Mahou Shoujo Madoka Magica est surprenant et mérite une analyse plus poussée que celle qui est souvent menée. Si l'on considère que cet anime est révolutionnaire, car il fait basculer le Magical Girl dans un côté plus mûr, plus sombre de l'animation, un côté jusqu'ici totalement inédit, c'est parce que c'est vrai. Mais peu nombreux sont ceux qui prennent le peine d'aborder l'analyse du véritable sujet de cet anime : les affres de la transition de l'enfance à l'adolescence, et, finalement, de ce que représente l'âge adulte. A partir d'ici seront contenus des spoilers majeurs de la série, vous êtes prévenus.
Mahou Shoujo Madoka Magica aborde la question de la croissance, des enfants qui grandissent et se retrouvent confrontés à eux-même et au monde. Le titre occidental est particulièrement révélateur : Puella Magi Madoka Magica. Non plus question de Magical Girl (Mahou Shoujo), ces enfants naïfs qui font le bien, mais des Puella, terme latin pour désigner les jeunes filles en croissance.
Madoka est l'une de ces Puella. D'une enfance insouciante et heureuse, outrageusement banale et volontairement naïve, elle est confrontée au choix de devenir ou non une Magical Girl. Ce qui est intéressant, c'est le fait qu'en échange, un de ses vœux sera exaucé. Un peu plus tôt, Madoka aurait sans doute choisi, en enfant qu'elle était, de protéger ses proches, son petit univers parfait. Mais non. Madoka grandit, elle atteint dans la série un point de rupture, même si elle ne s'en rend pas compte. Et elle balance entre dévouement et égoïsme. Écrasée par un choix qui la dépasse, elle va en fait stagner dans un non-choix durant toute la série. L'heure de l'adolescence est arrivée, avec toutes ses remises en causes du petit monde gentillet de l'enfance. Ainsi l'incapacité de Madoka à faire un vœu contre lequel elle engagera son existence toute entière est du même ordre que l'incapacité d'un adolescent à se projeter dans l'avenir, à prendre une voie qu'il pourra ne plus quitter (tout comme Madoka, une fois qu'elle aura fait don vœu, sera enchaînée jusqu'à sa mort à son rôle de Magical Girl).
L'adolescence, évidemment, c'est aussi et surtout le rapport ambigu avec les sorcières. Extraordinaire bouleversement de l'histoire quand on apprend que ces Magical Girl qui combattent les sorcières sont en fait vouées à devenir elles-mêmes sorcières. Ces êtres de désespoir, qui représentent de façon terrifiante les pulsions de mort de l'adolescent en lutte face à soi-même et au monde, sont en fait issus du monde de lumière qui les combat, mieux encore, elle ne viennent que de là ! Une des plus belles trouvailles de l'histoire de l'animation. D'un seul coup le masque tombe : Mahou Shoujo Madoka Magica n'est pas un anime comme les autres, surtout que quand on pousse la symbolique jusqu'au bout, on y voit une idée plus glauque encore : quand une Magical Girl cède au désespoir, elle devient sorcière et engendre à son tour désespoir et mort autour d'elle, faisant naître de nouvelles Magical Girl... comme une femme en âge d'enfanter qui condamnerait ses enfants au même cauchemar que le sien, en transmettant la vie...
La tragédie de Sayaka est évidemment l'illustration pratique de tout cela : devenue sorcière en découvrant qu'elle n'avait plus d'âme. Pas d'âme pour les adolescentes qui ont trop vite grandi, sans réfléchir à des choix qui ont des conséquences immensément plus grandes que celles de leurs choix d'enfance. Le suicide est également omniprésent. Les Magical Girl sont en permanence hantées par cette tentation de suicide, cette pulsion de mort pour éviter la souffrance de devenir une sorcière. Une fuite dans le néant pour tenter pitoyablement d'éviter ce qui est inévitable : le passage à l'âge adulte. Et quel âge adulte !
