[Disclaimer : je ne sais pourquoi, mais les critiques ici semblent ne pas concerner que l'OAV ; or sur la fiche de la série principale, je n'ai pas vu de critiques. Donc j'emboîte le mauvais pas pris par le groupe : ceci n'est pas une critique sur l'OAV, mais sur la série principale de 12 épiodes. Déso.]
Parfois, j'ai envie de sucre. C'est là, c'est irrépressible, et je ne peux pas me concentrer sur autre chose.
Dans ces cas-là, souvent, le choix du remède est large, on va du biscuit gaufrette vanille, à moins d'un euro le paquet, à la pâtisserie chiadée, aussi éclatante aux yeux qu'aux papilles, achetée chez l'artisan coté du coin. Le premier, on le trouve partout, on pourrait presque en acheter tous les jours. La seconde, c'est plus difficile. Entre deux, on passe par tout un tas de sucreries plus ou moins jolies, colorées, appétissantes - c'est jamais simple de savoir si la dégaine est à la hauteur du goût, ou vice versa. Faut tester. T'auras pas le même avis que ton voisin. Lui, ou toi, vous trouverez peut-être dans un produit médiocre une saveur qui allume un petit truc dans le fond de votre mémoire ; sa texture te dégoûte quand elle réconforte l'autre ; tu l'as acheté dans cette même boutique où t'allais chercher un goûter, à l'époque où tu dépassais pas 1m en taille et où t'avais une capacité de jugement gustatif super discutable... Bref. C'est pas facile de trouver ce qu'on cherche : dans cet océan de coulis, de glaçage et d'aspartame, on navigue à vue.
Dans le cas présent, j'dois bien avouer que ça partait pas très bien.
Je n'aime pas le dessin de Sekai Ichi Hatsukoi. Pour avoir papillonné de titre en titre, j'ai l'impression qu'il y a eu une vague de popularité en faveur de ce genre de trait, autour de l'année 2010, mais étant en fait assez peu érudite dans la sphère du sirop, je ne sais pas si c'est vraiment le cas. Ce que je sais, c'est que dès le départ, ça n'allait pas pour moi. Mais qu'importe : la mousse au chocolat par exemple, ça évoque souvent une bouse. C'est pas pour ça que toutes les mousses au chocolat ont un goût de merde. Certaines sont même divines ! Il fallait que j'en voie davantage de cet anime.
La malheureuse confirmation de mon souci avec le design (notamment des personnages) n'a pas tardé. Les couleurs, elles non plus, ne m'ont pas charmée, mais surtout : les effets terriblement datés apposés comme des filtres hideux sur certains plans voire des scènes entières... Non, définitivement, l'esthétique ne me convaincrait pas : ces types qui évoluent dans un décor insipide, voire carrément moche, ont presque tous la même tronche, au point que ça a quelquefois été difficile pour moi de bien identifier qui était qui, en plus de me rappeler de leurs noms - pourtant, j'ai jamais eu de problème à me rappeler des noms des personnages dans une bonne histoire.
C'est sûrement parce que l'histoire n'a rien de folichon, et qu'en conséquence on se tape un peu des conséquences de ses revirements sur les personnages (et tant mieux, parce qu'y en a pas, de revirements - j'y reviendrai). C'est décevant, car j'aurais pu trouver intéressante cette représentation du monde implacable de l'édition manga, où chaque strate du processus, de la production jusqu'à la vente, apparaît au gré des situations plus ou moins...
Comment les qualifier ? Certainement pas de réalistes. Mais le réalisme n'est pas toujours un point cardinal, une étoile polaire sur laquelle il faut à tout prix garder le cap - l'important, c'est la cohérence, et en étant un peu laxiste on peut considérer qu'on a, là, une sorte de cohérence globale (c'est globalement... insuffisant). C'est pas ça, le problème.
Le problème, c'est que même quand on prête un minimum attention au scénario, au final il se passe pas grand chose. Les occurrences où la toile de fond importe pour les personnages que l'on suit sont rares, par exemple : l'un des personnages met tout en œuvre pour aider une mangaka dont il s'occupe à terminer son taf dans les temps, et plus tard, la reconnaissance de cette mangaka lui donne davantage de confiance en lui, et l'assurance nécessaire pour le motiver à s'accrocher dans son boulot - boulot où il éprouve des difficultés en raison de sa relation cheloue avec son boss. Ca, c'est un pont entre le cadre de l'histoire, ce qu'il s'y passe, et le cœur mielleux de l'œuvre (puisqu'on est là, à la base, pour bouffer du sucre, je le rappelle).
