains abus des traducteurs (ou est-ce également dans la VO?) concernant certaines expressions. Qui, sortant d’une boite de nuit obscure, est « bourré comme un coussin » ?
Mais il ne faut pas être trop sévère, cela reste anecdotique et assez drôle. Dans l’ensemble, l’animé est très bon : sa trame narrative est cohérente, les thèmes soulevés ainsi que les personnages attisent l’intérêt. On ne voit pas passer les 74 épisodes, mais rien n’apparaît bâclé pour autant. En somme, l’anime est prenant et ne déçoit pas le spectateur, le laissant même avec quelques pistes de réflexions supplémentaires.