Au premier abord, on serait tenté de déclarer que, dans Serial, la réalité dépasse la fiction. Sarah Koenig, journaliste d’investigation, découvre une hallucinante affaire judiciaire oubliée : une avocate véreuse, une enquête bâclée, un alibi jamais entendu, un témoin-clé aux versions multiples et parfois contradictoires, un innocent en prison depuis quinze ans… ça s’écoute comme un polar, sauf que ça s’est vraiment passé. Et pourtant, c’est exactement le contraire qui fait l'intérêt de Serial.
La réalité n’a rien à voir avec la fiction. Parce qu’elle est en nuance de gris, parfois même paradoxale : l’avocate, débordée, était gravement malade, le travail de police était solide, l’alibi n’est peut-être pas aussi crucial qu’il en avait l’air, certaines déclarations du témoin-clé semblent irréfutables, et l’innocent cache une part d'ombre. Mais surtout, parce qu’elle n’a pas de résolution facile, pas de conclusion satisfaisante. Fondamentalement, le cas Adnan Syed restera un mystère à jamais.
À nous de faire notre deuil de ce "roman policier" et de reconnaitre nos limites, comme Sarah Koenig. Avec elle, on se liera d’amitié avec Adnan, puis on doutera, puis on reprendra espoir grâce à telle ou telle piste, avant d’en retirer un résultat mi-figue, mi-raisin. Mais c’est cette sincérité dans la démarche, associée à l’immense travail de fond, qui fait que Serial n’est en aucun cas un divertissement de fait-divers porté sur le voyeurisme. Ce qui n’était pas gagné.
La première saison est tellement ahurissante, l’affaire tellement hors normes, qu’il a été impossible de faire aussi bien par la suite. Mais Serial est une série qui a su se renouveler, proposer quelque chose de nouveau, de différent et d’intéressant. La saison 1 est un mystère policier façon Faites entrer l’accusé en bien mieux, la saison 2 se rapproche des intrigues géopolitiques telle un épisode surdimensionné de feu Rendez-vous avec X, et la 3eme joue plus de son format épisodique pour aller exposer les ahurissantes failles du système judiciaire américain, plus dans la veine de Last Week Tonight… l'humour en moins. En tout cas, il est passionnant de voir les répercussions d’un podcast aussi populaire sur le sujet en cours.
Petit bémol, si la dernière saison est passionnante, je suis un peu déçu que Koenig n’évoque pas la possibilité que les défaillances de la justice américaine puissent être de nature fondamentale. Comme l'enquête à charge ou l’élection des juges. Il ne s’agit pas de dire « cocorico notre justice est mieux foutue, haha ils sont cons ces amerloques », mais de creuser plus en détail sur ces pratiques au coeur de leur système.
Bref, Serial, en particulier sa subtile première saison, est une aventure passionnante et passionnée. Je me demande quelle direction le podcast prendra par la suite, que j’attend avec impatience.