Plata o plomo
Le pilote était très fort. Il y avait du Scorsese là-dessous, tant dans les procédés de narration que dans les sujets énoncés. On était alors pris d'un dilemme : la saison pourrait-elle continuer...
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le 21 sept. 2015
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Le pilote était très fort. Il y avait du Scorsese là-dessous, tant dans les procédés de narration que dans les sujets énoncés. On était alors pris d'un dilemme : la saison pourrait-elle continuer comme cela ou y aurait-il une chute ? On se doutait un peu de la réponse...
Mais reprenons. Le pilote, donc. En quelques minutes, nous plongeons dans un monde de violence et de cynisme, un monde de luttes pour le pouvoir, un monde politique et criminel ou la question de la moralité se pose très vite. Pendant une première moitié de la saison, nous allons assister à l'ascension de Pablo Escobar, petit revendeur d'un peu tout ce qui peut tomber des camions et qui deviendra le plus gros trafiquant de drogue colombien. Là, on sent que les scénaristes marchaient sur des œufs : comme chaque fois que l'on doit prendre un mafieux comme personnage principal, il s'agit d'éviter le plus possible l'identification du spectateur au personnage. Combien d'ados, de nos jours, se baladent avec un tee-shirt représentant Scarface, vénérant un personnage que dePalma représente pourtant comme un fou furieux. On sent que, très vite, les créateurs de la série sont tiraillés entre l'idée de donner d'Escobar l'image romantique du criminel-rebelle, et la nécessité de le présenter pour ce qu'il fut, un malade mental n'hésitant pas à enfoncer tout un pays dans l'extrême violence.
Du coup, la série ne cache rien des crimes du bonhomme : attentats, assassinats, fusillades en pleine rue, exploitations de gamins de dix-douze ans qu'il va armer pour protéger son territoire, enlèvements et chantage, et même une prise d'assaut. Les cadavres s'accumulent et la violence imprègne toute l'atmosphère de la série.
d'autant plus que les policiers et militaires chargés de le traquer ne font pas dans la douceur non plus. C'est peut-être d'ailleurs là une des grandes réussites d'Escobar : brouiller les cartes de la moralité, emmener les "représentants de la loi" sur son domaine, celui de la violence gratuite. A partir du moment où ceux qui sont censés, plus que tous, respecter les lois, se mettent à torturer, abattre sommairement ou kidnapper, alors la structure sociale commence à vaciller.
C'est un peu là-dessus qu'insiste cette première saison aussi, surtout dans sa seconde moitié, qui est centrée sur la traque au narcotrafiquant. Plus lente, plus stagnant, moins géniale que les premiers épisodes, cette seconde partie a quand même son lot de qualités. Les épisodes se focalisent alors que le président colombien Cesar Gaviria, devenu personnage principal et symbolisant la situation dramatique d'une Colombie qui est la victime d'une véritable guerre. Prise entre la volonté d'Escobar d'échapper à l'extradition et celle d'Américains envahissants qui cherchent à mettre fin aux trafics en employant l'artillerie lourde, la population colombienne est souvent victime des deux côtés, prise en plein dans le champ de tir.
Le cynisme politique du narrateur, Steve Murphy, agent de la DEA, se révèle très plaisant. La vison qui est donnée des États-Unis n'est pas très reluisante. Ainsi, si Reagan décide de chasser les trafiquants, ce n'est pas pour une raison de santé publique, mais parce que ses banquiers lui ont dit que trop de capitaux quittaient le territoire américain et que ça pouvait être dangereux pour l'économie.
De plus, la série n'hésite pas à montrer que les États-Unis ont une forte tendance à se planter royalement. La CIA, fidèle à la doctrine Reagan, ne considère pas les narcotrafiquants comme des dangers mais se lance dans la chasse aux minuscules groupuscules communistes, passant à côté des véritables enjeux. C'est cette haine d'un communisme qui, pourtant, ne représente déjà plus le moindre danger, qui va inciter les USA à s'allier aux pires dictateurs (la série commence par la prise de pouvoir de Pinochet, notoirement assisté par la CIA avec la bénédiction de Nixon ; on nous parle aussi du Panama de Noriega).
Tout cela, plus une situation sociale particulièrement injuste, fait apparaître Escobar comme un "Robin des Bois colombien" et contribue à lui forger une réputation de saint.
Bref, malgré des défauts, malgré un rythme inégal qui fait que la seconde moitié de la saison semble parfois un peu patiner, Narcos se révèle une série riche et dense. Wagner Moura est excellent en Escobar, et c'est un plaisir de retrouver Luis Guzman, que l'on avait déjà vu bien souvent chez Brian DePalma.
A suivre...
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Créée
le 21 sept. 2015
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