Sambre est une série qui a marqué l’année 2023 et plus largement le paysage sériel français et le genre du “true crime” dans son ensemble. Inspirée de l'enquête journalistique d'Alice Géraud, « Sambre. Radioscopie d’un fait divers », cette fiction inspirée de faits réels retrace l’affaire du “violeur de la Sambre” qui a sévi en toute impunité durant plus de 30 ans à la frontière entre la France et la Belgique.
Les vives polémiques suscitées par la série américaine Dahmer nous ont interrogé sur l’utilisation du “true crime" dans le champ audiovisuel : quelle représentation pour les criminels ? Où commence l’instrumentalisation et le voyeurisme ? Comment respecter le deuil des familles et la douleur des victimes ? La force de la série Sambre est d’avoir su se positionner clairement sur ces questions, en marquant sa volonté de constituer avant tout, un hommage aux victimes.
De manière subtile, le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade place sa caméra du côté des femmes. Si le premier épisode est consacré à Christine, une des femmes agressées, les victimes restent présentes tout au long de la série et sont visibles dans chaque épisode. Elles sont nombreuses et diverses. Elles ont une personnalité propre, une vie professionnelle et familiale. Chose assez rare pour être soulignée : elles agissent, elles dénoncent et elles sont indispensables au récit. En plus d’évoquer l’histoire des victimes, la série met en lumière les conditions de vie des femmes dans une société patriarcale qui peine à évoluer. C’est pourquoi Sambre est si angoissante : de la musique à fond dans les écouteurs lorsqu’elles marchent seules dans la rue, jusqu’à la terreur ressentie à la nuit tombée, la série rend palpable l’expérience d’être une femme et nous interroge : aujourd’hui, qu’est-ce qui a changé ?
En faisant le choix de n’invisibiliser ni les victimes, ni le violeur, Sambre s’attaque aux stéréotypes et permet, grâce aux témoignages des femmes et au travail d’enquête d’Alice Géraud, de replacer l’histoire dans son véritable contexte. Si cette série montre l’incompétence endémique des institutions en matière de crimes et violences faites aux femmes et remet en question le mythe du violeur présent dans l’imaginaire collectif, elle évite aussi avec brio un certain nombre d'écueils.
Adoptant la forme de la “série chorale” avec un focus sur un personnage par épisode, elle s’extrait d’une mise en scène classique et attendue - où la série alternerait entre le meurtrier et les enquêteurs - pour laisser place à un panel de personnages variés. Cela permet de mettre en avant la diversité des acteurs impliqués dans l’affaire et également la solitude à laquelle ils sont tour à tour confrontés et qui ralentit dramatiquement les recherches.
Avec une certaine finesse, Sambre montre la complicité de tout un système, notamment à travers la figure du jeune inspecteur, allégorie d’une certaine banalité du mal.
En adoptant la léthargie et l’incompétence de ses collègues par souci d’intégration, il multiplie les négligences et les vices de procédure, retardant de plusieurs dizaines d’années l’arrestation du violeur.
Se pose alors la question de la responsabilité de tous ces acteurs, qui sans avoir la posture du “monstre”, contribuent par une paresse quotidienne à faire perdurer ses crimes.
Ce qui frappe également c’est la pesanteur du quotidien tout au long de la série. Avec l’apparence glaçante de la normalité, la vie suit son cours sur plusieurs dizaines d’années. Même la succession de crimes sordides ne suffit pas à ébranler la vie de ces petites communes tranquilles du nord de la France. La torpeur de la police, les intérêts économiques municipaux, les fêtes de villages se poursuivent… Il n’y a que pour les victimes que le temps semble s’être arrêté.
J’ai tout particulièrement aimé le plan final lors du procès où, malgré l’annonce de l’entrée du criminel, la caméra ne dévie pas du visage des victimes. Le dernier mot leur revient car elles sont les héroïnes de cette série, où une société dans son ensemble sort grande perdante.