Tsukiko Sagi est la créatrice de la coqueluche kawaii du moment : Maromi, un petit chien rose avec de grands yeux. Alors que le Japon tout entier attend son nouveau personnage Tsukiko se fait agresser. L'archipel est en émoi mais plus que l'agression, c'est l'agresseur qui intrigue Maniwa et Ikari, les policiers chargés de l'affaire. Le criminel serait un jeune garçon avec une casquette, des rollers dorés et une batte de base-ball elle aussi dorée... un garçon dont on ne retrouve aucune trace. Bientôt le "Shônen Bat", comme le surnomme désormais les médias, multiplie les victimes au cours d'agressions de plus en plus violentes.
Satoshi Kon profite du format épisodique pour multiplier les points de vue et les approches sur ce qui reste son thème de prédilection : explorer les traumas de la société japonaise. Chaque épisode s'attache à de nouveaux personnages, à de nouvelles thématiques et le "Shônen Bat" sera le lien naturel entre eux.
Telle une angoisse partagée par tout un pays le garçon à la batte va d'individu en individu pour les soulager de la pression.
Les premières secondes de la série nous montre des gens ordinaires vivant leur vie à Tokyo : du bruit, des téléphones partout, des conversations en cascade, des mensonges par dizaine.
Satoshi Kon nous dépeint des personnages stressés, piégés dans une vie où tout est comprimé, agressif, urgent... une vie sans issue, sans perspectives, une vie absurde et sans substance.
Comment réagir ? La seule issue est-elle la folie ? Des gamins morts de rire emporté par un raz de marée dans une ville en ruine, un quadragénaire mort de rire sur la tour de Tokyo alors qu'une explosion nucléaire surgit derrière lui, des silhouettes qui passent à la vitesse de la lumière dans les rues... tout ça sur fond de musique techno et de chant halluciné. Le générique de Paranoïa Agent déstabilise et plante le décor. Le Japon de Satoshi Kon marche sur la tête, n'a plus de repère et il s'auto-détruit.
L'auteur s'amuse à épingler les travers et tabous de ses contemporains, y compris au sein de sa propre industrie, celle du divertissement animé, qu'il décrit avec une cruauté non dissimulée. On nous décrit une société profondément bipolaire où l'épanouissement n'est pas autorisé et où les déviances (notamment sexuelles) ne peuvent que se multiplier, inexorablement.
Un gamin perdu dans un jeu de rôle, une brave universitaire qui fait la pute le soir tombé, un flic véreux, un homme incapable de vivre heureux autrement que dans le Japon de son enfance, des inconnus qui ne se connaissent que par pseudos internet, des jouets qui parlent...
Tous les personnages ont une face cachée, une part de leur personnalité qu'ils ne peuvent/veulent pas exposer aux autres. Même lorsque les personnages paraissent normaux le cours des choses les poussent au syndrome dissociatif. La série parle aussi du pouvoir de l'imaginaire, du pouvoir de la création sur les individus. Quand la réalité n'offre pas d'échappatoire vers quoi peut-on se tourner ?
Alors que le trait principal est très clair et très moderne on passera par tout un spectre de courant artistiques différents, selon le besoin de l'épisode. Loin de tout effet gratuit la série adopte différentes techniques pour renforcer ses ambiances, affiner ses symboliques. L'image est aussi bouillonnante que le scénario.
La série est à l'image de son sujet. Alors qu'elle commence comme un Thriller elle abandonne progressivement ses atours policiers pour dévier vers un onirisme de plus en plus marqué et de plus en plus angoissant. Si la limite entre réel et virtuel est floue pour les personnages, elle l'est également pour le spectateur. Les différents fragments de personnalité (passé, présent, rêve, fiction) s'entrechoquent dans une narration nébuleuse mais captivante. Maîtrisant aussi bien le suspens glauque, l'horreur psychologique, l'humour décalé, la série joue en permanence avec le spectateur et ses attentes/frustrations, amorçant et désamorçant les situations avec brio. Le spectateur n'a pas d'autre choix que d'accepter de perdre pied, sous peine de se retrouver exclu. Qu'il le veuille ou non, il fait parti du processus.
Satoshi Kon accouche d'une série profondément angoissante et dérangeante. Non pas que la violence graphique soit insupportable (les agressions sont d'ailleurs hors champs ou suggérées) mais la justesse des personnages et la cruauté de leurs parcours psychologique fait instantanément mouche.
L'auteur porte un regard noir mais lucide sur un Japon qui, à force d'encaisser et de refouler, fini par s'anéantir tout seul. Ultime pirouette la série s'offre un faux happy end, plus amer qu'il n'y parait. Les dernières minutes du dernier épisodes répondent directement aux première minutes du premier épisode. L'illustration d'un cycle ou bien l'affirmation que la société japonaise n'est pas capable de retenir les dures leçons qu'elle reçoit ?
La réponse appartient à chacun et à personne à la fois. Satoshi Kon, lui, doit encore bien rigoler de là où il est, à l'image de ses personnages du générique.