Saison 1:
C’est un secret de polichinelle : les premiers épisodes de Mr Robot présentent des similitudes avec David Fincher. Mr Robot alimente les confusions mentales d’un anti héros aux yeux globuleux nommé Elliot. Elliot travaille dans la sécurité cybernétique mais se réfugie la nuit dans une passion illégale qui est celle d’hacker et dénicher des secrets sur tout et n’importe qui. Alors qu’il se drogue à la morphine pour calmer ses crises de solitude, noue une relation ambiguë avec sa dealer, déteste les accolades entre collègues, Elliot est un oiseau perdu dans un ciel brumeux où la réalité et l’illusion ne font qu’un.
Et dans cette opposition qui va conduire le récit à mener de front le combat de la révolution technologique contre le libéralisme d’une firme comme Evil Corp, l’envie de sauver le monde de ce capitalisme farouche et d’éradiquer les inégalités sociales, il est impossible de ne pas penser à Fight Club et sa quête existentialiste anarchique, surtout lorsque Elliot va rentrer en contact avec un groupuscule terroriste dont le chef est le mystérieux Mr Robot.
Puis, de par ses vêtements, son accoutrement, son génie de l’informatique, son insociabilité et sa désinvolture dans sa capacité à concevoir des rapports en société, Elliot s’avère être le jumeau masculin de Rooney Mara jouant Lisbeth Salander dans le Millenium du même David Fincher. Tout en comprenant que la bande sonore de la série se rapproche du travail orchestré par Trent Reznor et Atticus pour le cinéaste américain : on se dit alors que l’influence est bien trop omniprésente pour que la série puisse s’extirper de cette épée de Damoclès.
Mais la grande qualité de la série, notamment dans cette première saison, est d’assumer l’appropriation de ce cinéma pour en déjouer les codes et s’aventurer vers des chemins moins conformistes : déchiffrer plus précisément l’univers informatique, fouiller en profondeur l’errance des mœurs de la société moderne ou la numérisation de la vie privée, l’effacement de l’intimité au dépend de l’apparence, déstructurer les rapports humains et leur définition.
Certes, Mr Robot n’est pas révolutionnaire dans son traitement et dans sa compréhension de la politique contemporaine mais a le mérite d’être un melting pot ambivalent à la fois homogène dans sa nature philosophique mais aussi très hétérogène dans l’emboitement de sa diversité scénaristique : passant du drame relationnel au polar numérique, ou l’introspection identitaire au passage à l’action terroriste. La série n’aura cesse de vouloir distinguer la réelle identité d’une personne : celle du quotidien et celle des réseaux sociaux. Mais derrière toutes les arcanes, le masque identitaire peut en dévoiler un autre.
Derrière ses quelques clichés inhérents (le petit ami un peu benêt) ou ses gimmicks inutiles, Mr Robot est une série intrigante et même fascinante par bien des aspects : la pluralité de ses trames, la force iconique de ses personnages, la violence épidermique de certaines scènes, cette volonté de jouer avec le temps et d’intensifier sa tension et son urgence (comme l’excellente série Utopia), la folie dégénérative de ses personnages (l’incroyable couple Wellick), l’introspection viscérale d’un homme dans les rouages de la pensée et sa réalisation qui joue beaucoup sur la notion d’espace avec cette perpétuelle idée de désaxer le positionnement de ses protagonistes à l’écran.
Comme pour mieux cloisonner un premier plan et un arrière-plan et comprendre la cartographie solitaire et géographique d’une personne dans son environnement. Et accompagné d’une direction d’acteur minutieuse, tout le mécanisme narratif commence par l’introduction du spectateur dans l’intrigue grâce à l’utilisation d’une voix off qui casse les barrières du quatrième mur. Ce procédé scénaristique, que l’on a vu récemment dans Deadpool, est dans Mr Robot une franche réussite car vide de toute volonté comique. Elliot, sujet à la schizophrénie, prend à partie le spectateur comme un double, une conscience qui est une épaule sur laquelle s’appuyer.
Mais alors que cette voix off aurait pu n’être qu’un simple artifice visant à inscrire le récit dans une sphère aussi ambitieuse que vaine, cette proximité entre Elliot et nous authentifie le récit et accentue l’émotion qui se dégage des révélations tant attendues. D’ailleurs la série ne surprend personne avec son twist principal et n’a jamais eu l’intention de le faire : Elliot regardera le spectateur au moment propice et nous interpellera en nous disant brièvement que nous connaissions les contours de la supercherie sans que l’on prévienne lui. Déchirant dans sa résonance émotionnelle.
