Pour une note sur 10, il me faut rendre honneur d'abord au travail bien fait. Les doublages (au sens strictement sonores) sont propres, les graphismes sont beau, les transitions sont propres également, même si l'animation n'a rien de transcendant. Bon. Allons désormais droit au sujet qui fâche.
Âmes critiques, s'abstenir: pourquoi ? Même à supposer que le fond soit mauvais, la seule qualité graphique devrait suffir pour passer un moment à poser son cerveau. Et bien même pas.
Le doublage de l'héroïne sonne très juste dans les premiers temps, sombre, voix très (TRÈS) soufflée, et histoire qui se tient bien (rappelons la mention HISTORIQUE). On parvient à oublier que l'ensemble est un cliché ambulant (la sœur DOIT être une peste, la marâtre NE PEUT PAS respirer sans cracher sur sa belle fille, le père N'OSERAIT JAMAIS prendre la défense de sa fille, la fille N'AURA PAS UN INSTANT l'envie de faire autre chose que se soumettre). Jusque là ça va encore, car ces situations existaient parfois belle et bien.
Lorsque soudain débarque un jeune homme charismatique aux yeux bleus et au cheveux blancs en costume de militaire prussien issu d'une pure lignée de la noblesse japonaise, et qui, comble du glamour, à des pouvoirs magiques lui permettant entre autres de faire chauffer son bain tout seul. Vous aviez dit historique ? À partir de ce moment-là la voix de l'héroïne devient juste insupportable de niaiserie, son chevalier servant plus cliché que le cliché, jusqu'à l'absurde total (officier occidental mais pur japonais dark ténébreux, violent mais au cœur tendre).
Bon bon bon, imaginons que ce n'était qu'une histoire de design et de fan service obligatoire, que le reste de la série sera originale et palpitante. Non. Je vous le dis tout net. Non. Cette série est, si je devais résumer, ce qui resterait de Kimetsu no Yaiba si on enlevait le budget, Muzan et les bonnes ficelles scénaristiques. Et qu'on rajoutait une production qui a visiblement séché ses cours d'histoire japonaise. Enfin, au moins pour le coup de la colonisation americaine, on peut dire qu'ils ont été visionnaires: tous les personnages se comportent comme dans une société libérale (clichée jusqu'à la corde): et qu'un militaire répond tranquille à son chef (essaye de faire ça en entreprise même dans le Japon contemporain pour voir), et que la femme est impuissante et soumise, ou bien pure, ou cruelle et superficielle dès qu'elle en a l'occasion, et qu'à aucun moment elle ne se rend utile ou n'est mise en valeur... Y-a-t'il des femmes dans cette production ? Je veux dire, des femmes qui ont pris conscience de ce qui se passait dans ce dessin animé ?
Enfin, pour ne pas étaler de tartines sur un navet qui n'en vaut pas la peine, on a un truc qui se prétend historique dont le nombre de clichés est un record pour notre époque. La femme soumise est une image historique tronquée et bien commode, véhiculée depuis le succès de Madame Butterfly, et surtout depuis la colonisation américaine. Derrière chaque homme puissant se cache une femme, et derrière chaque couple se trame des relations de domination dans un sens comme dans l'autre. Si vous voulez creuser le sujet de l'histoire au Japon vous disposez d'innombrables animés (Golden Kamui, l'œuvre de Takahata etc...) qui même en la romançant, ne créent pas de contre-vérités americanisantes et ont surtout des personnages bien écrits.
Cette critique un peu longue donc pour insister surtout sur les ravages des représentations idéologiques du passé. Avant 1853, les bains japonais étaient mixtes. Lorsque les Américains ont décrété "la séparation entre hommes et femmes" au nom de la pudeur, des cordes ont été tendues entre les deux moitiés des bains pour respecter cette injonction, avant d'être séparés par des murs pour "paraître moderne". On voit par ce simple exemple à quel point nos représentations actuelles faussent un passé utilisé de manière idéologique.
Pour ressituer dans l'actualité cette idée de la femme japonaise n'existant que pour servir l'homme blanc, le gouvernement japonais ne reconnaît toujours pas le caractère criminel des viols commis par les militaires américains sur des femmes okinawaiennes, allant même jusqu'à les excuser pour cela. Car oui il y a encore une base américaine à Okinawa. Et oui les soldats là-bas violent les femmes japonaises en tout impunité. Et oui cela a (surprise !) un rapport avec la manière dans la femme japonaise est perçu par l'occident en général, et les États-unis plus spécifiquement, par rapport à la femme occidentale.
Petit coucou aux scénaristes en herbe, donc: évitez de salir votre propre histoire avec des clichés qui n'en valent pas la peine. FAITES DES PUTAINS DE RECHERCHES. La réalité est souvent beaucoup intéressante qu'une fiction à deux balles, et surtout permet l'auto-critique.