Après avoir passé la journée à installer ma cave à vins électrique et à référencer toutes mes bouteilles, je me retrouvai seul face au temps, ayant quelques heures à tuer pour clore ce jour. Je me rabattis donc sur la série « Mortel », pensant que j'allais me mesurer à la dernière merde produite par Netflix. Quelle ne fut pas ma surprise de remarquer que, finalement, et en tenant compte du contexte de production, ce récent programme, faute d'être transcendant, n'était vraiment pas mauvais. Bien évidemment, cela ne révolutionne absolument rien et ne constitue à aucun moment une figure d'excellence ou de maîtrise technique, mais force est de constater que la série n'est pas sans rien nous proposer et possède des qualités indéniables. Sachant que l'on parle ici d'une série française ciblant un public adolescent et produite par Netflix à l'heure où la plateforme américaine et ses comparses nous inondent d'un torrent de médiocrité dans lequel se noient chaque semaine des séries et films de merde à la douzaine, je pense que l'on peut affirmer que « Mortel » est une proposition acceptable et très correcte.
Que peut-on dire ? Premièrement, ce n'est pas trop long. La mode est depuis des années sur un rapprochement du format « long-métrage », les saisons de 25 épisodes de 42 minutes à la « Supernatural » sont obsolètes - trop long, il faut optimiser le temps de cerveau disponible des consommateurs -, place aux séries de 8 à 12 épisodes de 50 minutes. Pourtant, en dépit de ce format-ci, beaucoup de séries-poubelles arrivent encore à être trop lentes tant leur propos est d'une vacuité absolue. « Mortel » n'est composée que de 6 épisodes, c'est suffisant pour ce que ça peut avoir à raconter. Dans l'ensemble, le rythme est assez bien géré et même si la narration s'emballe quelque peu à certains moment, passant du coq à l'âne sans effet de mise en scène pour une transition assez brute, l'histoire tient la route et les évènements qui surviennent semblent cohérents entre eux. C'est une chose positive, trop d'univers narratifs s'écroulent sur eux-mêmes sous le poids de l'invraisemblance. Au début, on se demande quand même où est-ce que la série veut nous amener et pourquoi elle porte un nom aussi ridicule, mais on obtient assez rapidement une réponse à ces deux questions et je n'ai rien à redire à cela.
Le scénario, quoique qu'un peu bateau, n'est pas inintéressant. Son exécution est très convenable, la direction artistique semble avoir compris le propos et se l'être correctement approprié. Comme dit précédemment, sans rien révolutionner, la série parvient à apporter un brin de fraîcheur dans cet aride désert de conformisme cinématographique où tout se ressemble pour être vendu à tout le monde. Tout le délire autour du vaudouisme, avec un minimum de mise en scène (la décoration de l'appartement d'Elizabeth, les accessoires, les incantations en créole...), dénote légèrement par rapport à ce avec quoi nous sommes quotidiennement matraqués. D'ailleurs, Netflix a très mal communiqué sur ce programme, comme à son habitude avec ses « bandes-annonces-séquence » intempestives qui s'imposent à nous sur l'interface utilisateur pour montrer une séquence entière, sortie de tout contexte, et sans montage supplémentaire. Initialement, je pensais qu'il s'agissait d'une énième série de super-héros de merde pour adolescents très peu exigeants, pour mon plus grand déplaisir. En définitive, ce n'est pas le cas, pour mon plus grand plaisir. La thématique est donc tout de suite plus intéressante car elle propose une texture plus terre à terre ainsi que davantage d'enjeux : le vaudou a des conséquences plus ou moins directes sur ceux qui l'utilisent, plaçant les personnages dans une posture dangereuse, mettant leur vie en péril... contrairement aux super-héros qui reçoivent leurs super-pouvoirs gratuitement ou sous un faux prétexte mais sans répercussions (sauf pour « Vincent n'a pas d'écailles »), sont toujours des gentils au service du bien, gagnent toujours contre les méchants au service du mal et vivent heureux à jamais dans un monde qui n'existe pas.
Ici, le choix s'est porté sur un univers réaliste empreint d'un peu de fantastique. On y croit davantage. Et le thème du vaudou va permettre de créer plus de tension et plus d'enjeux. L'idée de lier deux personnages aux personnalités antithétiques et de les rendre dépendants l'un de l'autre pour qu'ils puissent user de leurs dons respectifs n'est clairement pas mauvaise. Cela va créer certaines séquences de tension et de malaise, avant de voir naître une amitié touchante entre deux êtres que tout oppose. À part cela, c'est une série pour adolescents, on y retrouve donc les thèmes classiques qui caractérisent les bouleversements quotidiens de l'adolescence et le microcosme lycéen. Au demeurant, pendant la production de la série, elle devait s'appeler « Teen Spleen » mais, victorieusement, nous avons été épargnés de cet anglicisme inutile. Jusque-là, il n'y a rien de nouveau sous le soleil, mais cela n'est heureusement pas traité sur le même ton que d'habitude. Ici, ce n'est pas niais ou mièvre, ni dans la provocation, ni dans la bien-pensance pseudo-progressiste. Les rapports entre les personnages sont très rudes, abrasifs, on sent la difficulté de combattre la vie à cet âge d’immaturité et de perturbations hormonales et l'évolution de leurs interactions semble plutôt cohérente. Bien évidemment, « Mortel » n'est pas complètement dépourvue de clichés (le lycée de quartier défavorisé, les jeunes de cités qui se battent et martyrisent les autres élèves...) et de poncifs de personnages (Sofiane, le jeune reubeu fougueux, Victor, le marginal psychologiquement instable, Luisa, la pseudo-artiste afro-féministe...), or cela reste en surface et ne vient pas contaminer le récit de manière plus profonde.
