Nisemonogatari
7.2
Nisemonogatari

Anime (mangas) (2012)

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J'avais entendu beaucoup de choses sur cette partie des Monogatari, toutes ayant rapport avec un certain fanservice qui aurait explosé comparé à la première saison. Et, bon, le fanservice... est une mauvaise chose. Tel qu'il est couramment utilisé dans l'animation japonaise, elle ridiculise quelque peu les personnages en les objectifiant, et distrait inutilement de ce qu'une série essaie de faire parvenir en termes de narration et d'émotion. Le fanservice fait de la caméra même un observateur lubrique des personnages, pas exactement la bonne valeur pour développer une histoire. Le fanservice ajoute une valeur n'ayant rien à voir avec une œuvre dans sa dimension artistique, et dans les faits éloigne toute valeur artistique, émotionnelle ou narrative que peut avoir une scène. Le fanservice méprise également l'audience, impliquant que nous sommes incapables de suivre une série dans sa nudité (no pun intended). Le fanservice prouve que les créateurs de la série ne prennent pas cette série et ses personnages au sérieux - et s'ils ne le font pas, alors putain, pourquoi je le ferais ?


Cependant, Nisemonogatari n'est pas intéressé du tout par le fanservice. Nisemonogatari est une série qui parle spécifiquement de sexualité, de perspectives, et des conventions d'usage d'une caméra. La majorité du fanservice dans les fictions japonaises arrive en utilisant la caméra comme perspective d'un être étranger à la scène - ou, dans le "meilleur" des cas, la perspective du protagoniste lubrique. Le fanservice est entièrement consacré à la cause du regard masculin, et les femmes sont cadrées d'une façon qui accentue leur sexualité non pas parce que c'est ainsi qu'elles se voient, mais simplement parce que le cadreur trouve ca sexy. Dans Nisemonogatari, le cadreur voit bien plus loin que ça. Chaque plan a une signification, que ce soit d'une certaine perspective ou d'une certaine mentalité.


Premier exemple, le moment avec Nadeko. Dans cette séquence, Nadeko est spécifiquement et, de façon évidente, en train d'essayer de séduire Araragi qui n'en a pas conscience. A cette fin, Nadeko elle-même contrôle la camera. Cette dernière la montre exactement telle qu'elle aimerait être perçue, et la majorité de l’incongruité de la scène vient du contraste entre ses avances grossières et évidentes, et l'inconscience joyeuse d'Araragi qui n'y voit rien. C'est la première (il me semble) des nombreuses scènes dans la série où un personnage féminin tente d'utiliser sa sexualité comme une arme, et les réactions d'Araragi montrent clairement que la caméra n'est pas son regard d’homme : elle portraie la façon que Nadeko essaie (en échouant piteusement) d'être perçue. De plus, c'est la première des nombreuses scènes où quasiment tout le contenu émotionnel du dialogue est mis dans la réalisation, et non dans l'écriture. Il est clair dès cet instant que Shinbô (pourtant ancien réalisateur de hentai sous pseudonyme) a un souci avec la façon dont l'animation japonaise représente la sexualité.


La scène suivante, Araragi retrouve sa sœur, et le tout est complètement désexualisé - à vrai dire, Shaft va jusqu'à incorporer un plan traditionnel du fanservice (un plan d'entre-jambes), mais grâce à ses vêtements et à sa posture, le rendu est complètement neutre. À ce point dans l'histoire, aucun des deux personnages ne considère l'autre d’un point de vue sexuel, alors pourquoi la camera le ferait ? Shinbô sait ce que de nombreux réalisateurs échouent à apprendre ou à mettre en usage - que le positionnement de la caméra développe un effet émotionnel important chez le spectateur, et qu'il donne toujours des informations (sur le ton de la scène, sur la vision de soi, sur les enjeux, sur la façon qu'a un personnage de voir un autre...) L'anime a la chance d'être un médium au potentiel de cadrage littéralement infini, et Shinbô parle de ça aussi dans Nisemonogatari, que le spectateur le remarque ou non. (peut-être que j'y suis plus sensible moi aussi en tant que personne travaillant dans le milieu, je ne dis pas)


La scène qui suit est avec Kanbaru, et c'est un retour au "fanservice" - mais le contexte est totalement différent de la scène avec Nadeko. Dans ce passage, c'est une femme qui utilise son corps pour délibérément jouer avec Araragi, car c'est le rapport que ces deux ont. Contrairement à Nadeko, il n'y a aucune subtilité dans la sexualité de Kanbaru, tout autant parce qu'elle est plus représentative de sa personnalité rentre-dedans, mais aussi parce qu'elle connait mieux Araragi. Elle utilise son corps comme une arme, non pas pour séduire Araragi, mais simplement pour le déstabiliser. Mais là encore, c'est elle qui contrôle la caméra et la vision qu’elle donne d’elle-même.


