Rarement une série a si bien su traduire la conscience (des limites et des vices) de la condition humaine rattrapant même ceux qui ont pu se retrancher dans une tour d’ivoire luxuriante. Le duo de chirurgiens au cœur de l’intrigue ainsi que la foule de Nip/Tuck poursuivent des fantasmes de gloire et de célébrité, de jeunesse et de beauté éternelle ; d’immortalité, parfois littéralement, matériellement pour l’essentiel.
Au début de sa carrière (2003), Nip/Tuck fut une véritable révolution. Jamais une série américaine n’avait exposé et surtout abordé ainsi le sexe à l’écran pour le grand-public, devenant un phénomène en abordant un large panel de tabous actuels et éternels (sadomasochisme, homosexualité, transsexualisme, mais aussi racisme, zoophilie et une foule de comportements illégaux). Le phénomène a été si vif que Nip/Tuck reste une pièce maîtresse dans l’histoire télévisuelle ; le destin de la petite chaîne du câble FX, robinet à matchs de catch, s’en est trouvé bouleversé.
Pendant plusieurs saisons et l’ensemble des années 2000s, Nip/Tuck s’est imposé comme le parangon du soap chic et trash, entre cynisme et délectation, kitsch boursouflé et post-moderne gangrené par l’avidité et la folie. Comment ne pas succomber à cet exotisme contemporain, à l’effervescence du catalogue d’excentricités et de dépravations, aux manifestations d’orgueil désespéré ? Surtout que Nip/Tuck, contrairement à beaucoup de ses consœurs, ne reste pas enfermée dans l’évocation complaisante de la superficialité téméraire, de la débauche arrogante et du matérialisme clinquant ; non seulement elle va plus loin dans ses démonstrations, mais en plus elle affiche la stupeur, les angoisses et les refoulements de ses personnages. La série cumule montées d’adrénaline et retombées intenses, masques et sincérité, amour des illusions et acceptation du sort. Nip/Tuck percute aussi par son esthétique spécifique, soutenue par une bande-son revisitant classiques de la pop et introduisant des morceaux électros et alternatifs (surtout les deux premières saisons).
Passant par la farce à l’occasion (une foule de cas étranges, certaines expérimentations de Matt, l’OSS du remplaçant de Christian..), fournissant un lot de bouffons qu’on adore mépriser en les assistant dans leurs misérables leurres (les nouveaux riches, les meutes de vieilles retapées, le critique défiguré), la série prélève pourtant de nombreux cas spectaculaires ou cocasses sur la réalité voir sur les faits divers (la séparation de sœurs siamoises -2.09, la femme clouée à son fauteuil -3.01, l’homme-arbre -5.20, l’implantation d’un visage félin). L’outrance et la vanité du peuple de Nip/Tuck a son corollaire, la tragédie de la dégradation. Les choix, la mortalité, la finitude, la sensation d’invisibilité ; l’intuition profonde que nous somme un atome perdu et se convaincre que la richesse, le statut, le sexe, le pouvoir, sauront inverser cette tendance. Les épreuves classiques de la vie ramènent ces troupes de prométhées factices et régressifs dans le monde commun, mais ils le vivent comme une fosse en-dessous de leur piédestal.
La saison 1 a été un joyeux uppercut, la saison 2 confirma sans se détacher, la troisième fut un accomplissement. Il n’y a pas vraiment de pic dans Nip/Tuck ; la série a été plutôt égale pendant les cinq premières saisons, mouvante dans sa nature mais stable dans le degré de générosité. En revanche, elle perd clairement en cohérence soutenue à partir de la saison 4, tout en réussissant à raccommoder des pistes improbables ; cet aspect triomphe dans la seconde moitié de la saison 5. A cette époque, le fil rouge semble fébrile, les scénaristes avancent manifestement à très moyen-terme : toutefois le divertissement est total et les intrigues pleines d’imagination. Mais l’ingéniosité ne fait pas tout et la saison suivante récoltera des audiences désastreuses, au point que les studios la stoppent en urgence pour monter une last season artificielle (et lapidaire). En 2010, le soufflé est retombé et si la série occupe une place dans les esprits et le langage commun, sa nouvelle mouture n’est plus qu’un complément ingrat et ne fait pas référence. C’est la fin de Nip/Tuck au bout de sept saisons. Le déménagement à Los Angeles (ouvrant la saison 5) n’est jamais vraiment passé.
Son créateur et réalisateur, Ryan Murphy, a depuis supervisé Glee et American Horror Story.
http://zogarok.wordpress.com/2014/07/26/niptuck/