A la pointe de la falaise, se trouve le malaise du tournesol.
Pas le temps de respirer, le générique donne le tempo. Immédiatement, l’osmose est là. Au gré des beats hip hop old school de Nujabes et du flow ravageur de Shing02, Samurai Champloo se dévoile. Colorée et disloquée, l’image se désagrège pour nous faire entrevoir nos compères de routes aussi foutraques que sombres. Mugen avance tête la première, sabre à la main comme une furie incontrolable ; Jin, taiseux et renfermé déclenche lui aussi une attaque imparable. Autour de ses deux renégats, deux samouraïs en fuite dans un Japon d’Edo anachronique et comblé de digressions historiques, Fuu, une jeune femme qui vient de perdre tout ce qu’elle a, se met en chasse, d’un Samouraï, qui selon elle, sentirait le tournesol. Trois inconnus que tout sépare vont faire un bout de chemin ensemble à cause d’un bête pari et d’un combat à mort remis à plus tard.
Ce qui parait indéniable au premier coup d’œil, c’est que la série prend son essor par la richesse de son univers graphique, son montage dynamique, et le charisme immédiat de ses trois protagonistes, notamment celui de Mugen, sorte de Samurai faussement hippie, d’une folie et d’un nihilisme à l’empathie inexistante ; se distinguant du mutisme presque patriarcale et incandescent de Jin, vouant sa vie à son art, telle une machine à tuer. Tout ce petit monde vu par le prisme des frêles épaules de la jeune Fuu, voulant honorer la mémoire de sa mère défunte. De ce fait, sous ses voiles de mélodies jazz, Samurai Champloo, est une fuite en avant de trois vagabonds attachants et complexes qui cherchent une espérance à leur errance, pour combler un vide, une mélancolie diffuse, un passé qui les poursuit et qui parait inéluctable ; tant par le biais d’anciens élèves d’une école de sabre qui veulent venger la mort de leur maitre, ou d’anciens acolytes nés dans le même « enfer ».
Une aventure de tous les instants, qui peut s’apparenter à un récit plus ou moins répétitif, avec un schéma souvent identique : ils s’arrêtent dans une ville, essayent de trouver quoi manger puis les problèmes surgissent de nulle part. Mais à travers ce procédé, Samurai Champloo n’en est que plus efficace, fondé sur un mécanisme redoutable, faisant vivre ce road movie par des fulgurances où les émotions les plus brutes tranchent avec un second degré et une distance sentimentale, évacuant toute trace de pathos. De ce fait, Samurai Champloo, qui fait corroborer séquence contemplative et existentielle, fracasse tout sur son passage par ses combats, ses nombreux fight d’une virtuosité et d’une originalité incongrue, avec une finesse dans le dessin impressionnante.
S’abandonner à Samurai Champloo, c’est saisir ses nuances, son choc des cultures, son je m’en foutisme face aux codes d’honneurs des samouraïs, cette réappropriation de cette époque des sabres, son psychédélisme assumé qui côtoie à la fois des portraits de femmes magnifiques et douloureux mais aussi des zombies rock’n’roll en quête d’un trésor perdu, de jeunes tagueurs idiots et intrépides, un Elvis de pacotille un missionnaire chrétien sociopathe, tout en voyant des équipes de baseball s’affronter pour le sort de terre natale. Ici, pas d’études de caractères acharnées, pas de scénario alambiqué à puzzle. Non, la démarche narrative est beaucoup plus ample, prend appui sur ses forces, comme ses ruptures de ton adéquates (Fuu qui triple de volume après un bon repas) et frappe là où il faut au gré d’un charisme indomptable. Derrière sa fantaisie ironique, se cache des destins tristes, cramés dès la naissance.
De ce fait, Shinichirô Watanabe détient un regard assez incisif sur la fin d’une époque et la mondialisation d’un pays aux valeurs qui vacillent, de cette administration aveuglée par la corruption et l’ordre, de ses seigneurs locaux totalitaires, parlant à la fois du rapport du Japon aux étrangers ; ou du lien homme/femme qui se noie dans un respect et une destruction similaires à l’image de cette mère aveugle servant de chair à canon pour la vengeance ou d’une épouse vouée à la prostitution pour sauver les dettes d’un mari violent et accrocs au jeu. Mais il ne faut pas compter sur Samurai Champloo pour tomber dans le misérabilisme malgré sa sensibilité naïve, tout se règle par la lame ensanglantée du sang encore chaud de la mort, par cette envie inévitable de s’absoudre de ses chaines pour faire exploser la violence de son sabre.
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