La série demeure sur un ton très réaliste. Les personnages sont entiers, ils sont vrais, ils se crachent mutuellement à la gueule comme le ferait n'importe quelle personne car nous sommes tous faillibles et médiocres de par notre condition d'être humain. Soit dit en passant, le jeu des acteurs est franchement convaincant et accentue l'aspect viscéral des relations entre les personnages. L'amateurisme de la grande majorité des comédiens les rend sincères. Je pense notamment à Corentin Fila, physiquement métamorphosé pour jouer le rôle d'Obé, qui malgré son manque d'expérience a déjà été nommé au César du meilleur espoir masculin par le passé, au même titre que Nemo Schiffman (Victor), mais ce dernier, lui, joue faux par moments. J'accorderai une mention spéciale à Carl Malapa qui a tout bonnement su appréhender, comprendre et interpréter le personnage de Sofiane avec beaucoup d'aisance et de justesse.
Dans la forme, la technique se veut pragmatique. Les personnages interagissent entre eux de manière fluide et naturelle. Le tout est filmé de manière très réaliste, caméra à l'épaule, en mouvement derrière les acteurs. La mise en scène est simple mais pertinente. Il n'y a pas de fioriture, il n' a pas de décors présomptueux ni d’accessoires inutiles ou d'effets visuels putassiers. Comme je l'ai déjà évoqué plus tôt, le fond, lui, est un peu plus stéréotypé mais cela reste acceptable. Cela pose tout de même un petit problème d'identification pour la jeunesse du reste de la France. Disons qu'il viendra un moment où il faudra arrêter de surfer sur la tendance des minorités et des quartiers défavorisés sans quoi le monde entier pensera que la France se résume - en dehors de Paris - à des lycées de ZEP, une absence totale de culture traditionnelle et des jeunes de cité qui galèrent sur le bitume... à croire que l'on vit tous dans le bâtiment 7 avec Koba LaD. Et puis malgré tout, « Mortel » ne peut venir clamer se reposer sur un récit en béton : par instant, le voile tombe et laisse dépasser les ficelles du scénario qui prennent le dessus sur la pure spontanéité de la narration. C'est pourquoi on ne voit jamais la police, à aucun moment, en dépit de tous les évènements pourtant tragiques qui se déroulent (suicides, incendie, bagarres, meurtres...) ; et c'est pourquoi on ne voit aussi quasiment jamais les pions et les professeurs du lycée - outre la CPE -, comme dans tout bon teen movie, car ceux-ci constitueraient de pénibles obstacles à la liberté d'action de nos jeunes héros, rendant plus complexe la tâche de l'écriture qui incombe au(x) scénariste(s).
Que dire encore ? La photographie est plutôt bonne, surtout en début de saison où l'on sent la patte d'Édouard Salier - habitué des clips vidéos et des documentaires -, en co-réalisation avec Simon Astier, le créateur de la série « Hero Corp ». En étant du réchauffé, l'utilisation des lumières rouges pour rapidement créer une ambiance visuelle est assez bien faite. Les quelques effets spéciaux en images de synthèse sont réussis, c'est du travail propre. La bande originale très urbaine sur des notes de rap français est assez plaisante. La caméra à l'épaule donne du dynamisme et un côté très proche du réel, on se croirait presque dans un reportage d'« Enquête d'action » (haha), mais ce style de réalisation se rend parfois trop présent, trop opulent et maladroit... disons qu'à certains moments il n'est clairement pas nécessaire, voire dommageable, que l'image bouge autant. Même remarque quant au cadrage, les contre-plongées, les plans cassés en mouvement et les très gros plans sur le visage des acteurs participent à ce style de réalisation naturaliste mais s'en est quelquefois trop. Cette utilisation excessive de ces gimmicks de réalisation fait perdre le sens de leur usage initial et ne donne pas l'effet escompté. Il n'est pas nécessaire de toujours filmer les comédiens à 15 centimètres de leur tête, nous nous contenterons de ces très gros plans lors des séquences portées sur la tension ou l'émotion. Merci.
En conclusion, « Mortel » n'est pas une œuvre majeure ni même techniquement excellente, mais en la prenant pour ce que c'est, soit une série fantastique Netflix pour adolescents, c'est plutôt correct. Comme nous venons de le voir, elle s'en sort bien mieux que ses concurrentes sur de nombreux détails techniques. Si deuxième saison il y a, espérons que les petites erreurs dans la narration et la réalisation se verront corrigées par l'expérience d'une première saison pas dégueulasse. Quoi qu'il en soit, c'est la seconde fois que la plateforme de vidéos à la demande américaine parvient à éveiller mon intérêt pour des productions françaises de son catalogue, la première fois étant pour la série « Osmosis ». Puisse cette série, peut-être, se hisser au-dessus des légions de programmes médiocres qui sont proposés et qui, contre toute attente, sont consommés et appréciés... ce qui finalement... constitue le commun des mortels.