Saison 2:
Lors d’un discret et inopiné entretien entre les deux hommes d’affaire, Terry Colby regarde, désorienté, le visage placide de Phillip Price et lui pose la simple mais importante question : « Mais pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi me demandez-vous cela ? ». La réponse apportée par le patron de E Corp est sans équivoque quant aux intentions de ce dernier : « je veux être l’homme le plus puissant de la salle dans laquelle je me trouve ».
C’est la définition même de cette deuxième saison : la recherche acharnée de la puissance divine, la gouvernance d’un Etat sur un autre, la quête du graal qui ne fait que commencer dans l’esprit de ces hommes et femmes qui veulent tous détenir le pouvoir sur l’autre. Mais est ce que Sam Esmail aurait vu trop grand : Mr Robot est-il devenu une farce perpétrée par un petit malin ou garde-t-il sa force de persuasion technologique et sa fascination hypnotique ?
Mr Robot dévie du chemin qu’il s’était tracé et se veut plus froid, plus âpre dans sa démarche : alors que les références à Fight Club se font encore plus persistantes à travers la dualité mentale d’Elliot qui semble suffoquer suite à l’existence de sa double personnalité, le rapprochement avec l’ambiance anxiogène et l’effondrement économique proche d’un Cosmopolis de David Cronenberg est prégnante pour faire de la série un ensemble intense de confrontation et d’ambition dissimulée mettant en valeur la puissance pesante de tous les personnages.
A l’image de la masochiste et manipulatrice Joanna Wellick qui fera tout pour retrouver son mari. Pour preuve, Mr Robot change de braquet et n’est plus vraiment cette cartographie de l’humanité empêtrée dans la connexion numérique de son intimité. Les masques sont tombés et l’humain doit se relever après l’avènement de cette nouvelle ère : le début de saison est révélateur.
Aucune trame ne se dégage réellement et chaque personnage tente surtout de se redéfinir dans ce monde mutant tout en gardant sa force dialoguiste proche de l’anti consumérisme : Elliot face à Mr Robot, Angela et sa fusion égocentrique chez E Corp, Darlenne et son nouveau rôle de leader. Comme si la série devenait un simple récit initiatique, un théâtre des rêves qui mute en portrait de protagonistes mouvants qui sombraient de l’intérieur. C’est passionnant dans son immobilisme : malgré tout la tension est perpétuelle et la paranoïa est un fardeau. Comme si le temps s’était arrêté et voit ses personnages s’enfermer dans un bocal. Que devient la FSociety ? Et surtout où est Tyrell Wellick ? Ça sera le fil rouge d’une saison aussi riche que déstabilisante.
Que cela soit dans la maison maternelle, les couloirs d’une prison ou les étages ultra sophistiqués d’E Corp, Mr Robot veut passer une étape supérieure, garde cette mise en scène haletante et grisonnante mais se questionne différent : s’écarte de son échelle intime pour dériver sur une dimension plus communautaire : le rôle des banques, la révolte de la rue, l’argent qui brûle sous les yeux ébahis d’une société qui voit ses comptes fermés. C’est une révolution monétaire qui se dessine devant nous et les enjeux se feront internationaux, avec la prédominance de la Dark Army. Parfois balbutiante de son cheminement car instable dans la superposition de ses intrigues, Mr Robot fascine toujours autant.
La saison 2 de Mr Robot s’exprime le biais de la quête du pouvoir et la mainmise sur les événements : c’est une partie d’échec où tout ne doit pas être révéler. La révolution est en marche et déchaine un déferlement financier et humain hors du commun lors de cette fameuse date du 9 mai. Tout comme ses personnages, la série tente de survivre aux conséquences. Mais alors que la saison 1 suivait une trame linéaire grâce au fil conducteur qu’était la préparation du piratage d’E Corp, cette nouvelle saison fait face à sa propre ambition.
Avec le twist sur la schizophrénie avérée de Elliot, la série essaye alors de jongler avec ses deux principales velléités : continuer la fabrication d’un récit qui prend la structure d’un thriller policier autour du monde informatique où le FBI poursuivra les membres de FSociety et la démystification d’une narration plus étalée, ambiguë, qui joue sur la psychologie labyrinthique de ses protagonistes. Le résultat ? La saison 2 de Mr Robot est une réussite comme pouvait l’être la saison 2 d’Utopia ou de The Leftovers : après le cataclysme, Mr Robot apaise son rythme et rabat les cartes de son univers pour engendrer un monstre encore plus hybride et iconoclaste.