Les sorcières SONT les adultes ! Quand tout cela est compris, le reste devient clair. Sayaka, alors qu'elle lutte contre le désespoir qui s'empare d'elle, rencontre deux adultes qui précipiteront sa chute dans le néant. Les adultes sont égoïstes et menteurs, ce sont des escrocs pervers, tandis que les enfants sont des naïfs face au monde qui les entourent (il reste la mère de Madoka, touchante représentation d'un adulte qui doute et est fondamentalement bon; mais justement - ce qui compte ce n'est pas l'horreur que représenterait l'âge adulte, c'est l'horreur qu'elle représenterait pour un enfant qui ne croit pas en eux.).
Les adolescent(e)s seuls ont compris à quel point les adultes sont odieux, les enfants étant trop naïfs et les adultes eux-mêmes trop hypocrites, mais ils ne peuvent s'empêcher de grandir : ils vont, eux aussi, devenir ces adultes qu'ils abhorrent tant, et se complairont dans la méchanceté contre laquelle ils luttaient : le message latent de la série est effroyable, d'autant plus que comme seule alternative à l'horreur de grandir, de devenir un adulte, - une sorcière - il ne semble y avoir qu'une seule solution, que va d'ailleurs choisir l'un des personnages : le suicide...
Si la fin de la série apporte une réponse à ce questionnement, si elle ouvre sur une réflexion à propos d'un tout autre sujet - que je ne l'aborde pas ici, ce n'est pas mon propos... quoiqu'il soit également fascinant - elle est presque convenue (le long-métrage concluant la série se chargera d'y remédier) et surtout totalement en rupture avec le reste du message transmis. A tel point que je soupçonne un manque de courage de Gen Urobochi, le scénariste, qui n'a pas osé aller au bout de son idée. S'il l'avait fait, cependant, on peut être certain que la série n'aurait jamais été diffusée...que se serait-il passé ? Un chef-d’œuvre encore plus sombre et désespérant serait né. Une œuvre mettant en scène des enfants qui commettent l'irréparable à l'instant même où ils comprennent leur destinée... et le twist final offert par Gen Uroboshi déçoit sur ce plan. S'il ne manque ni d'audace, ni de vision, il offre de l'espoir. Oui, de l'espoir dans ce monde de m*****, totalement à contre-courant du message du reste de la série. Dommage, dommage. En attendant le film "Rébellion" censé répondre à toutes les questions laissées en suspens, on regrettera d'être passé aussi près, très, très près des "Fleurs du Mal" de l'animation...
Tout cela, bien sûr, ne peut que faire penser à l'un des anime les plus mythiques qui soient, Neon Genesis Evangelion. Si celle-ci était la série sur la souffrance de n'être pas compris des autres, Puella Magi Madoka Magica est la série sur le refus de passer à l'âge adulte.
Les points communs sont nombreux entre ce que l'on peut désormais considérer comme deux monstres de la japanimation : tous deux ont une esthétique trompeuse, l'un se faisant passer pour un anime de mecha et l'autre pour un anime de Magical Girl, tous deux vous ramènent rapidement sur terre au travers d'une violence hallucinée qui n'a rien de symbolique, tous deux ont des personnages hallucinants, des problématiques d'une intelligence rare, une OST à couper le souffle et une esthétique à tomber (monde des sorcières, collage de souvenirs et univers de papier prêt à se déchirer contre grandiloquence christique et robots géants pour compenser la faiblesse de la psyché de leurs pilotes !)
Dans Neon Genesis Evangelion on parlait de sexe, d'inceste, de psychanalyse et d'impossibilité à comprendre l'autre.
Dans Puella Magi Madoka Magica on parle de mort, d'adolescence, de suicide et de refus de passage à l'âge adulte.
Les deux sont brillants.
Les deux se battent pour être au panthéon des plus grands animes de tous les temps.
Édition de dernière minute : si vous voulez la fin d'une histoire au final quelque peu laissée à elle-même, la critique du film "Rébellion" concluant la série est ici : http://tinyurl.com/nzds2y7 - et amusez-vous bien.