Le temps semble figé, l'air chargé d'électricité. Le duel des titans, celui que tous ces aficionados attendent patiemment.
Le calculateur et le feu brûlant, défiant l'abîme et ses caprices, pour un même objectif : la victoire.
Chez McLaren, Alain Prost et Ayrton Senna devinent très vite qu'ils ne seront jamais vraiment amis. La passion est bien trop intense pour ces deux jaguars prêts à bondir, accrochant la piste jusqu'à l'épuisement.
Le respect, caché sous le froid des mots, pousse la rivalité à son paroxysme. Chaque course devient un affrontement entre le prodige habité d'un éclat divin, qui frôle le mysticisme, adulé du public et des magazines. Et le maître stratège, toujours à râler, un peu moins apprécié.
Des courses qui se transforment en rugissements fiévreux. Un duel légendaire pour un troisième titre de champion du monde pour Prost à Suzuka (Japon) en 1989.
Chaque départ est un spectacle où l'on peut voir deux âmes rivales se défier à coups de petites phrases qui fâchent. Des colères qui montent, poussant le regard noir de l'autre à l'imprévu. Pendant que les roues s'échauffent et que les châssis s'affrontent, le monde de la F1 scrute la course jusqu'au moindre détail, afin de désigner le vainqueur de ce paysage de courbes et de vitesse. Une couronne qui reviendra cette fois à Senna, en cette année 1991, sur le circuit de Suzuka, Japon.
Cette rivalité, Prost ne la supporte plus. Ce sont deux pilotes forgés par des ambitions communes, mais séparés par des visions divergentes. Des risques incontrôlés, lorsque la pression est énorme. Prost quitte ce coéquipier incandescent, toujours dans son rétroviseur, prêt à tout pour être le meilleur.
C'est décidé : il signe chez Williams-Renault, découvre ce bolide et sa technologie avancée, mais aussi ses aspérités, avec des premiers essais maladroits. Juste le temps d'apprivoiser la bête, il devient pour la quatrième fois champion du monde de Formule 1 en 1993, sur le circuit d'Estoril au Portugal.
Pour sa dernière saison, Prost ne veut plus de Senna comme coéquipier. C'est une décision sans appel, qui sera acceptée dans son contrat. Ainsi, c'est à distance, et à plus de 300 km/h qu'ils se croiseront.
Alain Prost, c'est l'histoire d'un pilote qui déploie tout son art pour dompter sa Williams-Renault et clore un chapitre en beauté. Le sentiment d'avoir tout donné, savoir tourner la page de la F1.
Ainsi, dans l'ombre de cette réalité, Ayrton Senna se trouve maintenant incroyablement seul. Prost n'est plus là. Cet ennemi qui le poussait à transcender ses limites voit à présent ses ambitions disparaître, un jour de 1er mai 1994, à Imola, Italie.
C'est dans ce dernier message de salut, plein d'émotion, à cet ami qu'il découvre à présent, avec qui il a tant aimé livrer bataille, qu'Alain Prost, sans un mot, observe au loin ce drame se dérouler, qui emporte son coéquipier vers cette route pour le ciel, en urgence à bord de cet hélicoptère. Un voyage pour sa terre natale, le Brésil, sous un soleil cruel, un merci, pour un dernier adieu.
La F1 n'est plus. Il n'y a plus de course. Alain Prost, parmi la foule en deuil, regarde son alter ego et comprend soudain qu'ils étaient deux moitiés d'une même légende. La compétition ne pouvait s'écrire qu'ensemble. Prost-Senna, gravé pour l'éternité.
Aujourd'hui, il ne reste plus que des images d'archives, qui semblent irréelles pour ces enfants. Un homme qui grandit autrement, loin des circuits.
De ces souvenirs comme pilote, Prost tire des bonheurs simples. Enfin rire, s'amuser aux côtés d'une famille. Contempler ces instants, où s'invitent parfois des moments de nostalgie, et l'image d'un Français desormais inscrit parmi les légendes du sport, quatre fois champion du monde de Formule 1. Pas mal.