En avançant un petit peu, nous avons un épisode ou Shinobu est pour ainsi dire nue tout le long, mais le ton et l'impression donnée sont complètement différents. La caméra trivialise sa nudité car, pour elle, c'est une chose triviale : elle n'est nullement sexualisée, et même si la caméra ne cherche en rien à cacher cette nudité, elle ne fait rien pour la fétichiser ou attirer l'attention dessus, alors que lors d'une brève conversation avec Hanekawa (entièrement habillée, cela va de soit) par la suite, la caméra joue entièrement sur la sexualité du personnage ; cela parce que Hanekawa est une présence irrémédiablement séduisante pour Araragi, et les deux le savent pertinemment - la tension sexuelle à peine non-évoquée entre eux est apparente à travers le viseur de la caméra. Encore une fois, toutes ces scènes contiennent la majorité du contexte simplement dans le cadrage d'un personnage : même si les conversations sont erratiques, concentrées ou bien sur le scénario, ou bien sur du vide, un énorme volume d'informations sur la relation entre les personnages est donnée à travers la réalisation seule. Une cinématographie intelligente est vraiment un superpouvoir.


Et maintenant on passe aux choses sérieuses.


L'épisode 8. Une histoire d'hygiène dentaire. Le point culminant de cette saison.


Avant tout, pour moi, cet épisode est hilarant. Ce qui ressort principalement de la deuxième moitié de l'épisode est que "se brosser les dents ne devrait pas être aussi sexy", et cette blague ne fonctionne que si le spectateur peut ressentir combien la scène est sexy pour les personnages. Et Shaft est évidemment suffisamment doué pour savoir comment donne à une scène pareille la bonne tournure. Rien que cela est impressionnant en soi. Mais ce que cet épisode fait vraiment selon moi, ce qui est le sujet évoqué du début à la fin de ce dernier, est de parler d'Intimité.


Il me semble, et ce n'est qu'hypothèse assez raisonnable pour moi, que Shinbô s'est demandé "Qu'est-ce que les gens aimant le fanservice en tirent ? Pourquoi regardent-ils un anime, et pas simplement un porno ? Qu'est ce qu'une série animée peut avoir qu'une représentation directe du sexe n'a pas ?"


L'intimité.


La scène de la brosse à dents est chargée d'un érotisme profondément intense grâce a l'intimité impliquée, et tout dans l’épisode / la série mène à ce point. Premièrement, la relation entre Araragi et Karen a toujours eu une connotation étrange, à moitié joueuse, les faisant évoluer de traditionnels jeunes frère et sœur antagonistes à l'un de ces couples qui flirtent tout en se chamaillant. Ensuite, tout ce que Karen fait au début de l'épisode est effectué pour pousser Araragi hors de sa garde, et dans un lieu d'intimité / d'inconfort. Les vêtements qu’elle porte font un travail de qualité à ce niveau, et c'est son entière décision pleine de sens. Tout d'abord, cela offre un contraste frappant envers son accoutrement et sa personnalité usuels : le jogging aux couleurs d'abeille n'appartient qu'à elle, l'androgynie est tout à fait elle, l'asexualité insouciante est tout à fait elle, et de la mettre dans un costume autant contraignant, genré et chargé d'érotisme lui sert à bouleverser toutes préconceptions qu'Araragi peut avoir de leurs interactions communes. Deuxièmement, le fait que ça ne soit pas son accoutrement usuel, et le fait qu'il ne lui va par ailleurs pas du tout, la met dans un état de vulnerabilité, ce qui provoque tout autant Araragi. Enfin, le tout est fait pour être sexy, prouvant qu'elle est en contrôle de sa sexualité, chose avec laquelle Araragi n'a cessé de débattre avec lui-même alors qu'il tente d'agir comme un modèle pour ses sœurs. Toutes ces choses appuient le véritable objectif de Karen dans cet épisode : rendre Araragi tellement inconfortable qu'il acceptera de l'introduire à Kanbaru. Tout ici n'est que choix du personnage (et non du caméraman libidineux), et l'effet que ces choix ont autant sur Araragi que sur l'audience est exactement ce qui était souhaité. Tout le reste de ses actions - la confession sur combien les insultes d'Araragi la touchaient plus jeune, elle qui attaque quasi-physiquement Araragi -, tout ici ne fait que souligner ce but primaire et compris.


