Il n'y a rien de pire que la hype qui touche énormément d’œuvres de nos jours, qu'elles relèvent du simple divertissement ou d'une démarche artistique déjà un peu plus honnête et poussée. J'ai attendu un peu avant de regarder cette série-documentaire sur Orelsan d'abord parce que c'est un produit marketing qui servait à annoncer l'album Civilisation qui est maintenant sorti il y a presque un mois mais surtout parce qu'il s'agit évidemment d'un documentaire fondamentalement très contrôlé.
Le concept est assez alléchant : Clément Cotentin, le frère d'Orelsan, a acheté une caméra au début des années 2000 pour filmer son frère plus ou moins au quotidien, alors déterminé à faire du rap. Gros coup de bol pour lui : non seulement ça a marché, mais en plus son frère et son entourage sont plutôt à l'aise avec cette caméra qui les filme en permanence puisque même dans des moments difficiles (Orelsan est particulièrement sujet à la déprime), ça continue de tourner. On peut donc s'indigner d'une mise en scène aussi flagrante, le montage est forcément très efficace et chaque épisode se termine sur un cliffhanger, on est pas dans un documentaire où il y a une démarche cinématographique derrière, celle de filmer l'invisible.
Là on nous montre l'histoire d'un succès avec des éléments plutôt tangibles : les gars doivent bosser pour réussir (c'est la partie la plus passionnante du documentaire, on ne va pas se mentir, et j'inclus évidemment Skread, Gringe et Ablaye dans le lot), se faire des contacts (merci Skread) et Orelsan doit maîtriser son image. Pire, Orel doit suivre la mode. J'ai trouvé ça fou qu'il l'assume aussi frontalement et ça explique pourquoi La fête est finie est bien moins bon que Le chant des sirènes alors que c'est cet album-là qui l'a rendu plus populaire que jamais.
Mais il faut quand même avouer que c'est très plaisant à regarder. Clément Cotentin travaille chez Canal+, il est assisté de Christophe Offenstein (qui a bossé sur Comment c'est loin) à la réalisation, et on sent cette maîtrise de ce qui va captiver le public. C'est à la fois rapide tout en donnant l'impression au spectateur qu'il a de la matière sous les yeux, sans jamais être frustrant. On sent une envie d'expliquer aux personnes lambda le fonctionnement global de l'industrie musicale et de rappeler que derrière les réussites, il y a des gens qui bossent. D'ailleurs l'évolution de ces conditions de travail est plutôt amusante : on a d'abord Orelsan qui fait du matraquage sur Myspace "à la main" et qui s'enregistre dans son appart' avec du matériel acheté au magasin de musique du coin à une époque où les Home Studio étaient une galère sans nom à mettre en place à des enregistrements de demo tranquillou dans un logement perdu au fond de nulle part ou entre deux dates de tournées tout en ayant un réalisateur qui va créer une image Orelsan dans les clips de l'artiste et une bonne promo. On insiste aussi énormément sur le fait que le cas d'un petit gars de province qui arrive à percer dans le milieu est exceptionnel, mais en réalité pas tant que ça. Après tout, il faut bien justifier l'importance de son sujet.
Pour la saison 2 on entre dans les coulisses de l'album Civilisation et son succès phénoménal qui a évidemment été fait en vitesse comme le résultat le laissait présager. C'est assez cool de voir un type faire de la musique en plein confinement puis avoir l'avis extérieur de ses potes, comment le duo avec les Neptunes a été fait également, tout ça est à nouveau raconté de façon hyper efficace et rythmée.
Ce côté "ode à la méritocratie" et "comment faire partie du système" me gêne un peu, mais c'est vraiment très agréable à regarder. Les gars sont attachants, la carrière d'Orelsan a failli se terminer une bonne fois pour toute avant qu'il puisse faire son grand retour, il y a effectivement beaucoup de travail en plus de cette part de chance inouïe qui lui a permis d'accéder à ce statut, et même si la morale de cette histoire c'est de ne pas faire de ce cas une généralité (parce que là je les vois d'avance les petits rappeurs amateurs qui vont se filmer tous les jours en espérant avoir un son qui atterrit dans le top Spotify), c'est un très bon moment.