Une mort sans fin
"Rien ne sert de mourir, il faut mourir à point" recommandait Jules Renard. Et à quoi bon mourir, pourrait ajouter l'héroïne de Poupée Russe, la nouvelle série Netflix, si c'est pour revivre...
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le 12 févr. 2019
30 j'aime
5
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Saison 1 :
Sur le principe de "Un Jour sans Fin", "Poupée Russe", la série de 8 épisodes de 30 minutes créée par Amy Poehler commence plutôt mal. Même si l'abattage de Natasha Lyonne, que l'on avait déjà pu apprécier dans "Orange is the new Black", dans le rôle d'une trentenaire déjantée et suicidaire fait d'abord son petit effet, on se fatigue vite au bout de deux épisodes de ces boucles temporelles qui semblent rapidement bien stériles, et ne s'avèrent ni touchantes, ni amusantes (… à la différence bien sûr de son inimitable modèle).
Cela vaut néanmoins la peine de s'accrocher jusqu'au "mini-séisme scénaristique" de la fin du troisième épisode, qui propulse la série vers autre chose de beaucoup plus conceptuel et finalement passionnant. On comprendra a posteriori la nécessité de cette longue introduction avant de passer "aux choses sérieuses", puisque la fiction - addictive au point que le binge watching s'impose naturellement - se nourrit de tout ce qu'on aura vu auparavant sans trop y prêter attention. "Poupée Russe" se révèle contre toute attente assez malin dans sa construction jusqu'à un dernier épisode stressant et libérateur... même si l'on n'évite pas la morale très américaine de l'acceptation de soi et de la nécessité de l'attention aux autres ! On préférera donc se souvenir de ce "Poupée Russe" pour la force de son thème psychanalytique (qui nous vaut en outre une belle apparition de Chloe Sevigny), et pour sa capacité à créer de surprenantes ambiances anxiogènes dans sa toute dernière partie, qui montre un monde ravagé par l'entropie et par la disparition progressive de ses habitants.
Une réussite, certes mineure, mais quand même indéniable, parmi la production de séries originales et décalées de la maison Netflix.
[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/05/05/netflix-poupee-russe-la-mort-vous-va-si-bien/
Saison 2 :
Il aura donc fallu trois ans à Amy Poehler et Natasha Lyonne pour trouver comment donner une suite à "Poupée Russe", leur série « high concept » basée sur une boucle temporelle façon "Un Jour sans Fin" ! La difficulté était de rester dans le même registre, c’est-à-dire la remise en question existentielle et psychanalytique d’une jeune femme profondément perturbée par une enfance difficile – du fait de la personnalité psychotique de sa mère – à l’occasion d’une perturbation plus que profonde de la réalité et du temps…, en trouvant un autre ressort fictionnel. C’est chose faite avec cette seconde saison, en 7 épisodes de 30 minutes au lieu de 8, qui joue cette fois le jeu du retour dans le passé des deux protagonistes, leur offrant l’opportunité de corriger leur future existence (… ou pas !).
Ce qui est évidemment très drôle ici, c’est d’abord que le voyage dans le temps – et dans les deux sens – se fait tout naturellement en prenant le métro new-yorkais, qui propulse Nadia dans les années 70. Mais c’est également que, dans ce passé, elle se retrouve littéralement dans la peau de sa mère (et donc enceinte d’elle-même !), et conduite à expérimenter elle-même les difficultés vécues par celle-ci, jusqu’à sa schizophrénie dans un épisode particulièrement dérangeant.
Ce qui l’est moins (drôle), c’est que cette seconde saison reste durant ses 5 premiers épisodes bien en deçà de la première, pour de multiples raisons : d’abord, parce que les poses déjantées et cyniques de Natasha Lyonne finissent par lasser à être trop systématiques ; ensuite, parce que les autres personnages sont beaucoup moins bien traités, moins riches que dans la première saison, avec en particulier une intrigue particulièrement bâclée en RDA pour ce pauvre Alan, qui ne méritait pas cette négligence. Pourquoi donc ne pas avoir rajouté un épisode de plus, et donc revenir au format de 8 épisodes, pour mieux nous conter cette histoire potentiellement passionnante d’étudiante ghanéenne à Berlin Est tentant de sauver un ami prêt à prendre tous les risques pour passer le Mur ?
Et puis, il y a quand même cette gêne qui nous saisit quand "Poupée Russe" revient dans la Hongrie de 1944 occupée par les Nazis… La question atroce de la spoliation des Juifs envoyés mourir dans les camps et de la disparition du trésor ainsi constitué semble quand même beaucoup trop sérieuse pour être ainsi traitée, sur un mode léger, presque en passant, par la série…
Heureusement, les deux derniers épisodes, excellents, rattrapent ces réserves, en conjuguant un joli délire SF avec une remarquable montée de l’intensité émotionnelle : la vieille règle de la moitié des histoires de voyage dans le temps voulant qu’on ne pourrait rien changer de ce qui doit advenir (l’autre moitié de ces histoires traitant au contraire des conséquences catastrophiques sur le présent lorsque le passé est modifié !), sert ici à alimenter une réflexion plutôt fine sur l’hérédité et l’impossibilité d’échapper réellement à « qui on est », de par son héritage génétique. Et sur l’opportunité de pardonner à ses parents quant à ce qu’ils ont fait et pas fait, du fait de circonstances dont on ignore a priori la teneur.
Une seconde fois, on s’est laissé embarqué par une série beaucoup plus ambitieuse qu’elle ne paraît a priori. Et on a pris beaucoup de plaisir. Maintenant, trouver un troisième concept pour une hypothétique suite nous semble quasi impossible… mais qui sait ? Nous retrouverons peut-être quand même Nadia dans 3 ans ?
[Critique écrite en 2022]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Critique : https://www.benzinemag.net/2022/04/27/netflix-poupee-russe-saison-2-metro-77th-street-direction-budapest/
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Créée
le 29 avr. 2019
Critique lue 2.9K fois
9 j'aime
3 commentaires
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