Oz.
Si je me souviens bien, la série s'ouvre sur ce nom, le nom d'une prison qui construit six ans de série et que six ans de série ont contribué à construire. Parce que "Oz" n'a pas ce titre pour rien : la prison d'Oswald est le coeur même de toute la structure narrative proposée par Tom Fontana.
La première chose intéressante avec cette série, c'est qu'elle aurait pu ne jamais connaître de fin : il n'y a globalement pas d'intrigue principale ; c'est le fonctionnement même de la prison, l'évolution de ses protagonistes, voire même son destin politique qui articulent tout le déroulement de cette production HBO.
"Oz" ne connaît pas de borne narrative ; même les personnages principaux peuvent mourir, même les intrigues paraîssant absolument nécessaires peuvent être avortées sans préavis.
Si un tel procédé peut paraître déboussolant, il n'en demeure pas moins logique : Tom Fontana ne cherche pas à offrir un récit linéaire, mais propose une critique du monde, de la société, du gouvernement, de la vie en général, et, surtout, de l'absurdité de l'univers carcéral américain.
I - La société américaine et le système judicaire montrés du doigt
En effet, Oz, c'est avant tout une dénonciation violente du système judicaire en vigueur sur le Nouveau continent.
Augustus Hill, le narrateur, n'hésite pas à tourner les lois américaines à la dérision, il souligne volontiers l'absurdité des décisions prises par les tribunaux et de l'emprisonnement systématique de certains types de criminels. Si la série se focalise quasi entièrement sur l'intérieur de la prison - et non sur le déroulement des procès menant le détenu à Oz - la critique est constamment observable à deux niveaux : quoiqu'il arrive, c'est la sanction pronnoncée par le juge qui envoie la personne dans l'univers hostile d'Oswald et qui la propulse au coeur d'une dangereuse épreuve de survie. Suis-je en train de dire que les prisonniers ne méritent pas leur arrivée en cellule selon Tom Fontana ? Que leur incarcération est purement injuste ? Pas du tout.
Ce que le cheminement narratif d'Augustus dénonce, c'est le fatalité qui anime l'Amérique pauvre : le climat extérieur, la difficulté de vivre décemment dans son pays, la précarité de certains milieux délaissés par le gouvernement poussent les délinquants à atterir dans l'univers sombre d'Oz. En d'autres termes, tant que le problème de la violence ne sera pas réglé à la racine et qu'aucune mesure n'est prise pour améliorer le sort des minorités et favoriser leur insertion dans la société, les prisons continueront à se remplir et la population américaine sera
victime d'un cycle imbécile.
Les incarcertations sont critiquées, à travers Oz, sous deux angles : les peines peuvent être trop longues, inadaptées, démesurées (la peine conséquente de Tobias Beecher, par exemple, est souvent remise en question) ; aussi, les crimes menant à cette peine peuvent être imputés au fonctionnement même de la société et sont donc causées par la défaillance d'un système. Quoi qu'il en soit, la série adopte une posture très critique ; elle ne dénonce pas la nature humaine (ses vices, ses violences...) pour prouver que l'homme est foncièrement mauvais,
mais pour mettre l'accent sur l'incapacité du gouvernement, des gens, du monde à régler les problèmes sociaux plutôt
que de confiner les troubles-fêtes dans un environnement exacerbant leurs vices et leurs révoltes.
II - Oz : un environnement hostile et dangereux
Car être emprisonné à Oz, c'est vivre dans un climat de perpétuelle violence. La série n'a pas été diffusée sur HBO - une chaîne cablée aux USA - pour rien : aucun type d'agression ou de crime ne nous sont épargnés durant les six ans du show. Sodomies, défection à la figure, massacre au matériel photographique (seuls ceux qui ont vu la série peuvent comprendre cette référence), empoisonnement, viols en série, tout y passe.
Pourtant, Tim McManus, fondateur de la section spéciale où se déroule la plus grande partie de l'action, a pour projet de rendre ses détenus meilleurs ; l'idée de rédemption et d'amélioration est omniprésente dans son discours idéaliste et utopique. On pourrait imaginer que sa construction d'une prison exessivement vitrée et perpétuellement surveillée, où les gardiens semblent vivre chaque seconde aux côtés de ceux qu'ils surveillent,
contribue à la disciplinarisation et à l'évolution positive des personnages.
Bien au contraire, sous une telle pression, les criminels repoussent leurs limites et ne cessent de chercher à contourner les interdits. Les morts s'alignent et ne se ressemblent pas, personne n'est épargné, les crimes les plus odieux sont commis aux quatre coins de l'unité.
Ce climat d'insécurité offre à la série dans sa globalité une grande qualité : son ambiance. Aussi constante que torturée, l'atmosphère qui se dégage de Oz donne à la prison comme un souffle de vie, comme une identité.
