Au vu des études que je fais actuellement, je n'échapperai sans doute pas à la case "thèse de fin de cycle sur un sujet à l'intérêt pratique limité". Si c'est le cas (mais je m'arrangerai sans doute pour que ce ne soit pas le cas), elle portera fatalement, de près ou de loin, sur Internet. Et parmi les exemples que je citerai, il y aura Mathieu Sommet, de "Salut les geeks".
Parce qu'étudier ses podcasts, ses vannes, la construction de son "univers", terme fourre-tout et laudatif pour qualifier les idées du créateur, et le personnage de Mathieu en lui-même, sont idéaux pour comprendre ce que veut Internet, comment il fonctionne. Rien que ça.
En premier lieu, Mathieu lui-même. Ancien employé de McDonalds et autres centres téléphoniques, il assume parfaitement et met même en avant son personnage de de "self-made youtuber", le héros des temps modernes. Surtout, il est proche, parle de sujets que son auditoire comprend, parle volontiers de sa vie privée, de sa propension à boire des bières avec ses amis et a même récemment participé à un mini podcast pour un site culinaire où il a expliqué la recette du "plat préféré du geek" (sic), le hamburger (re-sic).
En quelques mots comme en cent, Mathieu Sommet ressemble à son auditoire, des jeunes aux mêmes goûts que lui, qui passent, eux aussi, des heures devant leur écran. Et aujourd'hui, le spectateur ne recherche pas un modèle par rapport auquel se construire, il veut se retrouver dans son héros. Je n'invente pas l'idée, mais aujourd'hui, les gens ne cherchent plus à ressembler aux héros de cinéma, il veulent que les héros de cinéma leur ressemblent. D'où Mathieu Sommet, qui tente avec un certain succès (et avec naturel, c'est bien normal) d'incarner le "geek" dans lequel ses spectateurs se retrouveront.
Ensuite, la forme en elle-même. Mathieu (vous noterez que je l'appelle inconsciemment par son prénom, c'est banal sur Internet mais tout de même pas anodin) l'admet, le "reviewing" de vidéos virales est presque vieux comme Internet lui-même, autant dire qu'il n'y a rien d'innovant ici. Et pourtant, ça marche, parce que Sommet mêle les formules gagnantes sur Internet : la convivialité, l'humour (on y reviendra), quelques personnages caricaturaux, beaucoup de gimmicks, et surtout énormément de références à la pop culture que son public geek saisira tout de suite - après tout, il les maîtrise aussi bien lui-même.
La forme est, non pas pauvre, mais disons parfois un peu répétitive, cependant il y a un rythme donné que le spectateur saisit facilement, le rythme du zapping virtuel. Alors si en plus les vidéos sont marrantes (en tout cas aux yeux d'Internet, qui est à mon sens une "masse" différente encore de celle conceptualisée par Reich), la formule ne peut que fonctionner, malgré le fait que, grâce au fait que le contenu soit fortement typé geek - le genre de geek qui ne mène qu'une analyse limitée de la toile, quoiqu'on puisse en dire.
Reste un dernier point qui rend Mathieu Sommet plus intéressant et, j'ai envie de dire, le fait quelque peu sortir du groupe classique des youtuber moyens, c'est sa volonté, depuis quelques épisodes, d'instaurer un propos plus sérieux, vaguement politique, quelque peu contestataire, dans ses vidéos.
L'idée est intéressante puisque le produit qu'il utilise, la vidéo virale, est généralement émotionnellement chargée, apte à générer les passions et, donc, le retweet et le partage, plus facilement. Avec ça, Mathieu Sommet a théoriquement les moyens de proposer une petite analyse de divers faits et de faits divers - je pense au capitalisme, par exemple, auquel il se confronte avec bonne foi et naïveté, ou au fanatisme religieux.
Le problème est que le format de ses vidéos ne permet pas une analyse poussée comme le ferait, par exemple, l'excellent Usul. Poussé à "zapper" d'une vidéo à l'autre pour maintenir l'intérêt du spectateur, Mathieu Sommet tombe dans le même travers que beaucoup de ses petits camarades : la simplification excessive, la caricature, voire carrément la grossière erreur, quand il confond par exemple catholicisme et Témoins de Jéhovah dans une de ses chansons. Mathieu Sommet est un archétype de la toile, parce qu'il est capable de générer du divertissement mais, quand il tente de se pencher sur un sujet plus sérieux, n'arrive pas à clairement faire la distinction entre ses opinions personnelles, celles qu'il construit, le point de vue qu'il présente et celui qui intéresse et/ou que partagent ses followers.
Arrive donc une certaine dose de démagogie pour appâter le plus grand nombre, grimant, hélas, Internet et ses formidables possibilités collaboratives du masque d'un média de divertissement bancal, vertical malgré ses apparences, et fondamentalement quelque peu vain, quelle que soit la qualité propre de l'émission.
Qui a dit qu'Internet était si différent de la télévision ?