"C'est la fin du monde à cause d'une putain de (((spoiler))) !"
On commence par attirer le chaland (à savoir moi) avec une prémisse pleine de promesses et d'interrogations : de braves citoyens tokyoïtes se font agresser par l'insaisissable shonen batto, le gamin sur rollers, casquette vissée sur la tête et batte tordue dorée à la main. Et alors que la ville bruisse de rumeurs sur les méfaits du gamin et sa mystérieuse identité, le policier old school et son jeune coéquipier chargés de l'enquête piétinent.
Une fois le téléspectateur accroché à ce mystère à la Twin Peaks, la série révèle ses véritables intentions. Car on se rend compte très vite que les victimes du shonen batto, confrontés à une réalité quotidienne qui les dépasse et qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas assumer, sont finalement bien contentes d'être "libérées" par un coup de batte salvateur sur le crâne, passant subitement au statut de victimes que l'on plaint et que l'on ménage.
Derrière le masque de normalité des personnages présentés au fil des épisodes se cache la fêlure des mensonges à soi même et du refus de la réalité, chacun glissant dangereusement vers un lâcher prise (auto)destructeur. De la plus petite lâcheté du quotidien jusqu'aux cas pathologiques en passant par les petits ou gros mensonges, même bienveillants, le réalisateur Satoshi Kon dresse un portrait noir et sans concession de l'âme humaine et de la société. Perdue entre le réflexe individualiste du déni et du report de la faute sur autrui d'une part, et le vide faussement lénifiant offert par la société de consommation/consolation d'autre part, l'humanité apparaît bien peu sympathique, malgré quelques étincelles d'espoir.
Les 13 épisodes alternent avec succès les styles et les points de vue. Quelques épisodes loners en milieu de diffusion permettent aux auteurs encore plus de liberté, que ce soit dans le traitement sur le fil du rasoir de sujets sensibles (le suicide collectif) , du gros port nawak (l'épisode des commères), ou bien de la mise en abyme avec un épisode particulièrement didactique ayant pour cadre un studio d'animation japonais et en profitant pour présenter les différents corps de métier impliqués dans la création d'un anime.
Après avoir bouclé la boucle, le message de la série peut apparaître réducteur et intransigeant, mais cette variation sur un thème est extrêmement puissante et bien maîtrisée, à l'image du générique de début qui illustre parfaitement son sujet. Le dernier épisode n'hésitera d'ailleurs pas à pousser l'allégorie jusqu'au bout, et on pourra ainsi, lors de l'affrontement final avec le shonen batto, s'exclamer à l'unisson d'un des héros : "C'est la fin du monde à cause d'une putain de (((spoiler))) !"