Vous avez déjà mangé du sucre en poudre, comme ça, tout seul ? C'est pas dégueu, on s'entend. Mais la beauté, le génie, le mystère extraordinaire du sucre, c'est dans sa transformation qu'il se révèle. Dans la façon dont il se mêle à d'autres ingrédients, chacun apportant sa texture, sa saveur, son équilibre particulier - le miracle naît de ces mélanges et de l'art subtil d'en maîtriser les caprices, d'atteindre une justesse parfaite entre le sucre, ses qualités, et l'ensemble des caractères des autres ingrédients.
Dans SIH, la pâte est molle, le décor fond et se casse la gueule, le sucre dégouline ici ou forme un grumeau là. Le mélange ne tient pas, il n'y a pas d'équilibre des forces et aucune subtilité n'est à déclarer, nulle part. La facilité déconcertante et ennuyeuse de ces mini-scénarios qui se répètent (les dynamiques de couple de ressemblent presque toutes, notamment dans la réticence du protagoniste de chacune, réticence qui se transforme en doute, mais jamais en certitude) se frotte sans aucune élégance à la grossièreté des rebondissements, quand ce n'est pas pour se prendre les pieds dans un enchaînement de phrases ou de positions si absurdes qu'on dirait de faux raccords, voire une absence de transition qui génère un souci de logique pur et simple. En somme, le rythme est raté, la narration tombe en morceaux, on passe d'un bord à l'autre de ce qui devrait être tout un nuancier d'ambiances, et tout cela finit par se rouler dans une épaisse mélasse de ridicule et de vacuité. C'est informe, comme le gâteau de boue aux brindilles et aux pétales froissés que vous servirait triomphalement un enfant de deux ans.
Malgré tout, le sucre restera toujours le sucre.
Seul un palais d'une excessive exigence, et d'une acuité quasi surnaturelle, saura différencier à l'aveugle le sucre de betterave raffiné et le sucre de canne blanchi. Le sucre, c'est le sucre. On croque ses grains croustillants avec la même sensation sablonneuse en bouche, la même impression de douceur sur la langue, jusqu'au même écœurement si l'on abuse.
J'ai regardé Sekai Ichi Hatsukoi comme on boulotte des chouquettes (pas parce qu'elles sont bonnes, mais parce qu'on a envie de manger, sans discernement), et ses amas de sucre étaient les mêmes que sur n'importe quelles chouquettes du monde. J'ai vu des gens essayer de s'aimer, envers et contre leurs circonstances personnelles et sociales (c'est une partie infime de ce que j'ai vu, mais c'était là). Je les ai vus se désirer et, pour l'un d'entre eux (seulement ! c'est dingue) tenter de rassurer l'autre, de poser les bases d'un espace privé dans lequel s'apprivoiser mutuellement, se découvrir. C'est pour ça que je venais.
Mais vous voyez la différence entre de jolis choux faits par un pro, à la pâte délicate, odorante, alvéolée et légèrement croquante, et ceux, sans la moindre espèce de début de saveur, qui finissent plats et durs comme une vieille croûte au bout de six heures ? Cette différence, c'est l'attention portée à l'ensemble. C'est le respect de toutes les étapes, de tous les éléments de la recette, le soin porté à chacune et chacun d'entre eux.
Rien ne m'a convaincue dans SIH que qui que ce soit ait pensé à la pâte à choux.
Pire : du début à la fin, se répètent et se reflètent les pires schémas de mise en scène qu'on puisse retrouver (hélas, bien trop souvent) dans ces histoires "d'amour", où la romance naît d'une confrontation subite et brutale avec le désir de l'autre. Non-con, non-con everywhere. Un seul couple se démarque dans la saison entière, et encore ! Ca commence par un baiser totalement inopiné, donc on est quand même dans le registre de la gênance. Cette dernière est partout, absolument partout dans les scènes où les dynamiques de couple se déclinent. Alors certes, pas de scènes de nu, pas de paroles trop crues, et dieu merci - SIH n'est vraisemblablement pas un récit où on assumerait d'exposer des fétiches de domination pour ce qu'ils sont, ainsi on tomberait forcément dans cette confusion insupportable, et pourtant tellement répandue qu'elle en devient tristement banale, entre le sentiment amoureux et l'emprise (psychologique ou autre).
Si j'ai pu dire à quel point la narration de fond m'avait finalement ennuyée par sa fadeur, là on arrive dans un tout autre délire. De la simple grimace dubitative au double facepalm hurlant, en passant par le rire désespéré ou le roulement des yeux plus ou moins loin vers la stratosphère, je suis passée par toutes les expressions du malaise. Aucun des personnages n'est intelligent, mais bien souvent ce sont ceux que l'usage fait passer du côté "uke" de la force, qui se démarquent le plus par leur connerie abyssale, au point que même la suspension d'incrédulité ne peut plus rien pour le spectateur. Parler de confusion ou de déni défendrait autant le comportement de ces personnages qu'un carton vide contre un bus : devant l'aveu limpide et direct de sentiments envers eux, on va puiser dans des trésors d'absurdité pour faire dire ou penser à ces personnages que tout ça, c'est rien que dans leur tête, ou bien on se fout de leur gueule, ou alors ils ont mal compris, ou encore juste "nope", voilà - démerde-toi avec ça pour faire avancer l'intrigue.