La création de Tom Fontana ne se limite pas à celle d'une série télé, il a aussi généré un univers, une prison, ses personnages, et, comme nous venons de le dire, une ambiance. Un sytle bien propre à la série, reconnaissable entre mille. Sans doute que la violence apporte une grande contribution à ce processus ; c'est en étant indésirable et périlleux que l'univers d'Oswald s'isole et devient "autonome", marginal. C'est comme si le monde d'Oz était hermétique et ne se suffisait qu'à lui-même : les plans extérieurs sont très rares (ils servent uniquement à montrer pourquoi les nouveaux prisonniers débarquent) et les personnages qui parviennent à sortir indemne et définitivement du pénitentier n'existent pour ainsi dire pas. Quand on entre à Oz, on y reste : la vie au coeur de cette prison est animée par une inquiétante fatalité.
III - Culture et intellectualisme dans Oz
Nous venons d'expliquer que la série reste confinée dans son environnement et que les personnages semblent y être
coincés à jamais. Cela veut-il pour autant dire que ce petit chef d'oeuvre est complètement fermé au monde et à sa culture ? Pas du tout. Justement, Oz traite d'un nombre incroyable de sujets, aussi divers que variés, notamment par le biais des interventions narratives qui entrecoupent les épisodes. Les différentes situations que rencontrent les personnages durant leurs "aventures" sont présentées sous un jour plus général par Augustus Hill, par exemple :
1) Il entreprend parfois une réflexion sur la prison, l'emprisonnement, les procès...
2) D'autres fois, il aborde un sujet de société (les maladies, la pollution, la dépendance...)
3) Il peut aussi philosopher sur la vie en général, sur son sens, sur ses aléas...
La prison et ce qui s'y passe demeure donc le tremplin d'un grand nombre de réflexions qui contribuent à intellectualiser la série ; à lui donner une direction différente du simple récit d'une histoire.
Ceci n'est pas ennuyeux, au contraire, les scénaristes parviennent à articuler l'action, le suspens, le développement
des intrigues et le côté plus sérieux de l'ensemble avec justesse.
IV - Oz : une série "compartimentalisée"
Oz est construite de manière fort singulière. Un épisode ne mélange généralement pas les storylines ; il propose
de les traiter les unes après les autres. Ainsi, tant de minutes sont consacrées à telle intrigue ou à tel personnage d'un épisode à l'autre. Il est rare que les différents espaces de l'intrigue se confondent et s'alternent trop souvent. Un défaut scénaristique ? Non, plutôt un choix original. Au lieu d'embrouiller le téléspectateur en multipliant les focalisations, "Oz" prend le temps de traiter chacune de ses histoires séparément pour leur donner
une certaine intensité - cela n'empêche pas les personnages de se rencontrer et les intrigues, au bout du compte,
de s'entrechoquer.
V - Les personnages et leur développement / Les combats ethniques
L'une des plus grandes forces de cette série est de proposer un ensemble de personnages au profil terriblement bien dressé, dont la psychologie est travaillée tout au long des six saisons. Les détenus s'éloignent rarement de l'image qu'ils donnent dès le départ ; ils progressent en toute logique et évoluent avec le temps. Tobias Beecher - que nous avons déjà cité un peu plus haut - est sans doute le personnage jouissant du meilleur traitement : sa longue descente aux enfers, son combat face à l'alcoolisme ou encore sa relation homosexuelle nuancée sont tant d'étapes contribuant à la construction méthodique quoique surprenante et captivante de son personnage.
D'une manière générale, les personnages principaux, en plus d'avoir une histoire personnelle, symbolisent une "minorité" peuplant la prison.
Ainsi, Karim Saïd représente les musulmans, Schillinger les nazis, O'Reilly les irlandais,... comme si le cast principal établissait un représentant pour chaque clan qui finira par s'affronter à un moment ou à un autre. C'est ça aussi, "Oz" : un rapport de force constant entre les différents groupes
incarcérés. L'oeuvre de Tom Fontana aborde le racisme sous toutes ses coutures, prêtant à ses personnages toutes sortes de préjugés malheureusement toujours d'actualité, aujourd'ui encore.
VI - En conclusion
En bref, Oz est une série crue, violente, réaliste, intelligente, qui traîte de l'univers carcéral comme aucune autre ne l'avait fait auparavant. Les personnages sont plus vrais que nature, les situations - si un peu tirées par les cheveux à certains moments - sont systématiquements bien pensées et s'inscrivent dans
un immense arc narratif entrecoupé de réflexions philosophiques, sociologiques, théologiques, historiques... La série adopte parfois un rythme lent - vous ne serez pas scotché à votre siège tout du long - mais finit toujours par se rattraper en proposant des scènes d'une grande classe, des retournements de situation étonnants et des prises de risques sans précédent dans l'univers télévisuel.
Je mets 9 - et non 10 - pour une seule raison : le milieu de la série perd de sa superbe et cède à la facilité d'une série d'intrigues où tout le monde veut tuer tout le monde sans véritable raison. Heureusement, l'effet est court, et les choses reviennent rapidement à la normale pour une conclusion
explosive.
Note globale : 9/10
Notes par saisons :
Saison 1 : 8/10
Saison 2 : 10/10
Saison 3 : 6/10
Saison 4 : 7/10
Saison 5 : 8/10
Saison 6 : 9/10
Précision : J'ai fait une sélection des choses qui me paraîssaient intéressantes à relever et des choses que j'ai particulièrement apprécié dans la série.
Bien sûr, la création de Tom Fontana aurait pu être analysée de mille et unes autres manières tant elle regorge de richesses télévisuelles.