Mais je parlais d'intimité. Donc, ce que la scène de la brosse a dents fait est bien sûr de se construire sur ces fondements d'inconfort / vulnérabilité / sur-sexualisation que Karen a provoqué intentionnellement, le tout combiné avec la relation que ces deux ont bâti, une bonne partie de montée en puissance badine, et un monologue d'Araragi pour replacer le sexuel dans une position d'honnêteté émotionnelle absolue. Bien sur, le tout est également joué de façon humoristique, mais cet humour est basé majoritairement sur le fait que c'est drôle que se brosser les dents peut être aussi érotique, et comme dit, pour que cette blague fonctionne, le spectateur doit vraiment comprendre que ce moment est érotique pour ces personnages. Dans la majorité des médias, les moments puissants le sont non pas seulement dû à la réaction émotionnelle de l'audience face à la situation, mais parce que l'on peut ressentir de l'empathie avec la réaction émotionnelle d'un personnage face à la situation : ainsi l'on est plongé plus encore dans le texte / film / série, et ancre notre connexion avec les personnages concernés : à cet instant, l'on ressent pour eux plus encore que l'on ressent pour nous-mêmes. Ainsi, tout le travail préparatoire de cet épisode est mis en œuvre pour nous faire comprendre ces personnages complètement à cet instant, et lorsqu'ils réagissent à cette scène comme si elle était d'un érotisme incroyable, nous comprenons son érotisme également. La connexion faite avec les personnages est honnête, et la façon qu'a la série de nous faire parvenir leurs émotions est honnête également : l'intimité est vraiment juste un autre mot pour l'honnêteté. Cette honnêteté, qui rend cette scène si puissante, est part intégrante de pourquoi la plupart du fanservice est si affreux : car malhonnête avec les personnages, en les représentant comme objets sexuels alors qu'ils ne ressentent pas vraiment cette objectification sur l'instant. Mais plus que ça, cette honnêtement est quasi-intégralement absente dans la pornographie conventionnelle. Cette dernière n'est généralement qu'une collection d'acteurs performant un service contre un salaire : bien sûr, ils sont nus, mais c'est la chose la plus éloignée de l'intimité que l'on peut imaginer. Pour voir quelqu'un se dévoiler émotionnellement, il faut aller vers l'art. Et le point de cette scène est de dire "Même dans une séquence aussi absurde qu'ici, l'honnêteté peut la faire sonner vraie".


Avant de conclure une petite déviation que j'estime intéressante, car je n'y aurai jamais réfléchi si ce n'était par les points soulevés par Nisemonogatari. Je crois que ce problème d'intimité est en grande partie ce pourquoi des séries comme K-On fonctionnent du tonnerre. C'est un argument un peu fracturé et difficile à faire, principalement parce que la caractérisation dans K-On est difficile à décrire comme "honnête", mais en partant du principe que ce sont des personnages valides, K-On tente de créer une humeur perpétuelle d'honnêteté émotionnelle et d'intimité amicale et décomplexé. On y invite le spectateur dans un environnement sain et aimable libre de tout motif voilé et des défenses caractérisant le monde réel, et qui est toujours complètement honnête avec le spectateur. Pour ceux d'entre vous qui ont vu Community, on pourrait considérer K-On comme l'expérience ultime d'Abed : un monde basé sur des règles que vous comprenez totalement, qui vous aime inconditionnellement, et toujours prêt à partager ses secrets émotionnels avec vous. Pornographie de l'intimité.


Oui, la scène de la brosse à dents m'a fait réévaluer, et pour ainsi dire légitimiser le charme sensible des "cute girls doing cute things". Et je crois que c'est précisément ce que Shinbô voulait démontrer ici : que le sexe ne sera jamais aussi attrayant que l'honnêteté, et que l'intimité est au final le noyau de l'érotisme. Et ceci, couplé aux problèmes de regard masculin, de réalisation, d'écriture et de perspectives déjà adressés auparavant, et pourquoi le fanservice fait normalement du mal aux œuvres - en étant impersonnel et malhonnête.


Donc non, je ne crois pas que Nisemonogatari soit un grand amateur du fanservice. Au contraire ce serait l'argument le plus frappant et cohérent contre lui, complété par d'infinies démonstrations de comment la sexualité peut être utilisé de façon bénéfique pour améliorer et compléter l'écriture d'une oeuvre. Et je pourrais difficilement être plus impressionné.

BiFiBi
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le 4 oct. 2015

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