Alors forcément, la crédibilité narrative zéro se heurte chaque fois durement à l'artificialité des procédés d'avancement, justement. Visiblement, pour l'auteur du manga de base comme pour le studio d'anim, exprimer ses sentiments c'est bien, mais comme on passe son temps à tourner autour du pot sans réussir à faire bouger le schmilblick, plutôt que d'essayer de débloquer le dialogue mieux vaut se vautrer dans les comportements abusifs et les gestes agressifs en tout genre. Ca te plaque au mur ou au sol continuellement, ça te colle sa langue au fond de la gorge pour t'empêcher de parler ou de partir, ça t'enfonce la main dans le slibard en t'ordonnant de faire pareil même si t'as l'air de préférer te jeter du sixième, ça te balance sur un canapé ou un plumard en se jetant sur toi pour t'expliquer que t'as pas le droit de voir untel parce que tu comprends, la jalousie, tout ça...
Haaaa, que d'amour, mes amis, que d'amour ! Mais est-ce bien le trop-plein de sucre qui me donne la nausée ? Pas sûr.
C'est cet arrière-goût acide, ce goût de vieux, cette pointe d'âcreté, qui vous fait plisser du nez et recracher tout net votre friandise. Rappelons-nous, elle n'était même pas vraiment jolie. Elle a dû l'être, à une époque, après tout beaucoup de gens en ont raffolé ! Mais là... est-ce qu'elle a trop traîné dans la poche de celui ou celle qui vous l'a gracieusement donnée, en vous en vantant les mérites ancrés dans sa mémoire, oublieux du temps qui passe, et des dégâts qu'il fait aux plaisirs trop superficiels ou trop immédiats ?
Peut-être que je suis déjà trop vieille ou trop exigeante, peut-être que c'est l'époque, peut-être que SIH n'a jamais été une bonne série et a juste bénéficié du piaillement sonore et hâtif de toute une brassée de fans dont je ne comprends pas les critères de satisfaction. Je ne garderai au-dessus du niveau de flottabilité que le personnage de Yukina Kô, le seul dans ce lot d'empaffés qui s'oppose ouvertement à un exemple de comportement toxique, le seul aussi qui s'y prenne à peu près correctement avec son crush, et dont les débordements seront exceptionnellement excusés en raison de son jeune âge. Dans une bonne histoire, il n'aurait pourtant pas surnagé bien loin, c'est dire.
Ensevelir une douceur de piètre qualité sous une avalanche de cœurs en chocolat et de paillettes en sucre multicolores ne devrait jamais parvenir à faire oublier qu'en-dessous, même pas vraiment caché, se trouve ce gros pâté sans goût, voire carrément mauvais, grossièrement démoulé par quelqu'un qui ne s'est jamais soucié de respecter le consommateur, et encore moins de lui partager un quelconque amour authentique et sensible pour les bonnes choses.
Point intéressant, bien que tiré par les cheveux. Dans la série, on voit tout de même à quel point les storyboards des mangakas sont raturés, combien nombreuses sont les demandes de retouches et de modifications, combien draconiens sont les moyens de pression pour rendre un travail dans les temps, combien les éditeurs font montre d'une froideur inhumaine face aux choix plus personnels de leurs auteurs (l'exemple de la mangaka qui veut à tout prix montrer un temple, exprimer sa sensibilité ici, mais se fait gueuler dessus)... Y aurait-il plus, dans SIH, que ces histoires "d'amour" ratées et cette trame de fond qui bouge presque autant qu'une huître à moitié morte ? Y aurait-il aussi cette démonstration de l'impossibilité de traiter comme on le voudrait des sujets qu'on aime, de l'incapacité d'un auteur à faire valoir son désir de bien faire devant les réalités excessives du monde de la publication ?
Si Sekai Ichi Hatsukoi est un cri de détresse dénonciateur, lourdement déguisé en collection de "romances" ouvertement bâclées et permettant seulement l'état des lieux de ce qui ne va pas dans les comportements toxiques et abusifs qu'on normalise dans ce genre de récits, alors, oui, je l'entends. Il m'a crevé les tympans à chaque "suki", je n'ai perçu que lui dans chaque protestation étouffée par un baiser subi.
Ca m'apprendra à céder à mon propre caprice pour du mauvais sucre...