(Je discute du potentiel épanouissant et éducatif (au sens large) des œuvres que je teste. Voir mon profil pour plus d'explications.)
Quel est le principe de ce dessin animé ?
Une jeune licorne vit dans une famille de narvals et pensait en être un. Au premier épisode, elle découvre qu'elle est une licorne et s'en suit une exploration de l'identité et du monde. Les personnages sont traversés par diverses inquiétudes et autres questionnements et y répondent avec leurs amis aquatiques et terrestres.
Est-ce que c'est une bonne série de manière générale ?
Le thème licorne 3D multicolore m'a fait craindre qu'il s'agisse d'un dessin animé superficiel, mais il n'en est rien. Narval ou presque parvient étonnement bien à aborder des sujets liés à l'identité tout en étant très accessible à des enfants. Ce ne sont pas des questions très directes de type "j'ai telle différence qui existe dans la vraie vie, que faire" mais plutôt des sujets généraux ou s'appliquant à ce monde en particulier, ce qui est intéressant pour rendre le dessin animé accessible au plus grand monde (notamment, pour ne pas se faire bouder par les parents les plus fermés).
Les épisodes de 10 minutes sont juste ce qu'il faut pour ce qu'ils ont à dire. Le scénario de chacun est clair sans être martelé en boucle comme ça arrive parfois avec les dessins animés pour ces âges. Sans rien d'incroyable, l'animation et l'ambiance en général sont agréables, c'est le bon compromis entre l'économie de moyens (les décors ne sont pas très fournis) et la qualité (rien ne fait vraiment "3D lisse et moche"). Les efforts artistiques sont mis là où c'est le plus important, notamment dans le look personnalisé des licornes principales, qui est vraiment réussi. La série parvient à donner une vraie petite personnalité à chaque personnage important sans tomber dans des tropes faciles. J'apprécie aussi l'évolution discrète mais existante de ces personnages. Par exemple, une petite licorne verte a tendance à poser des questions qui peuvent être vexantes. On voit au début que ça peut mettre mal à l'aise et au fil des épisodes, elle fait plus attention.
Je ne sais pas dans quelle mesure c'est volontaire, mais j'ai l'impression qu'il y a eu une réflexion sur comment amener un discours inclusif à toutes sortes de familles, pas seulement celles qui sont déjà ouvertes à la question. Par exemple, sur le papier, c'est juste un dessin animé de licornes. C'est un thème populaire qui n'interroge pas. Mais en fond, la licorne principale est supposément un garçon (il est genré au masculin) malgré l'association courante entre les licornes et les fillettes. La police d'écriture utilisée est OpenDyslexic. Et surtout, les licornes ont des coiffures d'inspirations ethniques variées, pas seulement des cheveux "blancs". Mais pour qui n'a pas vraiment regardé plus loin que leur peau verte ou rose, ça n'attire peut-être pas l'attention.
Avec le fait que tous les épisodes concernent l'acceptation mais qu'aucun (de ceux que j'ai regardé) ne disent directement des choses telles que "c'est ok d'être queer", il me semble qu'il y a une tentative de proposer un discours "universel", de sorte que le dessin animé passe aussi auprès de parents peu ouverts. Que ce soit bien ça ou non, je trouve qu'il y a une vraie possibilité pour Narval ou presque de se faire une place dans des foyers qui n'auraient pas acceptés de séries étiquetables comme "woke". Sans que ça lui barre la route de ceux qui accueillent les discours pro-acceptation. Le côté généraliste de l’œuvre peut aussi permettre de choisir quel lien on va faire entre ce qui est raconté et notre vie. Par exemple, la situation identitaire narval-licorne de Kelp peut rappeler bien des choses : l'adoption, le métissage, les coming out ou encore sans doute plein de cas divers où on a du mal à trouver sa place ou à s'y sentir légitime.
Pour finir cette partie, un plus non-négligeable est que la série est plutôt regardable pour un·e adulte. C'est un dessin animé pour enfants de 5-9 ans, donc ça ne va pas loin, mais ce n'est pas ennuyeux. Ce qui rend plus agréable de regarder avec un enfant. D'autant que le thème se prête bien à des discussions.
Est-ce que c'est un bon dessin animé pour apprendre ?
J'avais un peu peur de retrouver les habituelles "mauvaises idées qui ont l'air bien parce que 99% de la population ne connaît rien aux travaux majeurs et modernes en psychologie" et il y a un peu de ça (c'est pour ça que je n'ai pas mis 9 ou 10 étoiles). Mais Narval ou presque se donne vraiment du mal pour proposer des sujets intéressants aux enfants et c'est pour le moins réussi.
Le thème du dessin animé, l'acceptation de soi, est plutôt bien pensé et amené. Le petit Kelp (le personnage principal) ne devient pas subitement une licorne accomplie et se pose des questions intéressantes sur ce qui le lie à sa vie aquatique et ce qu'il peut découvrir avec les licornes. Il découvre, il essaie, il peut être en difficulté parce qu'il n'est pas aussi agile que ses ami·es marin·es ou parce qu'il n'est pas aussi expérimenté que ses nouveaux camarades licornes. C'est assez varié et il est arrivé que le dessin animé réponde à une question que je me posais (est-ce que la soeur narval de Kelp n'est pas triste qu'il passe désormais une partie de son temps dans un lieu qu'elle ne peut pas atteindre ? > il y a un épisode dessus).
Un exemple qui m'a plu : dans un épisode, la sœur de Kelp trouve un coquillage très joli qui lui plaît beaucoup. Malheureusement, elle le casse. On est dans un monde magique, pourquoi ne pas le réparer à coup d'arc-en-ciel ? Eh bien non, les personnages essaient de reconstituer le coquillage, mais sans succès. Finalement, Kelp propose d'en faire un usage différent : il le réduit en miettes et le met dans un flacon, ce qui le rend scintillant lorsqu'on le secoue. La petite narval se réjouit et la morale est chouette : elle ne retrouvera pas ce qu'elle a perdu, mais elle peut en faire quelque chose de différent. Ce ne sera pas comme avant, mais ça ne veut pas dire que ça ne peut pas être bien.
La façon d'enseigner cette petite leçon est intéressante. Le sujet du coquillage est quelconque et a peu de chances d'exister tel quel dans la vie d'un enfant. Ainsi il fait un support explicite tout en permettant de faire un lien avec des situations réelles.
Le discours est peut-être un peu trop abstrait parfois pour des enfants, mais dans l'ensemble ce dessin animé montre un certain respect pour eux à mon sens. Il dit que les enfants ressentent des choses, qu'ils vivent des situations qui les questionnent et qu'au lieu de se contenter de leur dire que tout ira bien, on peut discuter, on peut réfléchir et on se permet de croire qu'eux aussi à leur échelle ils peuvent raisonner sur la vie.
Est-ce que tu la recommanderais ?
Oui ! Si vous en avez l'occasion, donnez-lui sa chance, ces petites licornes en valent la peine ! Si possible, regardez les épisodes dans l'ordre, il y a une continuité entre eux.
[Note à propos du titre de cette critique : j'ai regardé la série en anglais et au début du générique, il se dit "everyone has a special story, every voice has a melody".]
[Note 2 : Kelp, qui veut dire varech* en anglais, s'appelle ainsi en anglais et en français. Mais sa sœur, Scallop (Saint-Jacques) en anglais, est passée à Cookie en français. Je me demande si la traduction n'a pas eu peur de la sonorité de Scallop pour les francophones...
*et pour ton information, inconnu·e des internets, le varech n'est pas une plante. C'est un chromiste, un règne différent de celui des végétaux.]