Divorcée depuis dix ans, Mrs Fletcher s'est entièrement consacrée à élever seule son fils Brendan. Avec le départ de ce dernier pour l'université, c'est toute son existence qui se retrouve bouleversée : non seulement elle prend conscience que son rôle de mère est à son crépuscule mais elle va devoir également réapprendre à composer avec celle qu'elle fût des années avant que Brendan ne monopolise sa vie. Sans son fils, Mrs Fletcher n'a plus lieu d'être, place désormais à Eve, la femme mature et célibataire dont la libido étouffée depuis bien trop longtemps se met soudainement à exploser !
Emportée par des fantasmes jusqu'ici gardés sous cloche mais qu'une des parts d'ombre de son fils libère par inadvertance, Eve se retrouve submergée par le réveil abrupt de ses désirs qu'elle attise par sa nouvelle dépendance aux sites pornographiques. Symbolisé par la sénilité d'un vieillard qui libère sans retenue sa sexualité sur le propre lieu de travail d'Eve (quelle scène d'ouverture, haha !), ce brasier ravivé de fantasmes va devoir forcément passer au stade de la concrétisation pour s'apaiser... mais comment ?
C'est là toute la question qui va animer Eve et le cheminement de la série concoctée brillamment par Tom Perrotta ("The Leftovers") d'après son propre roman. "Mrs. Fletcher" ne va absolument rien éluder du chemin de croix parcouru par son héroïne dans le but de se réapproprier sa sexualité et c'est sa plus grande force ! Chaque épisode met sur sa route de nouvelles étapes pouvant lui permettre de passer ce cap mais chacune de ces solutions ira de pair avec son lot d'hésitations ou de maladresses.
Le choix facile de se réfugier dans une nouvelle relation durable pour refermer artificiellement la brèche sera bien entendu abordée mais Eve s'en détournera rapidement, préférant le goût de son indépendance retrouvée (excellent épisode 2 avec sa conclusion aussi poétique que magnifique). S'évadant un peu plus à chaque fois de la cage que la vision étriquée de la société américaine réserve à ses "desperate housewives", Eve va se reconstruire en tant que femme à travers des expériences inédites (et plus ou moins heureuses) qui passeront notamment par sa rencontre avec les élèves de son groupe d'écriture (des personnages secondaires tous géniaux, mention spéciale à leur professeur) et, plus particulièrement, avec Damian, un très jeune homme loin d'être insensible au charme de la jolie divorcée...
L'autre grande trouvaille de la série est d'avoir juxtaposé l'évolution d'Eve à celle de son fils dont la trajectoire est diamétralement opposée. Sortant de ses années-lycée où il a jouit d'une très grande popularité, Brendan fait preuve d'un comportement immonde à bien des niveaux. Pendant que sa mère bridait sa sexualité, lui en a profité pleinement -puberté oblige- avec une vision nauséabonde de la femme que l'on imagine aisément nourrie par la pornographie si facile d'accès pour sa génération. Ravi de s'échapper du cocon familial, Brendan pensait que le milieu universitaire serait le terrain idéal pour continuer à jouir en solo d'une existence futile faite d'aventures sans lendemain et de fêtes : manque de chance, cet environnement ne fera que le renvoyer sans cesse à sa propre médiocrité et exacerber un mal-être qui lui était jusqu'ici inconnu. Même si sa déchéance est on ne peut plus méritée vu sa conduite inqualifiable, l'intelligence d'écriture de la série trouvera le moyen de ne pas le rendre totalement antipathique en pointant du doigt des failles pouvant expliquer ce qui a façonné sa mentalité.
Cette construction en forme de miroir déformant mère-fils se dévoilera assez vite globalement mais elle se fera aussi remarquer plus dans le détail de certains événements, comme dans l'épisode 5 où chaque infime bonheur/malheur de l'un semblera engendrer l'effet inverse chez l'autre à des kilomètres de distance. Bien sûr, le choix de mêler ces deux points de vue prendra encore plus de sens avec la formidable conclusion de cette première saison, sorte de collision magistrale et inévitable entre ces deux mondes et dont la folle montée en puissance des péripéties du dernier épisode restera comme un plus grands éclats de rires/malaise de l'année-séries 2019 !
Vous l'aurez compris, il est bien difficile de ne pas tomber en adoration devant "Mrs. Fletcher" !
Portée par un regard d'une infinie justesse sur les femmes quarantenaires se redécouvrant devant l'inconnu que peut représenter un des plus importants tournants de leurs vies, la série prend très souvent un malin plaisir à naviguer sur des registres contradictoires dans le but de malmener joyeusement les émotions du spectateur. Sa capacité incroyable à nous faire rire, à nous toucher ou même à créer la gêne en l'espace de quelques minutes autour d'une même situation trouve une résonnance parfaite avec cet état d'incertitude gouvernant désormais son héroïne et son fils dans la quête de leurs épanouissements respectifs.
Enfin, au-delà d'un casting absolument formidable, comment ne pas aborder l'interprétation remarquable de Kathryn Hahn ? Actrice trop souvent cantonnée à des seconds rôles jusqu'à ce que beaucoup ne retiennent que son visage au lieu de son nom (quelques films ont néanmoins déjà eu la bonne idée de la mettre en tête d'affiche comme "Afternoon Delight" ou "Private Life"), Kathryn Hahn livre ici probablement une de ses (la ?) plus belles prestations de sa carrière qui devrait en toute logique engendrer nominations et récompenses dans de prestigieuses compétitions (du moins, on l'espère pour elle, elle le mérite tellement !).
Bref, "Mrs. Fletcher" est un des gros coups de cœur séries de cette fin d'année 2019 et la très courte durée de visionnage de cette première saison (7×30 min) ne vous donne aucune excuse pour la louper.