Princess Tutu par Anthelix
Princesse Tutu. Youpi.
Avec un nom pareil, c'est encore une de ces mièvreries rose bonbon pour lobotomiser les gamines de 8 ans. A moins que... Je sais, c'est du hardcore Hentaï ultra-pervers avec des ballerines et des poulpes géants nympholeptiques !
Mais alors, pourquoi toutes ces critiques dithyrambiques conseillant de ne pas se fier aux apparences ? Au début, j'ai pensé qu'il s'agissait d'une blague potache circulant sur le net. Et pourtant... Jugez plutôt.
Ça commence comme un conte de fées : le prince Mytho a perdu son cœur, brisé en mille morceaux lors de sa victoire contre un grand corbeau maléfique. Condamné à n'être qu'une coquille vide, il erre, incapable d'éprouver la moindre émotion. Un petit caneton prend pitié de lui, et décide de partir à la recherche des fragments de son cœur, pour lui rendre le sourire.
La première impression est tout sauf engageante. C'est niais, c'est rose bonbon, le graphisme est ultra-lissé, et le générique est d'une mièvrerie dégoulinante. Mais à l'histoire simpliste viennent se greffer plusieurs autres niveaux de réalité qui s'imbriquent les uns dans les autres, en interaction complexe et metafictionnelle.
En gros, c'est une histoire qui raconte une histoire qui raconte une histoire qui raconte une histoire. Pour faire simple....
Mytho est élève d'une école de danse classique. Totalement insensible, il est pourtant le plus doué de sa classe. Ahiru, l'une de ses camarade de classe timide, gaffeuse, maladroite et affublée d'une voix de canard, éprouve envers lui un amour secret qui semble voué à l'échec. Et l'histoire du prince au cœur brisé est le livre inachevé de Drosselmeyer, écrivain maudit assassiné pour la dangerosité de ses écrits...
Complexifions. Ahiru est un caneton transformé en fille par l'esprit de Drosselmeyer. Et Mytho n'est autre que le prince, sorti du livre de Drosselmeyer pour achever son combat contre l'abomination ailée, au cours duquel il brisa son cœur pour lier son ennemi dans les ténèbres. Ahiru, qui a le pouvoir de se transformer en une super héroïne danseuse étoile, Princesse Tutu, tentera de rendre son cœur au prince, sous le regard amusé d'un Drosselmeyer qui tire les ficelles.
Les premiers épisodes sont franchement barbants. A chaque épisode la princesse Tutu affronte un boss de fin de niveau en dansant avec lui (vous ne pensiez quand même pas que la délicate héroïne allait donner des coups de pied circulaires à la Chuck Norris ?), récupère un morceau de cœur, le rend au prince en faisant des entrechats et zou générique de fin. La série semble se prendre trop au sérieux, l'humour tombe à plat, c'est louche.
Et puis tout dérape. Subtilement d'abord, nos certitudes sont bousculées par quelques détails qui clochent, par l'immiscion du bizarre dans le conte de fées. Et peu à peu, on diverge vers tout autre chose. Vers quelque chose de beaucoup plus profond, de plus sombre et désespéré aussi.
Mais sans perdre la légèreté et la fraîcheur, c'est là qu'est la prouesse d'une série qui parvient à faire cohabiter le loufoque et le cauchemardesque.
Les personnages gagnent en profondeur. L'humour s'enclenche peu à peu, et devient plus mordant, plus grinçant, et tord joyeusement le cou aux codes du conte et de l'anime pour fillette. Le second degré est omniprésent, mais sait se faire discret si nécessaire.
La musique, empruntée au registre classique, reprend un certain nombre de ballets. Elle n'est pas là que pour accompagner, mais joue un rôle à part entière, dans le sens où la référence au contenu des ballets classiques permet une prise de recul sur le scénario, et opère ainsi une mise en abyme de l'histoire de Drosselmyer.
Princesse Tutu est un hommage à la beauté et à la grâce des ballets classiques. En même temps, c'est aussi une parodie qui n'hésite pas à les tourner en ridicule.
Cependant, la danse n'est pas un alibi scénaristique, mais bien un élément central de Princesse Tutu. On se rend rapidement compte que c'est bien à un ballet que l'on assiste, un ballet macabre à la beauté captivante, dont les danseurs ne sont que des marionnettes qui tentent vainement de couper les fils du destin, pendant que le marionnettiste nous lance des clins d'œil complices.
Car dans Princesse Tutu, les personnages sont parfaitement conscients d'être les jouets d'une histoire écrite par Drosselmeyer, certains d'entre eux en connaissent même la fin, et par la recherche de leur véritable identité, par-delà le rôle qui leur a été attribué, ils tentent de modifier le cours de l'histoire.
La danse est alors pour eux un moyen, et parfois le seul qu'ils aient, d'exprimer leurs sentiments véritables, ce qui donne à certaines scènes une intensité poignante.
Ce qui devait n'être qu'une série pour fillettes soulève un certain nombre de questions sur le libre arbitre, la pression sociale, la réalisation de soi, le poids du passé, le dépassement du solipsisme, le sacrifice...tout un programme !
Princesse Tutu, est une imposture, tout y est fait pour brouiller les pistes, y compris le titre, et cela dure jusqu'aux dernières minutes. Le scénario rebondit dans tous les sens, et l'on ne peut que se laisser porter. Rien que pour ces surprises, la série vaut le coup d'être vue.
Mais toutes ces bonnes idées ne sont pas toujours très bien mise en œuvre. Le scénario est poussif, et on s'ennuie parfois franchement. Certains rebondissement paraissent trop artificiels, certains passages sont d'une lourdeur extrême.
L'animation est elle aussi très inégale. Parfois d'une grande fluidité, elle parvient alors à restituer de façon époustouflante la délicatesse d'un pas de danse. Mais souvent elle reste de qualité insuffisante, n'hésitant pas à abuser de plans fixes.
Globalement les dialogues sont plats et ne volent pas forcément bien haut, mais la série fait déjà plus que dépasser ses engagements, on lui pardonnera donc...
"Puissent ceux qui accomplissent leur destin trouver le bonheur, et ceux qui le défient la gloire", car une gloire amère attend ceux qui le combattent, un bonheur cruel ceux qui l'acceptent.
Princesse Tutu est une tragédie, qui porte un regard désabusé sur les relations humaines. Pourtant, le voyage est loin d'être désagréable, et sa fin grandiose.
Une fin tragique ou réconfortante ? Je n'en suis pas vraiment sûr moi-même !
Osez dépasser vos à-prioris, vous ne le regretterez pas.